Pendant les trente ans de son existence, de 1960 à 1989, le PSU (Parti socialiste unifié) a été en France l’un des rares partis de gauche à avoir maintenu une existence organisationnelle indépendante du PCF et du PS. Le livre de Bernard Ravenel, Quand la gauche se réinventait. Histoire d’un parti visionnaire, publié au printemps 2016, présente son histoire sur ses trente ans d’existence [1]. Écrit du point de vue d’un militant se félicitant de son engagement et ayant sans discontinuer appartenu au PSU depuis sa création avec des responsabilités nationales entre 1972 et 1984, le livre présente suffisamment de faits et de données pour permettre une discussion sur le parcours de ce parti
Né de la guerre d’Algérie
C’est l’opposition à la guerre d’Algérie qui permit la création du PSU en 1960. Étaient ainsi réunis dans un même parti une scission importante de la SFIO, l’ancien premier ministre Mendès-France, plusieurs anciens ministres de la IVe République, une organisation issue du catholicisme social, des ex-membres du PCF l’ayant quitté après les crises de 1956, la direction de l’hebdomadaire France Observateur, ainsi que des militants se réclamant du marxisme révolutionnaire. Ravenel rend compte de cette diversité hétéroclite.
Le développement du PSU, à l’époque 17 000 adhérents, était lié à sa capacité à être actif dans la lutte contre la guerre d’Algérie, construit contre la SFIO et sans le PCF qui avait voté les pouvoirs spéciaux au gouvernement Guy Mollet en 1956. L’auteur revient sur les initiatives du PSU et ses propres engagements militants à ce moment.
Mais en même temps, une partie de la direction du PSU échafaudait des plans de recomposition de la gauche parlementaire, en se répartissant la peau de l’ours SFIO social-démocrate avant de l’avoir tué. Avec l’indépendance de l’Algérie, arrachée par le peuple algérien en 1962, ce qui était à l’origine du rassemblement de ce PSU disparut sans qu’une clarification politique n’ait permis de préparer la nouvelle situation. Les crises et scissions de l’après guerre d’Algérie marquent la fin du premier PSU dans sa configuration d’origine (Ravenel omet de citer la tendance « socialiste révolutionnaire » parmi les « sept tendances » du moment).
Le PSU conserva cependant un pied dans les luttes sociales et Ravenel insiste à juste titre sur le coup de tonnerre, peu cité aujourd’hui, que représenta en 1963 la grève de plusieurs semaines des mineurs où, par dizaines de milliers, les grévistes refusèrent d’obtempérer à l’ordre de réquisition du Général de Gaulle.
Un renouveau militant par mai 68
Les débats du PSU de cette époque sont rapportés dans l’ouvrage en pointant, au-delà des enjeux bureaucratiques de pouvoir, les questions portant sur les changements sociologiques à l’œuvre parmi les salariés des centres de production. Le PSU fut en 1965 l’un des lieux où se manifesta une opposition de gauche à la candidature de Mitterrand à l’élection présidentielle, même si une majorité finit par s’y rallier. Le livre rappelle les premières actions communes avec ce qui constituait l’extrême gauche révolutionnaire, notamment contre la guerre du Vietnam.
Ce parcours conduisit le PSU à participer naturellement à la grève générale et au mouvement de 1968 en particulier, par l’intermédiaire de l’UNEF dont il était alors à la direction, mais aussi de ses militants présents dans les entreprises et localement. Ravenel affirme dans son livre « le caractère révolutionnaire du mouvement » et détaille comment le PSU a considéré cette grève générale comme politique et cherché à peser sur la situation.
Le PSU connut alors un nouveau courant d’adhésion militante. Il chercha alors à promouvoir un « mouvement politique de masse », tentant de surmonter la difficulté d’organiser la radicalité ouvrière et paysanne de l’époque dans une forme partidaire classique. L’une des singularités tient aux liens tissés, relatés avec précision par Ravenel, avec les paysans travailleurs : Bernard Lambert son principal animateur appartient après mai 1968 aux instances de direction du PSU.
La réunion des « assemblées régionales ouvrières et paysannes » du PSU et l’« avant-garde ouvrière large » que caractérisait alors la Ligue communiste traitaient du même phénomène politique et social de cet après-Mai 1968. C’est le moment où le PSU organisa avec Lutte ouvrière des actions communes sur le thème des transports, notamment dans la région parisienne, et participa à des campagnes électorales communes avec LO et la Ligue communiste.
Ce moment fut bref dans l’histoire du PSU. « Après l’échec de Mai 68 qui avait sonné le glas des rêves du Grand Soir et démontré la nécessité d’une médiation politique prolongée impliquant des élections », Ravenel se félicite de la clarification opérée en juin 1971 par un congrès du PSU qui consacra selon lui « la fin d’une hypothèse révolutionnaire en termes marxiste traditionnels ». La conséquence fut le départ des courants maoïsant et marxiste révolutionnaire, réduisant définitivement le spectre politique réuni dans ce parti. [2]
Des capacités de rebond militant maintenues
« S’il y eut un bonheur pour le PSU ce fut Lip » dit Ravenel, l’expérience d’autogestion ouvrière la plus avancée et la plus populaire en France de ces dernières décennies. Charles Piaget, l’animateur de la lutte, était un militant de longue date du PSU. L’assemblée générale des travailleurs décidait en pratique de la lutte et les réseaux de soutien dans toute la France débordaient largement le cadre d’un seul parti. Relevons aussi que Ravenel rappelle que le projet de Rocard de mettre en place une SCOP fut rejeté par l’assemblée générale travailleurs de Lip , pour « ne pas être compromis dans sa gestion ».
