Au cours de l’une des plus importantes manifestations organisées dans le pays depuis des années, des milliers de Sud-Coréens ont manifesté samedi 5 novembre à Séoul pour exiger la démission de leur présidente Park Geun-Hye, qui a endossé la pleine responsabilité du vaste scandale politico-financier qui la vise.
Quelque 40 000 personnes selon la police, 200 000 selon les organisateurs, ont appelé au départ de Mme Park lors d’une veillée dans la rue. Environ 20 000 policiers ont été mobilisés pour encadrer les manifestants, pacifiques, quoique résolus dans leurs discours. Poing levé, ils ont scandé : « Park Geun-Hye démission ! Vous êtes assiégée ! »
Mme Park a reconnu vendredi être responsable du scandale qui implique sa confidente et amie de 40 ans, en ayant été, par amitié, « négligente » et insuffisamment vigilante. La chef d’Etat est accusée d’avoir été sous la coupe d’une sulfureuse conseillère de l’ombre, Choi Soon-Sil, qui aurait profité de son ascendant pour spolier des groupes industriels. Mme Choi a été arrêtée jeudi pour fraude et abus de pouvoir.
Culte religieux d’inspiration chamanique
Lors d’une allocution télévisée vendredi empreinte d’émotion, Mme Park a reconnu avoir été imprudente et s’est dite prête à être entendue par le parquet malgré l’immunité que lui garantit son statut.
Mais elle a démenti des informations selon lesquelles elle aurait participé, sous l’influence de celle que les médias sud-coréens surnomment « Raspoutine », à un culte religieux d’inspiration chamanique. La confidente de Mme Park est en effet la fille d’un mystérieux chef religieux, Choi Tae-Min, devenu son mentor après l’assassinat de sa mère en 1974.
L’opinion publique s’inquiète aussi de savoir si Mme Choi s’est ingérée dans les affaires de l’Etat et a eu accès à des documents confidentiels alors qu’elle n’avait ni fonction officielle ni habilitation de sécurité.
Après les confessions présidentielles, le Parti démocratique, principale formation de l’opposition sud-coréenne, a réclamé des changements substantiels et a averti qu’il lancerait s’il ne les obtenait pas un mouvement pour que Mme Park quitte le pouvoir.
La cote de popularité de la responsable, déjà affaiblie par le ralentissement de la croissance sud-coréenne, la montée du chômage et les tensions militaires avec la Corée du Nord, a chuté à 5 %.
Le Monde.fr avec AFP
* « Scandale présidentiel : les Coréens descendent dans la rue ». Le Monde.fr,| 05.11.2016 à 14h04 :
http://www.lemonde.fr/international/article/2016/11/05/scandale-presidentiel-les-coreens-descendent-dans-la-rue_5026040_3210.html
Embourbée dans un scandale, la présidente de Corée du Sud limoge son premier ministre
La présidente Park Geun-hye se voit reprocher d’avoir laissé une confidente la conseiller sur la conduite des affaires de l’Etat. Elle a contre-attaqué mercredi en limogeant le chef du gouvernement et deux autres ministres.
Plus dure s’annonce la chute, pour Choi Soon-sil. La femme aujourd’hui la plus honnie de Corée du Sud s’est présentée lundi 31 octobre devant les procureurs chargés de l’enquête sur le « Choi gate ». Révélée le 24 octobre par la chaîne de télévision JTBC, l’affaire a mis en évidence les liens entre cette redoutable femme d’affaires revendiquant des pouvoirs chamaniques et la présidente Park Geun-hye. La dirigeante de la onzième économie mondiale aurait transmis à Mme Choi des documents confidentiels sur la politique nationale. Elle l’aurait également sollicitée pour relire ses discours.
En guise de réponse à cette crise politique majeure, la présidente sud-coréenne Park Geun-hye a limogé son premier ministre, mercredi, et l’a remplacé par un autre responsable, a annoncé le porte-parole de la présidence. Le premier ministre Hwang Kyo-ahn a été relevé de ses fonctions « en raison de la situation actuelle », a indiqué Jung Youn-kuk. Le ministre des Finances et son collègue de la Sécurité publique ont subi le même sort. L’objectif de Mme Park est de former un cabinet d’union nationale à coloration politique neutre, afin de calmer l’opinion publique.
Depuis les révélations sur le rôle joué par Choi Soon-sil, la cote de popularité de Mme Park s’est effondrée, passant sous les 15 %. Des manifestations contre la présidente ont eu lieu à travers le pays, samedi 29 octobre. Les bureaux de la présidente ont fait l’objet d’une perquisition durant le week-end.
Pour Mme Choi, l’affaire marque certainement la fin d’une relation fructueuse, dont l’origine remonte à l’époque où Mme Park occupait la position de « première dame », une fonction attribuée par son père, le président autoritaire Park Chung-hee (1917-1979), après l’assassinat en 1974 de sa mère, Yuk Young-soo.
