La terre a de nouveau tremblé en Italie ce mercredi 18 janvier. Au moins trois secousses d’une magnitude supérieure à 5 [1] ont frappé le centre du pays, une zone déjà durement touchée par une série de séismes survenus en août et en octobre 2016.
Le 24 août 2016, un fort séisme de magnitude 6,1 frappait en effet le centre de l’Italie à 3h36 du matin, surprenant les habitants dans leur sommeil. Il fait près de 300 victimes, dont plus de 200 dans la petite ville d’Amatrice, qu’il détruit presque totalement [2].
Deux mois plus tard, le 26 octobre en soirée, deux séismes de magnitude 5,5–5,9 frappent de nouveau la région [3], un peu plus au nord, dans le secteur de Norcia. Par chance, aucune victime n’est à déplorer.
Quatre jours plus tard, le 30 octobre au petit matin, la Terre se remet à trembler dans la région de Norcia [4], cette fois plus fort encore, produisant un séisme de magnitude 6,5. Les habitants, terrorisés mais avertis par les secousses précédentes, ont le temps de réagir et de se protéger ; bien que plus fort que tous les précédents, le séisme du 30 octobre ne fait aucune victime, seulement des blessés légers. Les dégâts matériels sont, en revanche, considérables.
Une cascade de séismes
Ainsi, ce n’est pas un mais une salve de forts séismes qui a frappé et meurtri l’Italie centrale ces derniers mois. Que s’est-il passé ? Pourquoi cette insistance de la terre à frapper plusieurs fois au même endroit ?
Les scientifiques et les populations savent de longue date que tout séisme est suivi de répliques [5], une multitude de chocs sismiques de magnitude plus faible que le séisme principal. Mais ici, il ne s’agit pas de répliques, mais de nouveaux forts séismes rompant de nouvelles portions de la croûte terrestre.
Ces événements se sont suivis en cascade, rompant chacun un morceau différent du grand système de failles qui borde à l’ouest les Monts Bove, Vettore, et Gorzano (voir le schéma ci-dessous). Long d’environ 70 kilomètres, ce système de failles d’« Amatrice-Monte Vettore » est l’un des plus importants d’Italie ; et l’un de ceux au niveau desquels la croûte italienne se déchire en tension.
Il n’est toutefois pas continu, mais découpé sur sa longueur en quatre tronçons principaux que les tectoniciens appellent « segments de faille ». Ces quatre segments ont une longueur assez semblable (de 10 à 20 km) mais sont disjoints et séparés latéralement par quelques kilomètres, de sorte que le tracé du système de failles est irrégulier, comme « saccadé ».
Isabelle Manighetti/Géoazur, Author provided
Principales failles actives – c’est-à-dire susceptibles de produire de forts séismes – de la région d’Amatrice-Norcia. Cette cartographie a été établie par l’auteur à partir de documents existants [6] complétés par l’analyse d’images satellitaires Google Earth et de données topographiques SRTM.
Le système de failles d’Amatrice-Monte Vettore apparaît constitué de quatre segments principaux, dont trois (en rouge) semblent avoir rompu en août et octobre 2016. La rupture de ces segments est déduite des données sismologiques, géodésiques et des observations de terrain reportées principalement par l’INGV, le CNRS-INSU, et le groupe COMET. Cette cartographie sera affinée dans les prochains mois à mesure que les analyses se précisent.
La segmentation et la maturité des failles
Les chercheurs ont depuis longtemps montré que la plupart des failles au monde sont segmentées sur leur longueur. Mais ça n’est que récemment que cette segmentation a été étudiée de façon systématique, et mise en regard de l’histoire sismique des failles.
Plusieurs découvertes importantes ont ainsi été faites : la plupart des failles sont divisées en un nombre similaire de grands segments, généralement de 3 à 4. Ces segments sont séparés par des zones, dites « d’inter-segment », dont les propriétés mécaniques diffèrent de celles des segments.
Or ces propriétés évoluent avec l’histoire de la faille [7], c’est-à-dire avec sa durée totale d’activité. Lorsque la faille est jeune ou « immature » (durée d’activité de quelques millions d’années tout au plus), ses segments sont peu connectés les uns aux autres et les zones d’inter-segments qui les séparent ont des propriétés mécaniques telles qu’elles forment de robustes « barrières » à la propagation de la rupture sismique.
Ainsi, un fort séisme sur une faille immature [8] ne parvient à rompre qu’un ou deux de ses grands segments car la rupture est rapidement arrêtée à l’un ou l’autre des inter-segments. Mais à mesure qu’une faille devient plus mature, les propriétés de barrière s’estompent aux inter-segments et la rupture sismique peut dès lors se propager plus avant, rompant un plus grand nombre de segments sur la faille.
