Comment aider l’Algérie à faire face à la chute des prix du pétrole qui plombe dangereusement ses comptes publics ? Mounia Meslem, la ministre algérienne de la solidarité nationale, de la famille et de la condition de la femme, a eu une idée : les femmes mariées cadres de la fonction publique devraient céder leurs salaires à l’Etat… puisqu’elles ont un mari pour les entretenir.
En poste depuis 2013, la ministre l’a expliqué très sérieusement, mercredi 30 novembre devant les caméras de la chaîne de télévision privée El Bilad. Alors que le journaliste interrogeait des responsables politiques pour savoir s’ils étaient prêts à céder une partie de leurs émoluments dans le contexte actuel d’austérité, celle-ci a répondu : « J’ai dit que s’il fallait que l’on donne tout notre salaire mensuel, et j’ai parlé spécialement des femmes cadres de l’Etat qui sont mariées, ce serait avec plaisir. Il est clair que ce n’est pas ce salaire qui nous fait vivre. Il y a nos maris qui s’occupent de nous. »
Les déclarations de Mme Meslem ont été vertement reçues sur les réseaux sociaux. Les commentaires oscillant entre incrédulité devant de tels propos et colère d’entendre une ministre méconnaître la réalité sociale qui veut que nombre de femmes font vivre leur famille. Ces propos ne rendent en effet justice ni au sérieux de la crise financière que traverse le pays – celui-ci a perdu 70 % de ses revenus pétroliers en deux ans – ni au combat pour les droits des femmes mené depuis 1962.
« Changer les pratiques et les mentalités »
Au cœur du projet national à l’indépendance, l’égalité entre hommes et femmes a connu un grave recul en 1984 avec l’adoption du code de la famille, inspiré de la charia (loi islamique). Depuis, les associations de défense des droits des femmes n’ont cessé de se battre pour son abrogation, arrachant une première réforme en 2005. Outre l’instauration de quotas dans les assemblées élues, une loi votée en 2015 criminalise les violences contre les femmes.
A cette occasion, la militante Soumia Salhi, ancienne présidente de l’Association algérienne pour l’émancipation des femmes (AEF), rappelait : « Après l’indépendance de l’Algérie, il y a eu une généralisation de l’éducation pour toutes les filles. Aujourd’hui, on compte 65 % de femmes parmi les diplômés, 42 % des magistrats sont des femmes ! (…) Il y a eu une émergence spectaculaire des femmes, notamment dans la sphère professionnelle, qui n’a pas pu être entravée, même pendant la décennie noire. »
« Les femmes progressent partout, poursuivait Mme Salhi, nous avons aujourd’hui besoin de lois justes et égalitaires, mais aussi de politiques pour changer les pratiques et les mentalités. »
Le très drôle site parodique El Manchar n’a quant à lui pas manqué de se moquer de la ministre, expliquant que celle-ci aurait enfoncé le clou en déclarant : « Les femmes mariées dont les maris ont des reins doivent faire don des leurs à l’Etat. »
Charlotte Bozonnet