« Les Chinois sont partis », se lamentent les représentants des mines de la République démocratique du Congo (RDC). Sur place, les effets du ralentissement de la deuxième économie mondiale se font cruellement sentir : la production de cuivre a chuté de 11,6 % sur un an au premier trimestre, celle de cobalt de 16,3 %, et plusieurs entreprises ont arrêté leur production au Katanga. Certaines temporairement, d’autres définitivement.
La Chambre des mines estime que les entreprises minières ont supprimé 3 000 emplois et leurs sous-traitants plus de 10 000. C’est pourtant dans ce contexte déprimé que le groupe chinois China Molybdenum a signé l’un des plus gros contrats de l’histoire du pays et le plus gros rachat privé à ce jour : la cession par le groupe américain Freeport-McMoRan de la mine congolaise de Tenke Fungurume pour plus de 2,6 milliards de dollars (2,3 milliards d’euros) [voir ci-dessous].
Ce montant pourra être augmenté de 120 millions de dollars en fonction de l’évolution des cours du cuivre en 2018 et 2019. Signé en mai, l’accord révèle l’intérêt toujours très fort de la Chine pour les richesses du sous-sol africain. Mais pas toutes les richesses. Car ce n’est plus le métal rouge qui motive les investisseurs chinois, mais le cobalt. Cet élément chimique est utilisé dans la fabrication de batteries.
Le cobalt a le vent en poupe
Longtemps un secteur de niche comparé au cuivre, le cobalt a le vent en poupe en raison de l’explosion du téléphone portable et surtout du marché de la voiture électrique en Chine. Les ventes de véhicules zéro émission en Chine ont quadruplé en 2015 pour atteindre 247 000 véhicules électriques et 84 000 hybrides rechargeables, selon la fédération chinoise du secteur. Soit 1 % des 24,6 millions de ventes dans le plus grand marché automobile de la planète. Et, pour les faire tourner, les constructeurs ont besoin du cobalt africain.
« Actuellement, l’essentiel du cobalt part directement en Chine, explique Edward Spencer, un analyste spécialiste du trading des métaux au sein du cabinet CRU. La demande est juste énorme. » Si l’accord pour la reprise de Tenke va à son terme, les entreprises chinoises contrôleront 62 % de la production mondiale de cobalt raffiné, selon CRU.
La RDC est l’un des pays les plus pauvres du continent, mais il domine largement le marché du cobalt en fournissant plus de la moitié de la production mondiale. La mine de Tenke se trouve à 175 km au nord-ouest de Lubumbashi. En 2015, plus de 16 000 tonnes de cobalt ont été extraites de ses entrailles et ses réserves sont estimées, à ce rythme, à plus de vingt-cinq années.
Effondrement de la demande chinoise
La RDC est l’un des principaux points d’entrée de la Chine en Afrique centrale. Le modèle congolais ressemble d’ailleurs beaucoup à celui déployé par les Chinois en Angola au début des années 2000. A l’époque, la Chine raflait l’essentiel de la production pétrolière du pays. C’était avant la crise des années 2008-2009 et avant l’effondrement de la demande chinoise, il y a tout juste un an.
Aujourd’hui, c’est au Congo-Kinshasa que les stratèges chinois opèrent. Les chiffres sont difficiles à vérifier mais, selon plusieurs cabinets spécialisés dont Macquarie et Chatham House, 93 % du cobalt utilisé par la Chine proviendrait directement de RDC. Ce qui représente à la fois une nouvelle chance pour le Congo, mais aussi un gros risque pour la Chine, qui redoute toujours d’être trop dépendante d’un seul pays.
