Des cours d’eau marron sale qui se jettent dans le fleuve Maroni, des chantiers boueux qui en labourent les criques et les berges, des parcelles de forêt primaire défrichées : voilà le spectacle qui s’offre aux inspecteurs de l’environnement lorsqu’ils survolent en hélicoptère le parc amazonien de Guyane. Car l’orpaillage illégal n’y a jamais été aussi intense. En décembre 2016, le conseil d’administration de cette immense aire protégée de 3,4 millions d’hectares a rendu public le pire bilan jamais dressé depuis le début des missions régulières de surveillance aérienne lancées en 2008, un an après la création du parc.
Or la recherche d’or dans les zones alluvionnaires et dans des galeries sous la canopée entraîne une série de dommages pour les populations – en particulier amérindiennes dont le mode de vie repose encore directement sur la qualité de leur environnement –, et pour l’exceptionnelle biodiversité de ce territoire d’Amazonie.
Fin novembre, lors de la troisième campagne de survol de 2016, les inspecteurs ont recensé 139 sites actifs d’orpaillage illicite, 10 % de plus qu’en juillet, 24 % par rapport à l’année 2015. Ils ont aussi repéré de nombreux puits de mine, 90 campements d’orpailleurs illégaux, plus un village entier clandestin, ainsi que des pistes tracées dans la forêt pour les quads : les pirogues ne sont plus l’unique moyen de ravitaillement des clandestins.
Gageure
La vaste commune de Maripasoula, frontalière du Suriname à l’ouest et du Brésil au sud, connaît la situation la plus critique avec 91 sites repérés, deux fois plus qu’en mars 2016. Douze barges y ont été vues – dont quatre en cours de construction sur place. Il n’y en avait qu’une il y a un an. En décembre, une expédition de la gendarmerie et des forces armées s’est finalement soldée par la destruction de treize barges à Maripasoula. La question est de savoir combien de temps les orpailleurs clandestins mettront à revenir…
Veiller sur une immensité pareille tient de la gageure. A partir de 2008, des renforts en hommes et en matériel ont été envoyés en Guyane. L’activité des garimpeiros avait à l’époque clairement ralenti, avant de repartir progressivement à la hausse depuis. Rien qu’en 2015, les militaires français ont effectué 65 missions terrestres, fluviales et aériennes. L’orpaillage représente 90 % des tâches de surveillance du parc. Mais, à la saison des pluies, les clandestins et leurs matériels réapparaissent dès que les gendarmes ont tourné les talons.
La ruée vers l’or en Guyane est le fait de quelques milliers de garimpeiros. Pour répondre à des commanditaires qui se gardent de venir eux-mêmes sur place, ces derniers traversent aisément le Maroni et l’Oyapock, les deux fleuves qui marquent les frontières avec les deux pays voisins sur des centaines de kilomètres. Avec un cours officiel qui dépasse les 35 000 euros le kilo, la quête du métal précieux attire aussi des candidats de l’intérieur. La production illicite est estimée à quelque neuf tonnes par an. L’extraction minière est généralement pratiquée à petite échelle ; elle est informelle, disséminée, mais a des effets redoutables.
Il s’agit même de l’activité qui a le plus d’impact social et environnemental dans les forêts de ce département d’outre-mer. Voilà ce qu’est venue expliquer en substance la directrice adjointe du parc, Bérénice Blin, devant la commission du développement durable de l’Assemblée nationale, en février 2016. Elle s’y est rendue accompagnée de représentants des Hurleurs de Guyane, une association en pointe pour dénoncer l’orpaillage illégal. La lutte contre ce phénomène est inscrite dans la charte même de l’espace naturel protégé.
« Véritable fléau »
Le WWF, le Fonds mondial pour la nature, qui mène aussi régulièrement campagne sur cette question, parle, lui, d’un « véritable fléau », car l’extraction s’accompagne d’une pollution généralisée des rivières et des nappes souterraines. Pour extraire un kilo d’or, les orpailleurs utilisent en moyenne 1,3 kg de mercure qui va immanquablement se disperser dans l’environnement.
« C’est le problème principal : ce contaminant se concentre dans les poissons – alors qu’une espèce sur cinq est endémique dans les cours d’eau de Guyane –, se retrouve dans l’ensemble de la chaîne alimentaire et intoxique les communautés locales », déplore Laurent Kelle, qui dirige le bureau du WWF à Cayenne.
La France a ratifié en 2013 la Convention de Minamata, qui vise, sous l’égide des Nations unies, à réduire la production et l’utilisation du mercure, à diminuer drastiquement ses émissions dans l’air, ses rejets dans l’eau et les sols afin « de protéger la santé humaine et l’environnement ». Laurent Kelle espère donc voir ces bonnes résolutions s’appliquer. « Un tiers du mercure dans le monde sert à l’orpaillage artisanal ! », assure-t-il. Dans les mines autorisées, en dehors du cœur du parc, des efforts sont réalisés pour contenir l’eau utilisée en circuit fermé.
En 2008, l’orpaillage en Guyane avait connu un pic qui s’était traduit par des dégradations accrues pour l’environnement : près de 200 km de cours d’eau pollués et 1 200 hectares de forêt détruits, selon l’Office national des forêts. Depuis, il semble que la coupe d’arbres tende à diminuer dans le département d’outre-mer, où la surveillance aérienne des forces de l’ordre oblige à une certaine discrétion. Ce n’est pas le cas dans le reste de la région. Le WWF appelle la France à passer un accord de coopération avec le Suriname comme elle l’a fait avec le Brésil. De ce côté-là de la frontière s’étend le parc Tumucumaque, de 3,8 millions d’hectares, pendant de celui de Guyane. A eux deux, ils forment le plus vaste espace protégé de forêt tropicale au monde.
Martine Valo
journaliste Planète au Monde