La mort de Pompidou précipita en avril 1974 une élection présidentielle. La candidature de Charles Piaget comme expression authentique et directe du mouvement social était possible. Michel Rocard et Edmond Maire, préparant leur entrée dans le Parti socialiste, brisèrent cette possibilité. Le PSU fit là un choix décisif. Soutenir finalement une candidature de Mitterrand, contre la présentation de l’animateur ouvrier de la lutte la plus reconnue du moment, le choc était rude.
Délesté de son courant rocardien et marqué par ce choix de 1974, le PSU allait commencer une nouvelle vie de « parti socialiste autogestionnaire ».
En charge du secteur international du PSU pendant cette période il est logique que Ravenel traite de cette activité. Il existe une vraie continuité militante entre les origines du PSU marquées par la lutte contre les guerres coloniales, l’entrée dans le pacte atlantique et les positions campistes de partage du monde, et plus tard l’implication du PSU dans le soutien au peuple palestinien et aux luttes anti impérialistes.
Ravenel décrit les nombreux terrains de lutte de l’époque : la solidarité avec les travailleurs immigrés, le soutien à ceux du Larzac, la lutte contre le programme électronucléaire,la prise en compte des impératifs écologiques, la participation au Planning familial , au MLAC et aux premières luttes féministes, la solidarité avec le peuple palestinien.
Le récit de Ravenel, largement fondé sur l’exploitation de archives du PSU, aboutit à un effet de loupe sur le rôle de ce seul parti. La question de la dynamique autonome de ces mouvements rapportée aux objectifs politiques propres du PSU n’est de fait pas traitée. Il reste, ce que montre bien le livre de Ravenel, que le PSU a cherché systématiquement à établir des passerelles entre les revendications issues de ces mouvements sociaux et les partis, PS et PCF.
Alors que le programme commun visait à l’ occupation de l’appareil d’État, l’auteur signale que « la critique du PSU porte pour l’essentiel sur le fait que l’État est appelé à jouer un rôle déterminant au détriment de toute logique autogestionnaire ». Mais si certains courants avaient interprété cette critique comme un appel à subvertir par en bas un État demeuré bourgeois, la réalité de la politique appliquée fut celle de la réforme des réformes du Programme commun, en acceptant finalement son cadre stratégique.
L’entrée au gouvernement
C’est pourquoi, après la victoire de Mitterrand survenue en 1981, le PSU se trouva fort démuni. Signant un protocole d’accord avec un PS triomphant, il annonça son soutien « critique » au gouvernement avant d’avaliser la nomination de son ancienne candidate à présidence de la république, Huguette Bouchardeau, comme secrétaire d’Etat à l’environnement. Ravenel précise qu’il s’ y était opposé.
Le contexte précis de cette entrée au gouvernement, au printemps 1983, c’est celui de l’abandon définitif des promesses électorales de 1981 et du commencement de l’application de la politique de rigueur. Cette participation marqua, reconnaît Ravenel, la fin du PSU comme organisation indépendante avant son autodissolution en 1989.
Triste fin de parti !
Ce que restitue l’histoire racontée par Ravenel sur cette période de trente ans, c’est trois fois la répétition du même scénario, avec une direction qui se retrouve à l’étroit dans les rangs de son propre parti et s’en va vers les rives de la social-démocratie installée. A partir de 1965, ce fut le départ d’une part significative des dirigeants historiques du PSU ; en 1974, celui de Michel Rocard et de son courant vers le Parti socialiste ; et en 1986, celui de la ministre Huguette Bouchardeau.
Cette répétition décennale des départs des directions successives du PSU ne se réduit pas à une opposition récurrente entre une base militante authentique et une direction bureaucratisée. C’est bien la nature de ce parti qui est en cause, non pas oscillant entre réforme et révolution, mais écartelé dès sa création en 1960 entre, d’une part, sa volonté d’être reconnu comme parti de gouvernement et, d’autre part, une présence militante dans les mouvements sociaux qui l’a distingué du PS et du PCF.
Le « chaudron » de débats, selon l’expression de Ravenel, que fut le PSU ne peut être dissocié de la place qu’il occupa dans le champ politique de son époque, ni esquiver la discussion sur son insertion progressive dans les dispositifs politiques mis en place par le PS et le PCF. [3].
Bilan contre bilan, aucun des courants militants actifs dans les années 1970 n’a animé en Europe un processus débouchant sur une crise de nature révolutionnaire, posant la question du pouvoir politique pour les exploités. Dans les années Mitterrand et du Programme commun, l’indépendance maintenue de courants de l’extrême gauche révolutionnaire ainsi que leur implication dans les luttes ouvrières et les mouvement sociaux ont été une condition nécessaire de l’actualisation des nouvelles potentialités, ouvertes ensuite. Six ans après la fin de la séquence décrite dans le livre de Ravenel, l’ébranlement social de 1995 [4] ouvrait un nouveau cycle de luttes et de recomposition politique. Dans cette société en crise les brèches, d’où peut jaillir du nouveau pour nourrir une contestation radicale, ne sont pas prêtes de se refermer.
Jean-Claude Vessillier