Devant la mairie de Séoul, les drapeaux « Busan » tenus haut en l’air par un groupe de manifestants montrent que l’on est venu de l’extrême sud de la péninsule coréenne pour faire entendre sa colère dans la capitale. « Park Geun-hye, dehors ! » scande la dense foule, encadrée par 25 000 policiers.
Selon les organisateurs, plus d’un million de personnes se sont jointes au mouvement sur la place centrale Gwanghwamun et dans les rues adjacentes ce samedi 12 novembre. L’agence Yonhap souligne que ce troisième samedi de rassemblement équivaut aux foules de 1987, qui marquèrent un tournant pour la démocratisation de la République de Corée. La police n’a compté que 260 000 personnes samedi, ce qui est cependant plus que les 170 000 qu’elle attendait.
A 5 % d’opinions favorables selon un récent sondage, la présidente sud-coréenne ne parvient pas à se dépêtrer du « Choigate », du nom de Choi Soon-sil, une amie de quarante ans de la chef d’Etat qui, selon les révélations d’une chaîne de télévision locale, a eu sur elle une influence démesurée. La presse a détaillé ensuite comment chaque jour une épaisse pile de dossiers était remise à Mme Choi : tous les grands discours de la chef d’Etat ont été relus par sa confidente, ainsi que des notes confidentielles alors qu’elle n’avait aucune habilitation officielle.
« Eglise de la vie éternelle »
Mettant à profit son influence en haut lieu, l’amie de toujours aurait invité les grands conglomérats sud-coréens à contribuer à deux de ses fondations, à hauteur de l’équivalent de 61 millions d’euros. Les enquêteurs ont notamment perquisitionné le 8 novembre les bureaux de Samsung, qu’ils suspectent d’avoir versé 2,8 millions d’euros pour financer les performances équestres de la fille de Choi Soon-sil. Sa mère la rêvait en championne olympique aux Jeux de Tokyo de 2020.
La proximité de Mme Park avec le clan Choi date d’une période tragique de la vie de l’actuelle chef d’Etat. En 1974, son père, le président autoritaire Park Chung-hee, échappe à une tentative d’assassinat mais son épouse est abattue. Dès l’année suivante, Choi Tae-min, le fondateur d’un culte baptisé « Eglise de la vie éternelle », dit être capable de communiquer dans l’au-delà avec la défunte mère de Park Geun-hye. Puis, il expliquera avoir transmis ses pouvoirs à sa cinquième fille. Mme Park a dû démentir s’être livrée à des rites chamaniques dans la Maison Bleue, le palais présidentiel.
Selon les journaux locaux, Choi Soon-sil serait notamment à l’initiative de la fermeture, en février 2016 à la suite du quatrième essai nucléaire nord-coréen, d’un rare projet commun aux deux frères ennemis de la péninsule coréenne : la zone industrielle de Kaesong, où des entreprises du riche Sud employaient des citoyens du reclus Nord. « C’est Choi qui avait le pouvoir, tous les choix importants pour notre pays sont passés par elle », lance Su Hyeon-moon, une étudiante de 25 ans, qui porte un bomber noir et une casquette vissée sur la tête.
Après avoir trouvé refuge en Allemagne, où elle serait propriétaire d’un hôtel, l’amie Choi Soon-sil s’est résolue à rentrer en Corée. Elle a aussitôt été mise en examen par les procureurs.
Park Geun-hye s’est déjà séparée de ses plus proches conseillers et a pris pour chef de cabinet un ancien conseiller du principal opposant à son père. Elle a également tenté en signe de compromis de se doter d’un nouveau premier ministre, qui par le passé a travaillé avec le président progressiste Roh Moo-hyun, au pouvoir de 2003 à 2008. Non consultée sur ce choix, l’opposition a annoncé qu’elle bloquerait sa nomination, y voyant une nouvelle marque de l’exercice solitaire du pouvoir par Mme Park.
« Le peuple ne veut plus d’elle »
« Personne ne peut prédire combien de temps elle va tenir, mais le peuple ne veut plus d’elle », constate Shin Seung-ho, un employé du métro de Séoul venu dire son mécontentement. « C’est toute sa politique qui est en cause, y compris ses choix sur la Corée du Nord, les gens sont révoltés », abonde son ami Lim Kil-yang.