« Raspoutine coréen »
Mme Park noue alors une relation particulière avec Choi Tae-min, père de Choi Soon-sil. Surnommé le « Raspoutine coréen », l’homme est le gourou d’une secte, l’Eglise de la vie éternelle. Il a obtenu les faveurs de Mme Park en lui affirmant, dès 1975, être en relation avec l’esprit de sa défunte mère. Son influence n’a cessé de croître. D’après un câble diplomatique de l’ambassade américaine de 2007 révélé par WikiLeaks, il aurait eu à l’époque « le contrôle total du corps et de l’esprit » de Mme Park.
Ses relations avec le clan présidentiel lui permettent de faire fortune. Marié cinq fois et père de six filles, M. Choi affirme que la cinquième, Soon-sil, née en 1956, a hérité de ses pouvoirs « chamaniques ». Il la présente à Mme Park. Depuis quarante ans, les deux femmes sont très proches.
Mme Choi agit dans l’ombre. A la mort de son père en 1994, elle reprend la tête du culte. Elle aurait joué un rôle important dans la carrière politique de Mme Park, élue pour la première fois députée en 1997. Son ex-mari, Jeong Yun-hoe, aurait géré officieusement la campagne pour l’investiture conservatrice en vue de la présidentielle de 2007.
« Huit fées »
L’arrivée en 2013 à la Maison Bleue – nom de la présidence sud-coréenne – de Mme Park n’affectera pas leurs relations, au contraire. Les révélations de la presse montrent que Mme Choi recevait fréquemment les comptes rendus des discussions de la présidence, y compris sur les sujets sensibles. Invoquant les esprits, elle aurait affirmé que la Corée du Nord allait s’effondrer en 2017. La ligne dure tenue par Séoul contre Pyongyang se fonderait sur cette prédiction. Mme Choi aurait formé un groupe, « les huit fées », réunissant huit femmes ayant un accès exclusif à la présidente.
D’après le très documenté blog Askakorean, « les proches de la présidente qui ont creusé un peu trop la relation entre Mme Park et Mme Choi ont été virés et remplacés par des proches de Mme Choi ». C’est ainsi que Cha Eun-taek, un producteur de clips vidéos, s’est retrouvé à la commission présidentielle pour l’enrichissement culturel et l’économie créative. Il aurait fait nommer Kim Jong-deok, un ancien associé en affaires, au poste de ministre de la culture.
De même pour Ko Yong-tae. Ancien membre de l’équipe sud-coréenne de sabre, il a travaillé à Gangnam, un quartier de Séoul, dans à un bar à « hôtes », ces jeunes hommes payés pour servir, voire plus si affinités, une clientèle exclusivement féminine. L’établissement était, semble-t-il, fréquenté par Mme Choi. Elle aurait ensuite financé le projet de Ko Yong-tae de créer sa marque de sacs, Villomillo, dont les ventes ont explosé en 2013, quand l’un d’eux s’est retrouvé au bras de la présidente Park.
Jouant de ses relations, Mme Choi aurait également obtenu de la prestigieuse université pour filles Ewha qu’elle facilite l’admission de sa fille Jeong Yoo-ra et l’obtention de ses diplômes. « Aucune étudiante ne l’a vue pendant les deux années qu’elle a passées à Ewha », glisse un connaisseur du dossier.
« Péché »
La puissante Mme Choi est depuis l’été la cible d’une enquête sur sa gestion de deux fondations, la Mi-R et la Sports-K, qu’elle a créées en 2015 et 2016, officiellement pour promouvoir la culture et le sport. Les deux institutions ont été abondamment financées par les chaebols, les conglomérats coréens, grâce aux bons offices présidentiels. Une partie de l’argent aurait fini dans les poches de Mme Choi, via deux sociétés écran, The Blue K et Widec Sports.
Les révélations sur cette affaire ont incité Choi Soon-sil à fuir à Francfort, en Allemagne, où elle serait propriétaire d’un hôtel et de plusieurs maisons, voire d’un haras pour sa fille, qu’elle rêve de voir gagner une médaille d’or d’équitation aux Jeux olympiques de Tokyo en 2020.
La tournure politique qu’a pris le scandale semble avoir signé sa chute. Le 27 octobre, Mme Choi affirmait au quotidien Segye Ilbo qu’elle ne voulait pas rentrer en Corée du Sud, se disant au bord du suicide. Elle a finalement atterri à l’aéroport d’Incheon, près de Séoul, dimanche 30 octobre. Attendue par une foule de journalistes devant le bureau du procureur lundi, Mme Choi, sous un chapeau noir, a déclaré : « J’ai commis un péché qui mérite la mort ».
Philippe Mesmer (Séoul, envoyé spécial)
Journaliste au Monde
* LE MONDE | 31.10.2016 à 14h42 • Mis à jour le 02.11.2016 à 07h17 :
http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2016/10/31/choi-soon-sil-l-amie-qui-fait-trembler-la-presidence-sud-coreenne_5023236_3216.html