L’opération « Sentinelle » a été mise en place à la suite des attentats de janvier 2015. Des militaires qui l’assurent ont été pris pour cible vendredi 3 février, au Carrousel du Louvre, à Paris.
Une agression à la machette a visé quatre militaires de cette force, qui représente une mobilisation sans précédent de l’armée sur le territoire national depuis la guerre d’Algérie. « L’opération “Sentinelle” a une fois de plus prouvé son efficacité », a salué le président de la République, François Hollande.
Près de 7 000 hommes mobilisés
Les quatre soldats attaqués au Louvre appartiennent au 1er régiment de chasseurs parachutistes de Pamiers (Ariège). Ils font partie des 7 000 soldats déployés en permanence en France, dont la moitié en région parisienne, dans le cadre de l’opération « Sentinelle ».
Ces moyens, fournis par l’armée de terre, peuvent aller jusqu’à 10 000 militaires en cas d’attentat ou d’événement d’envergure à protéger. Ce fut notamment le cas au cours de l’Euro 2016 de football, qui s’est tenu en France en juin. Les soldats protègent notamment des sites religieux (églises, mosquées, synagogues…) ou touristiques très fréquentés (monuments, gares…. ) particulièrement exposés au risque terroriste.
A l’origine postés à l’entrée de ces sites sensibles, ils sont depuis septembre 2016 beaucoup plus en patrouille. Ce mode opératoire est jugé plus efficace par l’armée et rend les militaires mois repérables et vulnérables. Ils sont toutefois présents « de manière quasi permanente » sur certains sites très fréquentés, comme le Musée du Louvre, selon le porte-parole du gouverneur militaire de Paris, le colonel Benoît Brulon.
Des miliaires de l’opération « Sentinelle » déjà attaqués
Ce n’est pas la première que des militaires de cette force sont visés par une attaque. En février 2015, trois soldats en faction devant un centre communautaire juif avaient été agressés au couteau à Nice.
Près d’un an plus tard, en janvier 2016, un Français d’origine tunisienne avait foncé en voiture sur quatre militaires en faction devant la mosquée de Valence (Drôme), qui l’avaient grièvement blessé en ripostant.
Une opération militaire critiquée
En attendant le recrutement de 11 000 soldats supplémentaires en 2016 et 2017, l’opération « Sentinelle », montée dans la précipitation, pèse fortement sur les militaires. Entre opérations extérieures (Mali, Centrafrique…) et « Sentinelle », ils sont éloignés jusqu’à deux cent vingt jours par an de leur domicile.
Autre signe inquiétant, leur nombre de jours d’entraînement a chuté à soixante-cinq en 2015 et à environ soixante-dix en 2016. Loin de l’objectif de quatre-vingt-dix défini dans la loi de programmation militaire.
« L’opération “Sentinelle” déséquilibre l’activité des forces terrestres, dont la préparation opérationnelle reste la variable d’ajustement », déplorait en novembre le député socialiste François Lamy, membre de la commission de la défense à l’Assemblée nationale. Rapporteur de la commission d’enquête parlementaire sur les attentats du 13 novembre, le député socialiste Sébastien Pietrasanta avait également mis en doute l’efficacité de l’opération « Sentinelle » en juillet : « Alors que cette contribution qui a été jusqu’à dix mille hommes est encore aujourd’hui de six mille à sept mille soldats, je m’interroge sur la valeur ajoutée réelle dans la sécurisation du territoire national. »
Le Monde.fr avec AFP
* Le Monde.fr | 03.02.2017 à 20h35 :
http://www.lemonde.fr/police-justice/article/2017/02/03/sentinelle-une-operation-militaire-de-7-000-soldats-sur-le-territoire-national_5074430_1653578.html
Avec le maintien de l’opération « Sentinelle », l’armée de nouveau en première ligne
L’opération « Sentinelle » est maintenue à dix mille soldats. Les actions en Syrie et en Irak vont être renforcées.
Les chefs d’état-major de l’armée française se sont réunis en urgence, vendredi 15 juillet, dans l’après-midi, pour mettre en œuvre les mesures prises par François Hollande en conseil restreint le matin même. Le président de la République a de nouveau présidé un conseil restreint de sécurité et de défense samedi 16 juillet, et un autre était prévu lundi matin.
Après la tuerie du 14-Juillet à Nice, le chef de l’Etat a de nouveau placé la réponse militaire en tête de ses décisions. L’opération de protection du territoire, « Sentinelle », est ainsi maintenue « à un haut niveau », soit 10 000 soldats, a-t-il déclaré. Le président a en outre indiqué : « Nous allons encore renforcer nos actions en Syrie comme en Irak. » Là, 1 300 soldats sont déjà engagés dans l’opération « Chammal », à terre dans des missions de conseil et dans les airs pour des frappes. Pour les armées, suremployées depuis des mois, la conjugaison de ces renforcements intérieur et extérieur est un défi humain à hauts risques.
