La fin de la politique de l’enfant unique permettra la naissance de 50 millions d’enfants supplémentaires d’ici à 2029. Un chiffre insuffisant pour enrayer le vieillissement accéléré de la population chinoise. D’après une étude publiée vendredi 14 octobre dans la revue médicale The Lancet, la Chine ferait mieux de se préparer à vieillir. La politique adoptée en 1979 pour contenir la population chinoise et faciliter son enrichissement va peser lourdement sur l’avenir du pays.
L’étude intitulée « Les effets de la politique universelle des deux enfants », de Therese Hesketh, du University College de Londres, et de Zeng Yi, de l’université de Pékin, estime que l’abolition de la politique de l’enfant unique permettra de repousser de six ans le pic de la population chinoise. Avec l’enfant unique, elle aurait atteint 1,4 milliard d’habitants en 2023, avant de commencer à décroître lentement. Avec la « politique des deux enfants », elle devrait continuer à croître jusqu’en 2029 et atteindre 1,45 milliard d’habitants. Surtout, elle devrait décroître plus lentement : en 2050, les Chinois devraient être 1,42 milliard, contre 1,27 milliard si les limitations actuelles avaient perduré.
Les deux auteurs rappellent d’abord les doutes émis par leurs collègues démographes depuis le lancement de la politique par le dirigeant d’alors, Deng Xiaoping. A l’époque, la Chine sort de la Révolution culturelle, ultime bouleversement de l’ère Mao, qui a fini de plonger la Chine dans la pauvreté. Pour les dirigeants chinois, la population est vue comme un fardeau pour la croissance. Entre 1950 et 1970, la population est passée de 540 millions à 800 millions. La courbe est raide. Pékin prend ses premières mesures au début des années 1970 pour retarder le premier enfant. Avec succès : le taux de fertilité passe de 5,9 enfants par femmes en 1970 à 2,9 en 1979. Mais la Chine veut aller plus loin.
Abandonner la limitation des naissances
Pour certains démographes, la politique incitative aurait suffi, car la transition démographique chinoise touchait à sa fin. Les autorités répondent que leur politique a permis d’éviter la naissance de 400 millions de Chinois. Les démographes avancent plutôt le chiffre de 200 millions, en tablant sur une baisse naturelle de la fertilité chinoise à mesure que le pays se développait.
Forts de ces doutes, les démographes chinois et britannique se félicitent de l’abandon de la politique de l’enfant unique. « Nous pensons que l’introduction de la politique universelle des deux enfants était nécessaire et hautement souhaitable, et qu’elle bénéficiera à tous les secteurs de la société chinoise. » Et de citer la fin des « éléments les plus répressifs de la politique de l’enfant unique », qui permettra à « l’écrasante majorité des couples d’avoir le nombre d’enfants qu’ils désirent ». Mais l’étude recommande l’abandon pur et simple de la limitation des naissances : « La prochaine étape est l’abandon total des politiques de contrôle de la fertilité, qui doit être envisagée au plus vite. »
Principales conséquences positives : la baisse des avortements due à la réglementation. Si les avortements forcés étaient devenus rares depuis les années 2000, la possibilité d’avoir un deuxième enfant devrait les faire reculer encore. De même, le déséquilibre entre les sexes devrait être affecté positivement. Même si la détermination prénatale du sexe d’un enfant avait été interdite, des avortements sélectifs étaient courants à cause d’une préférence traditionnelle pour les garçons. Le déséquilibre a atteint 121 garçons pour 100 filles en 2005, pour descendre autour de 116 pour 100 aujourd’hui, mais le chiffre peut atteindre 140 pour 100 dans certaines campagnes du centre de la Chine.
L’article indique que les zones dans lesquelles deux enfants étaient autorisés, notamment pour les minorités ethniques, ont été les moins touchées par le déséquilibre. En revanche, la politique « d’un enfant et demi » dans les campagnes, qui autorisait un second enfant si le premier était une fille, a sans doute évité des avortements sélectifs, mais a renforcé le déséquilibre entre les sexes.
Vieillissement de la population
Pour autant, l’ouverture à tous les couples de la possibilité d’un deuxième enfant ne devrait pas suffire à enrayer le vieillissement de la population. « Dans les vingt prochaines années, la politique des deux enfants n’aura qu’un effet marginal sur l’accélération rapide du vieillissement de la population. » Les plus de 65 ans, qui représentent aujourd’hui à peine plus de 10 % de la population, seront 18 % en 2030. Une progression fulgurante. Par comparaison, en France, le taux est aujourd’hui de 19 %, mais il avait dépassé 10 % dans les années 1950 !
A l’horizon 2050, les personnes de plus de 65 ans devraient dépasser le quart de la population en Chine, comme au Japon aujourd’hui. Si la politique de l’enfant unique s’était poursuivie, ils auraient atteint 29 %, d’après les chercheurs. Dans ces conditions, la Chine aura besoin de renforcer rapidement ses infrastructures de prise en charge de la dépendance, quasi inexistantes aujourd’hui.
La hausse du taux de fécondité ne devrait pas reprendre, malgré l’assouplissement des règles. En cause, un système entier adapté à un seul enfant par couple. Dans les villes où l’éducation d’un enfant est coûteuse, la plupart des couples ne sont pas prêts à avoir un deuxième enfant. Le taux de fécondité y est actuellement de 1,24 enfant par femme. Il devrait augmenter légèrement, mais la migration de ruraux, au taux de fécondité plus important, vers les villes, devrait faire encore baisser le taux de fécondité total du pays, de 1,88 enfant par femme en 2017, à 1,81 en 2030. Autrement dit, les familles « 4-2-1 », dans lesquelles un couple d’enfants uniques doit soutenir financièrement quatre parents retraités et un enfant, ont de beaux jours devant eux.
Conséquence, la population en âge de travailler, qui a arrêté de progresser en 2010, devrait baisser drastiquement à partir du milieu des années 2020. Après 2030, la fin de la politique de l’enfant unique devrait commencer à se faire sentir, atténuant légèrement la fonte de la main-d’œuvre chinoise.
Simon Leplâtre (Shanghaï, correpondance)
Journaliste au Monde