Le gouvernement Park a dès le début de son mandat en 2013, mis en œuvre une politique néolibérale, militariste et antisyndicale. Bien que cette tendance ne soit pas particulièrement nouvelle dans ce pays, les offensives réactionnaires n’ont jamais été aussi fortes en 30 ans. Bref panorama :
• Privatisation des services publics, notamment les services de santé et de transport ferroviaires.
• Criminalisation de dirigeant·e·s et militant·e·s syndicaux : plusieurs militant·e·s de la Confédération Coréenne des Syndicats ont été incarcérés et condamnés pour « entrave à l’activité économique ».
• Interdiction de partis politiques : le gouvernement a invoqué la Cour Constitutionnelle pour bannir le Parti Progressiste Unifié, invoquant la prévention d’une insurrection.
• Révisionnisme du passé dictatorial et autoritaire : remplacement des manuels scolaires d’histoire par des publications du gouvernement.
Une réunification impossible ?
Le prédécesseur de Mme Park a entamé le gel des relations intercoréennes en 2010, coupant l’aide publique humanitaire fournie à la population du Nord. La politique du gouvernement vis-à-vis de son homologue du Nord a touché le fond et les provocations dans les deux sens battent leur plein. D’un côté les essais balistiques de la Corée du Nord, qui incarnent l’éternelle menace nucléaire communiste. De l’autre, le maintien des exercices militaires sud-coréens avec le Japon et les Etats-Unis, des bases militaires américaines sur le sol coréen et la mise en place d’un bouclier anti-missiles balistiques (THAAD) à Seongju (135 km au sud de Séoul).
Malgré l’échec de la réponse militaire comme stratégie de résolution du conflit coréen depuis la fin de la guerre en 1953, l’essentiel de la politique à l’égard du Nord reste la même que pendant la Guerre Froide. La « politique du rayon de soleil » de 2000 à 2007, portée par l’opposition, a toutefois porté des espoirs de réunification. Ceux-ci ont été balayés par l’élection du conservateur Lee-Myung-Bak et enterrés par Mme Park. Cette impasse provoque des mécontentements de plus en plus importants au Sud, mais les élites conservatrices restent de marbre. De quoi alimenter la mobilisation.
L’étincelle Raspoutine…
C’est l’affaire « Choi-gate », du nom de Choi Soon-Sil, proche de la présidente, qui a mis le feu aux poudres de ces mobilisations de masse. Cette femme est elle-même la fille de Choi Tae-min. Dans les années 1970, ce dernier s’est attiré les faveurs de Park Chung-hee (ancien dictateur, assassiné en 1979 et père de l’actuelle présidente) en prétendant communiquer avec sa défunte femme, ce qui lui a valu le surnom de « Raspoutine coréen. » Choi Tae-min était aussi le chef d’une secte d’obédience chamanique, l’Eglise de la vie éternelle dont il a légué la direction à sa fille Soon-sil.
Ainsi est né le duo Park/Choi. En effet, l’actuelle présidente et la chamane nouent depuis plus de quarante ans une relation d’amitié et de confidence, qui s’est traduite par de considérables manœuvres de corruption : détournements colossaux de fonds publics par le biais d’un montage financier digne des Panama papers, constitué de sociétés écrans et de fondations détenues par les intéressées. Enfin, sans fonction officielle, elle était régulièrement mise au courant de décisions gouvernementales et de documents confidentiels, et a réussi à placer ses proches à des postes clés de la haute administration.
… et la main des Chaebols ?
Les conglomérats industriels sud-coréens (Chaebol) ne sont pas épargnés par la crise politique. Lundi 5 décembre, lors d’une émission en direct devant des millions de téléspectateurs·trices, le dirigeant de Samsung a avoué à demi-mot sa complicité alors que des journalistes l’interrogeaient sur des documents révélant que Samsung aurait financé Mme Choi à hauteur de plusieurs millions d’euros.
Et la suite ?
Au niveau parlementaire, une motion de censure a été déposée par l’opposition. Elle sera votée vendredi 9 décembre. 200 voix seront toutefois nécessaires pour que l’affaire soit portée à la Cour Constitutionnelle dans les trois mois qui suivent. 6 juges sur 9 doivent accepter la motion. Or, 6 juges ont été placés par la présidente elle-même. Ainsi, même en cas d’acceptation de la motion de censure vendredi, rien n’est définitif. Pour sa part, la présidente a déclaré vouloir se retirer de son poste et a chargé le Parlement d’élaborer un plan de sortie « la tête haute. »
Les mobilisations ne faiblissent pas, un appel à la grève générale le 30 novembre a été suivi par des syndicats dans divers secteurs de l’économie. Au parlement, l’opposition social-libérale – se dire « socialiste » dans ce pays peut mener à la prison pour des raisons de « menace à la sécurité intérieure » – reste ferme sur sa volonté de s’emparer du pouvoir.
Aujourd’hui, la mobilisation continue, le peuple est en colère et réclame un changement d’ampleur. Soutenons le peuple coréen dans ses luttes pour plus de justice sociale et démocratique !
Valentine Loup, Thomas Feron, Pierre Conscience