Le crescendo de l’opération syro-irakienne n’est pas directement lié au dernier attentat qui a endeuillé la France : il est planifié de longue date par la coalition menée par les Etats-Unis en vue de la reprise des fiefs de l’organisation Etat islamique (EI), à Rakka (Syrie) et Mossoul (Irak). Dès le 13 juillet, devant les personnels du ministère de la défense, M. Hollande avait ainsi précisé que les missions de l’armée de terre auprès des forces irakiennes seraient intensifiées et que le porte-avions Charles-de-Gaulle repartirait en octobre rejoindre « Chammal », « pour détruire ceux qui nous ont agressés ici, en janvier et en novembre 2015 ». Ce sera le quatrième déploiement du groupe aéronaval français.
Un vivier de forces rentable
Il devait donc y avoir à l’automne un nouveau « surge » sur ce théâtre, à coups de forces spéciales, d’unités régulières et de Rafale. Des débuts de « Chammal », en septembre 2014, à juin 2016, l’armée française a effectué 4 000 sorties aériennes et mené 600 frappes (10 % du total) en appui des forces irakiennes, tuant quelque 1 100 combattants de l’EI. Les forces spéciales ont formé quelque 1 500 commandos irakiens et appuyé les peshmergas kurdes à qui la France livre des armes.
Un autre renforcement des opérations, celui de l’opération « Barkhane », au Sahel, a débuté il y a plusieurs mois contre les groupes djihadistes dans le nord du Mali et doit se poursuivre. Mais autant le bilan de l’engagement extérieur peut apparaître positif – l’EI recule sur le terrain en Irak, dans une moindre mesure en Syrie, et l’organisation semble contenue en Libye, où la France poursuit des actions militaires discrètes –, autant la présence de milliers de soldats en armes dans les villes françaises fait débat. « Les militaires de “Sentinelle”, qui font un boulot formidable depuis des mois, sont harassés. Il faut les relayer » par des policiers, a déclaré Alain Juppé (Les Républicains), vendredi sur Europe 1.
Les armées offrent un vivier de forces rentable pour le gouvernement. Pour assurer une garde 24 heures/24 sur un site sensible, il faut 5,77 policiers contre 3,69 militaires, ont établi les parlementaires. Sous pression, « au taquet » selon son patron, le général Pierre de Villiers, l’armée est de fait utilisée au-delà du contrat fixé par l’exécutif – le niveau de 10 000 hommes est en théorie prévu pour un mois, compte tenu des moyens alloués dans le budget. Ainsi, les 70 000 soldats de « Sentinelle », qui se sont relayés en 2015, ont représenté 105 % de la force disponible.
Tâches de sécurité usantes et peu gratifiantes
Pour répondre, il faut rogner sur l’entraînement, mais aussi sur les congés et la régénération des forces. Les nouvelles embauches décidées par le chef de l’Etat en 2015 ne seront opérationnelles que fin 2017, et elles ne suffiront pas. Selon les députés Olivier Audibert Troin (LR, Var) et Christophe Léonard (PS, Ardennes), qui viennent de remettre un rapport sur le sujet, « pour pouvoir déployer 10 000 hommes dans la durée, il faudrait 86 000 hommes dans la force opérationnelle terrestre » ; or celle-ci doit prochainement atteindre 77 000 hommes.
L’armée planifiait un retour rapide de « Sentinelle » à 7 000 soldats après l’Euro de football, certains plaidant même pour une réduction beaucoup plus forte – hors situation d’urgence, bien sûr. Il fallait durant l’été accorder des permissions et préparer les « opex ». « L’opération “Sentinelle” n’a pas vocation à s’inscrire dans la durée », ont aussi conclu, le 5 juillet, les parlementaires de la commission d’enquête Fenech sur les attentats de novembre 2015. Tout comme Vigipirate, « l’incidence réelle sur la menace terroriste de cette posture générale pourrait être discutée, elle n’a pas réellement permis de prévenir un attentat depuis 1995 », écrivent-ils. D’autant que, loin d’exercer leurs compétences propres, « la moitié des militaires déployés continuent à effectuer des gardes statiques – soit une proportion bien plus importante que celle observée pour les forces de sécurité intérieure ».
Les états-majors assistent ainsi à une dégradation du moral et ont des difficultés à fidéliser les jeunes soldats confrontés à des tâches de sécurité à la fois usantes et peu gratifiantes. Un cercle vicieux.
Les militaires insistent sur le fait que, par nature, « l’ennemi terroriste contourne la force ». Les députés de la commission Fenech ont rappelé que les « Sentinelle » n’ont utilisé qu’une fois leur arme, le 1er janvier, quand un homme en voiture a attaqué des soldats en faction à Valence. Sans se servir de leurs fusils, « ils ont fait usage de la force à vingt-huit reprises, dont dix-sept fois en état de légitime défense, six en prêt de main-forte aux forces de l’ordre et cinq pour des interpositions ou flagrants délits ». En outre, ils ont constitué 1 302 périmètres de sécurité, prêté main-forte aux forces de sécurité intérieure à 285 reprises, et porté 151 fois secours à la population.
Nathalie Guibert
* LE MONDE | 16.07.2016 à 10h50 • Mis à jour le 17.07.2016 à 07h42 :
http://www.lemonde.fr/international/article/2016/07/16/l-armee-de-nouveau-en-premiere-ligne_4970588_3210.html