« Si l’on prend l’exemple du lithium, l’autre composant des batteries, la Chine produit 17 % de sa consommation. Mais, dans le cas du cobalt, la Chine doit s’en remettre quasi exclusivement à la RDC », explique Colin Hamilton, analyste chez Macquarie dans le quotidien britannique Financial Times. « Quand vous avez ce degré de concentration, vous voulez d’abord sécuriser votre approvisionnement. »
« L’incurie du gouvernement congolais »
« Mais le problème, c’est l’incurie du gouvernement congolais, explique Jacob Kushner, un journaliste américain qui a longtemps travaillé sur les investissements chinois au Congo. Dans son enquête, débutée en 2013, il mettait déjà en lumière le fossé qui sépare l’énormité des investissements chinois au Congo avec la pauvreté des populations locales. « Les investissements chinois au Congo ont toujours été très importants avec de gros contrats négociés d’Etat à Etat. Des chantiers d’infrastructures, des mines, mais aussi de petits restaurants et des échoppes créés par des migrants chinois. Deux mondes différents que j’ai souhaité étudier pour voir comment les investissements chinois ont changé le Congo », nous explique-t-il. « Ces dernières années il y a eu encore davantage d’investissements chinois au Congo. Mais ce qui a vraiment changé, c’est la crise et la grande peur pour l’Afrique que ces investissements chinois diminuent… L’Afrique dépend beaucoup de la Chine, beaucoup trop peut-être. »
La baisse de la demande en cuivre congolais pourrait-elle être compensée par le cobalt ? Le problème principal est celui de la dette. Le sous-sol de la RDC est l’un des plus riches du monde, mais le pays peine à rembourser ses dettes. En 2007, la Chine a accordé pour 8,8 milliards de dollars de prêts au Congo afin de réanimer le secteur minier. En contrepartie de l’exploitation du sous-sol congolais, la Chine s’était engagée à construire les infrastructures essentielles du pays. Un « troc » dénoncé par le FMI et son président de l’époque, Dominique Strauss-Kahn.
« Aucun contrôle, aucun garde-fou »
« La question que tout le monde se pose est : comment les responsables politiques congolais ont utilisé l’argent investi par la Chine dans leur pays ?, lance Jacob Kushner. Il y a besoin de plus de transparence sur ces méga-projets et les dettes qu’ils engendrent. Mais il ne faut pas accuser seulement les entreprises chinoises. La corruption est engendrée par l’ensemble des entreprises minières d’où qu’elles viennent », et à ce titre la reprise de la mine de Tenke ne devrait donc pas changer grand-chose. « Les investissements chinois ne posent pas de problème dans des pays où il y a peu de corruption, comme en Europe ou en Australie. En revanche, en Afrique il n’y a aucun contrôle, aucun garde-fou, précise le journaliste aujourd’hui installé au Kenya. La corruption est partout. »
Les leçons du passé pourront-elles être tirées ? « Nous avons tellement de ressources dans ce pays, explique Emery Kalamba, avocat et opposant au régime de Joseph Kabila. Mais à cinq minutes seulement de mon cabinet, les gens n’ont même pas l’électricité… Les gens s’inquiètent davantage de l’eau que des autoroutes. Je ne blâme pas les Chinois, mais je veux savoir où passe l’argent. »
Sébastien Le Belzic
chroniqueur Le Monde Afrique, Hongkong
* LE MONDE Le 05.07.2016 à 12h18 • Mis à jour le 05.07.2016 à 12h25 :
http://www.lemonde.fr/afrique/article/2016/07/05/ou-est-passe-l-argent-chinois-investi-au-congo-kinshasa_4964053_3212.html
* Sébastien Le Belzic est installé en Chine depuis 2007. Il dirige le site Chinafrica. info, un magazine sur la « Chinafrique » et les économies émergentes.
En RDC, de l’électricité chinoise pour des mines sino-congolaises
Un consortium chinois va construire un barrage hydroélectrique de 240 MW au Katanga pour fournir l’électricité nécessaire à la production du cuivre.
Les autorités congolaises ont signé lundi 6 juin à Kinshasa un accord confiant à un consortium chinois la construction d’une centrale hydroélectrique de 240 mégawatts (MW), destinée à combler une partie du déficit énergétique freinant la production minière en République démocratique du Congo.
Le barrage de Busanga, en aval de deux autres centrales existantes sur le cours supérieur du fleuve Congo au Katanga (sud-est de la RDC), doit être réalisé dans « les cinq prochaines années » a déclaré à l’AFP Moïse Ekanga, directeur du Bureau de coordination de la coopération sino-congolaise.
