Au 1er janvier 2017, 80 % des 127 décrets d’application de la loi El Khomri sont parus. Si l’échéancier initial promis par le gouvernement n’a pas été entièrement tenu, tous les textes les plus offensifs sont tout de même sortis en un temps record. Comme quoi, quand il s’agit de répondre aux attentes du patronat, les moyens d’agir vite sont donnés à l’administration...
À titre de comparaison, des décrets créant des obligations à la charge des employeurs mettent parfois des années à être rédigés. Il aura ainsi fallu plus de trois ans pour que paraisse un décret créant de maigres nouvelles obligations à la charge des employeurs agricoles du secteur des travaux forestiers, par exemple l’obligation de mettre à disposition des ouvriers forestiers enchaînant des heures d’un travail pénible en pleine forêt « une quantité d’eau potable suffisante pour assurer leur propreté individuelle » et « un moyen de s’abriter dans des conditions satisfaisantes lorsque les conditions météorologiques le nécessitent »…
Pour la loi travail, il aura fallu moins de six mois pour que ses principaux points soient applicables. Petit tour d’horizon du paradis des patrons créé par le PS...
Licenciement pour motif économique
À compter du 1er janvier, une simple baisse du chiffre d’affaire de trois mois consécutifs autorisera un employeur de moins de 11 salariéEs à licencier. De 11 à 50 salariéEs, la baisse doit être de six mois consécutifs ; de 50 à 300, elle doit durer 9 mois et une année complète pour les entreprises de plus de 300.
Accords de chantage à l’emploi
Un nouveau type d’accords de chantage à l’emploi entre en vigueur : les accords de « préservation et de développement de l’emploi »... Ils viennent s’ajouter aux « accords de maintien de l’emploi » créés en 2013 mais qui n’avaient pas rencontré le succès espéré, car le patronat les trouvaient encore trop contraignants (il fallait justifier de « graves difficultés conjoncturelles » pour les conclure). Désormais, il suffira de préciser en préambule de l’accord qu’il permet de « préserver l’emploi » pour pouvoir ensuite imposer aux salariéEs une augmentation de la durée du travail sans augmentation de salaire.
Inversion de la hiérarchie des normes en matière de temps de travail
Dans ce domaine, la nouvelle architecture du code du travail consacre la primauté de la négociation collective, d’entreprise d’abord, de branche ensuite, sur la loi. Les possibilités de négocier de grandes régressions sociales sont désormais nombreuses. C’est dans ce domaine que la loi travail était la plus contestée côté salariéEs qui savent très bien que c’est notamment la porte ouverte à la fin des 35 heures... Et aussi donc la plus attendue côté patronal !
Les premiers accords sont annoncés, certains même déjà négociés et signés comme dans la métallurgie où l’UIMM a eu l’approbation de la CGC, de la CFTC et de FO pour mettre en place la modulation du temps de travail sur trois ans dans toute la branche (contre un an actuellement). Il s’agit d’un moyen de flexibiliser à l’extrême pour éviter de comptabiliser des heures supplémentaires. Et de toute façon, la majorité d’entre elles ne pouvant ensuite être payées qu’au bout de trois ans, il est clair qu’elles ne seront pas toute rémunérées...
Chez Renault, il est question d’intégrer cette modulation sur trois ans au futur accord de compétitivité en cours de négociation. Jeudi 5 janvier, les salariés de l’usine de Cléon en Seine-Maritime étaient en grève contre cet accord de chantage à l’emploi qui ne comporte d’ailleurs même pas de garanties sur l’emploi, les 3 600 embauches annoncées sur trois ans ne compensant pas les 4 500 départs prévus.
Des accords commencent également à être déposés par des entreprises qui étaient auparavant abonnées aux « demandes de dérogation à la durée maximale quotidienne de travail de 10 heures pour la porter à 12 ». Elles n’ont désormais plus besoin de demander l’autorisation de l’inspection du travail et peuvent, par simple accord d’entreprise, prévoir des journées de travail de 12 heures « pour des motifs liés à l’organisation de l’entreprise »...
Réforme de la médecine du travail
Autre aspect de la loi travail très attendu du patronat, les nouvelles règles relatives à la médecine du travail sont entréeS en vigueur au 1er janvier. Plus de visite d’aptitude à l’embauche : elle est remplacée par une « visite d’information et de prévention » qui ne sera plus obligatoirement réalisée par un médecin mais par un « professionnel de santé ». Le passage devant le médecin ne sera plus obligatoire que tous les 5 ans contre 2 auparavant (sauf pour les salariéEs exposés à des risques de type amiante...).
Quand on sait, par exemple, que les risques psychosociaux explosent et que la souffrance au travail est bien souvent sous-évaluée et réduite par l’employeur à des faiblesses individuelles, on imagine bien l’impact désastreux que peut avoir le fait de ne pas voir le médecin du travail et de ne plus avoir d’interlocuteur régulier en matière de santé au travail !
Alors certes, le recul n’est pas encore suffisant pour mesurer tous les effets de la loi travail, mais une chose est déjà sûre : si l’on laisse faire, les droits des travailleurs vont continuer d’être attaqués sans relâche. La loi prévoit en effet une réécriture totale du code du travail sur le modèle de la partie temps de travail. Dans ces conditions il n’y a qu’une seule solution, à imposer par nos luttes : l’abrogation de la loi travail !
Comité Inspection du travail Île-de-France