Le système de failles d’Amatrice-Monte Vettore est immature, comme la plupart des failles extensives en Italie. Il est probable que cette immaturité, couplée à la segmentation du système de failles, ait conduit aux ruptures en cascades observées : le séisme du 24 août semble avoir d’abord rompu une section centrale du système de faille.
Puis, probablement « boostés » par cette première rupture, les séismes du 26 puis du 30 octobre ont rompu les deux segments nord du système. Le système de failles d’Amatrice-Monte Vettore a ainsi été rompu sur la quasi-totalité de sa longueur, à l’exception de son segment le plus au sud.
Quand les séismes passés éclairent sur les risques
Le risque sismique dans la région d’Amatrice-Norcia est donc élevé. Des résultats acquis au sujet des forts séismes qui ont affecté la région du Fucino ces derniers 15 000 ans suggèrent que ce risque est encore plus élevé qu’on pourrait le penser.
Dans le cadre du projet ANR QUAKonSCARPS, nous avons utilisé une méthode paléosismologique originale pour restituer l’histoire des forts séismes préhistoriques ayant rompu la dizaine de failles majeures qui ceinturent le bassin de Fucino.
Parmi ces séismes, citons celui d’Avezzano qui fit 30 000 victimes en 1915. Les résultats obtenus sont édifiants : plus de 30 forts séismes (d’une magnitude supérieure à 6–6,5) se sont produits dans la région ces derniers 15 000 ans. Chacun des « séismes » identifiés par la méthode est en réalité constitué d’une cascade de plusieurs forts séismes rompant une faille tout entière en quelques années seulement… L’équivalent de la cascade qui vient de rompre, ou est en train de rompre, le système de failles d’Amatrice-Monte Vettore.
Sur chaque faille, chaque cascade de forts séismes a été suivie de deux ou trois autres cascades similaires se succédant sur un temps court, quelques centaines d’années tout au plus. Chaque faille a donc « vécu » une période d’activité sismique paroxystique qui a duré quelques centaines d’années et impliqué plus d’une dizaine de forts séismes, avant d’être relayée par une période plus calme, sans ou avec très peu de forts séismes, heureusement plus longue (quelques milliers d’années).
Autre fait marquant : toutes les failles analysées sont entrées dans une phase paroxystique aux mêmes moments (moments estimés avec une incertitude de 100 à 200 ans) : il y a environ 11 000 ans, puis vers 4 500 ans, et plus récemment, il y a 1 500 ans. Enfin, chaque fort séisme a produit des déplacements verticaux en surface atteignant de 0,5 à 3 mètres, comme ceux que le séisme du 30 octobre 2016 a générés (voir la photo ci-dessous).
Quelles implications sur le risque sismique ?
Ces résultats changent profondément la vision que nous avions jusqu’alors du risque sismique.
Pendant longtemps, tant les scientifiques que les populations ont pensé que l’occurrence d’un fort séisme dans une région signifiait que les contraintes étaient relâchées, et que, de ce fait, l’occurrence d’un nouveau fort séisme était peu probable avant longtemps dans cette même région.
Nous savons aujourd’hui qu’il n’en est rien : un fort séisme peut au contraire être suivi par un ou plusieurs autres séismes forts se produisant en cascade sur des temps très courts (quelques heures, semaines ou mois) tandis que ces cascades peuvent, elles-mêmes, se répéter sur des temps relativement courts – de la centaine d’années à quelques siècles – et peuvent aussi se produire de façon synchronisée entre différentes failles distantes de quelques dizaines de kilomètres.
Les failles sismogènes du centre de l’Italie, et plus largement de l’ensemble du territoire, sont nombreuses et proches les unes des autres. Elles sont aussi segmentées latéralement : autant de facteurs qui induisent un risque sismique élevé dans tout le pays, et particulièrement dans les régions adjacentes à la zone Norcia-Amatrice. Au nord, car d’autres failles existent dans la prolongation du système d’Amatrice-Monte Vettore qui n’ont pas rompu depuis des siècles ; à l’ouest, car d’autres failles existent notamment près de Norcia et d’Amatrice et dont il ne fait aucun doute qu’elles sont mécaniquement connectées au système d’Amatrice-Monte Vettore ; au sud, enfin, car ce segment du système de failles n’a rompu ni en août ni en octobre dernier.
Au vu des localisations préliminaires des séismes de ce mercredi 18 janvier, c’est d’ailleurs ce segment sud qui semble avoir rompu, au moins partiellement.
Isabelle Manighetti
Sismotectonicienne, Laboratoire Géoazur, Observatoire de la Côte d’Azur, Université Côte d’Azur