La chef d’Etat s’est présentée les yeux humides devant les caméras de télévision le 4 novembre, et a reconnu : « Tout est de ma faute. » Elle a expliqué que Choi Soon-sil l’a épaulée « dans le moment le plus dur de ma vie ». Elle s’est dite prête à être interrogée par les enquêteurs. Selon l’agence Yonhap, le parquet de Séoul prévoit de l’entendre dès la semaine prochaine. Une information confirmée par son porte-parole.
Les partis d’opposition exigent que Mme Park abandonne l’essentiel de ses prérogatives jusqu’à l’élection présidentielle prévue pour décembre 2017 pour les confier à un gouvernement d’union. Ils ne se sont pas pressés d’exiger sa démission, peu désireux de grimper au pouvoir à un an de l’élection, mais ils y viennent désormais.
Le peuple veut la voir partir au plus vite, même si certains expriment de l’empathie face à la tragédie qui a rendu Mme Park dépendante de cette amie douteuse et la solitude qui la caractérise. « Ce n’est tout simplement pas la personne adéquate pour diriger le pays, si elle reconnaît avoir été sous influence », souligne Kang Sun-yu, un étudiant tenant dans sa main droite une bougie de vigie.
Harold Thibault
Journaliste au Monde
* LE MONDE | 12.11.2016 à 10h57 • Mis à jour le 13.11.2016 à 11h08 :
http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2016/11/12/coree-du-sud-des-milliers-de-manifestants-reclament-la-demission-de-leur-presidente_5030037_3216.html
Scandale en Corée du Sud : le patron de Hyundai entendu par le parquet
La justice cherche à établir si la présidente Park a pu faire pression sur des industriels pour les inciter à verser des millions de dollars aux fondations d’une amie.
Chung Mong-koo, patron de Hyundai, premier constructeur automobile sud-coréen, a été entendu par le parquet qui enquête sur un retentissant scandale de corruption dans lequel est empêtrée la présidente de la République Park Geun-hye, a rapporté dimanche 13 novembre l’agence Yonhap.
M. Chung a été auditionné entre samedi soir et dimanche matin, en même temps que d’autres dirigeants d’importants conglomérats comme le groupe Hanwha, affirme l’agence de presse, citant une source au parquet de Séoul. L’héritier présomptif du géant Samsung, Lee Jae-yong, devrait être entendu dans le cadre de ce dossier dimanche.
Le scandale qui fait rage depuis trois semaines est centré sur Choi Soon-sil, une amie de quarante ans de la présidente, arrêtée pour fraude et abus de pouvoir. Elle est accusée de s’être servie de ses relations d’amitié avec Mme Park pour contraindre des grands groupes à verser des donations à des fondations douteuses, sommes dont elle se servait ensuite à des fins personnelles. Mme Choi est également accusée de s’être mêlée des affaires de l’Etat, y compris d’avoir été consultée au sujet de la nomination de hauts responsables.
Appels à la démission
Le parquet cherche à établir entre autres si la présidente a pu faire pression sur les industriels pour les inciter à verser des millions de dollars aux fondations de son amie. D’après la presse locale, Mme Park aurait rencontré en juillet des hommes d’affaires pour les appeler à financer les fondations de Mme Choi.
Selon les médias sud-coréens, les structures en question auraient reçu l’équivalent de plusieurs dizaines de millions d’euros, dont 20 milliards de wons (15,4 millions d’euros) de Samsung et 12,8 milliards de wons de Hyundai. Samsung est soupçonné en outre d’avoir versé jusqu’à l’équivalent de 2,8 millions d’euros à Mme Choi pour financer la formation équestre de sa fille en Allemagne.
Les appels à la démission de la présidente se sont multipliés en Corée du Sud. Samedi, une manifestation monstre a réuni un million de personnes selon les organisateurs, 260 000 selon la police.
* Le Monde.fr avec AFP | 13.11.2016 à 06h09 • Mis à jour le 13.11.2016 à 11h06 :
http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2016/11/13/scandale-en-coree-du-sud-le-patron-de-hyundai-entendu-par-le-parquet_5030253_3216.html