Le coût de la construction n’a pas été révélé. L’électricité produite doit être affectée prioritairement à la Sicomines (Société sino-congolaise des mines), qui a sorti sa première cathode (feuille de cuivre raffiné) en novembre.
Contrat gigantesque
Cette coentreprise est le fruit d’un gigantesque contrat signé par Pékin et Kinshasa en 2007. Aux termes de cet accord, la Chine s’est engagée à construire des infrastructures (routes, hôpitaux, écoles...) en échange de concessions minières en RDC et de prêts à l’Etat congolais.
L’accord a dû être renégocié pour offrir des termes plus avantageux au Congo en 2008. Il avait été dénoncé comme léonin par le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale.
Assise sur des réserves évaluées à 10 millions de tonnes en cuivre, la Sicomines a pour objectif de produire 400 000 tonnes par an. Selon M. Ekanga, la Sicomines importe actuellement l’essentiel de ses besoins en électricité de la Zambie.
Cinquième producteur mondial de cuivre grâce à ses gisements du Katanga, la RDC est durement frappée par la chute des cours des matières premières provoquée par le ralentissement de l’économie chinoise.
Le patronat congolais déplore depuis des mois un déficit chronique d’énergie au Katanga entravant l’essor du secteur minier, à l’origine de la forte croissance économique qu’a connue le pays de 2012 à 2016 avec une progression de plus de 7% du PIB par an en moyenne.
Dans un communiqué publié lundi, la Chambre des mines congolaises (patronat) se réjouit de l’annonce récente d’un projet de développement de l’énergie solaire en Zambie devant apporter 100 MW supplémentaires à la région.
Elle demeure cependant « extrêmement préoccupée » par la desserte en électricité en RDC et déplore que la compagnie publique congolaise « n’ait pas été en mesure de lancer des projets similaires au Katanga ».
Le Monde.fr avec AFP
* Le Monde.fr. 07.06.2016 à 14h48 :
http://www.lemonde.fr/afrique/article/2016/06/07/en-rdc-de-l-electricite-chinoise-pour-des-mines-sino-congolaises_4941039_3212.html#JgwQIqRF6EZegkGP.99
RDC : un groupe chinois s’offre une mine de cuivre pour 2,6 milliards de dollars
Le groupe américain Freeport McMorann, qui en détient 56 %, cède cette mine de cuivre et de cobalt du Katanga.
Le groupe américain Freeport-McMoran a annoncé lundi être parvenu à un accord portant sur la cession de la mine congolaise de Tenke Fungurume (Congo-Kinshasa) au groupe chinois China Molybdenum pour plus de 2,6 milliards de dollars.
Freeport McMoran détient 56 % de cette mine de cuivre et de cobalt qu’elle exploite au Katanga (sud-est de la République démocratique du Congo) et qui fait du groupe américain l’un des principaux contributeurs individuels au budget de l’Etat congolais.
La transaction doit passer par la cession de la société-mère de Tenke Fungurume Mining (TFM) TF Holdings, immatriculée aux Bermudes, pour un montant de 2,65 milliards de dollars, indique Freeport-McMoran dans un communiqué.
L’évolution des cours
Ce montant pourra être augmenté de 120 millions en fonction de l’évolution des cours du cuivre en 2018 et 2019, ajoute le groupe basé Phoenix, capitale de l’Arizona (Etat du sud-ouest des Etats-Unis).
Outre TF Holdings, les autres actionnaires de TFM sont Lundin Mining, société de droit canadien, et la compagnie minière publique congolaise Gécamines.
« Nous venons d’avoir l’information, nous n’avons pas été associés » aux tractations entre Freeport et China Molybdenum, a déclaré à l’AFP Valéry Mukasa, directeur de cabinet du ministre des mines congolais, Martin Kabwelulu, ajoutant que l’Etat congolais percevrait « des droits » lors de la vente, que Freeport veut clore avant la fin de l’année.
Le Monde.fr avec AFP
* Le Monde.fr. Le 09.05.2016 à 16h20 • Mis à jour le 09.05.2016 à 16h30 :
http://www.lemonde.fr/afrique/article/2016/05/09/rdc-un-groupe-chinois-s-offre-une-mine-de-cuivre-pour-2-6-milliards-de-dollars_4916146_3212.html