La mobilisation, soutenue par des collectifs de citoyens, dénonce globalement les problèmes du territoire en matière de santé, d’éducation, d’économie, de sécurité, d’accès au foncier ou de logement.
Touchée depuis plusieurs jours par une série de mouvements sociaux, la Guyane, collectivité territoriale de plus de 250 000 habitants, voit la mobilisation prendre de l’ampleur, avec le vote, samedi 25 mars, par l’Union des travailleurs guyanais (UTG) de la grève générale à compter de lundi. La mobilisation, soutenue par des collectifs de citoyens, dénonce globalement les problèmes du territoire en matière de santé, d’éducation, d’économie, de sécurité, d’accès au foncier ou de logement.
Grève générale pour « protéger les salariés grévistes »
En votant à l’unanimité la grève générale à compter de lundi, les 37 syndicats réunis au sein de l’UTG souhaitent protéger les salariés grévistes dans des secteurs très divers, a précisé Albert Darnal, le secrétaire général de l’organisation.
Regroupant pêle-mêle des salariés d’EDF, des collectifs contre l’insécurité, un collectif dénonçant l’insuffisance de l’offre de soins et les retards structurels en matière de santé, ou encore des socioprofessionnels et des transporteurs, le mouvement de protestation a notamment monté des barrages obstruant depuis jeudi une dizaine de ronds-points stratégiques du littoral guyanais, bloquant notamment l’entrée de Cayenne.
Barrages filtrants et vols annulés
Ces barrages routiers filtrants, soutenus par la classe politique locale, rendent les déplacements motorisés très difficiles, à l’exception de ceux des véhicules d’urgence. Par ailleurs, les écoles, l’université, le port de commerce, les administrations et certains commerces sont fermés depuis jeudi.
Air France a pour sa part fait savoir qu’elle annulait ses deux vols long-courriers de Paris-Orly à Cayenne dimanche et lundi. « Nous ne pouvons pas assurer ces vols pour des raisons opérationnelles », a expliqué le porte-parole de la compagnie aérienne, évoquant notamment des problèmes sur place d’approvisionnement des appareils en carburant et des difficultés de circulation au sol.
Quant à Arianespace, elle a dû ajourner le lancement d’une fusée.
Une délégation interministérielle sur place
Conduite par Jean-François Cordet, conseiller maître à la Cour des comptes et ancien préfet de Guyane, la délégation interministérielle est arrivée samedi après-midi. Elle est composée de plusieurs hauts fonctionnaires connaissant bien la situation guyanaise, issus de différents ministères. Elle comprend aussi Michel Yahiel, commissaire général de France Stratégie et ex-conseiller social de François Hollande.
Pour l’instant, certains protestataires refusent de rencontrer la délégation, réclamant la venue de ministres. Mais la ministre des outre-mer, Ericka Bareigts, a fait savoir dimanche qu’elle remettait une éventuelle visite « lorsque les conditions seront réunies et que les choses auront bien avancé », assurant qu’elle n’avait pas « peur » de se rendre en Guyane.
La ministre estime en effet que les membres de la délégation « écoutent, font un état des lieux très précis et agissent ». « La preuve hier, la mission a déjà annoncé des mesures très concrètes », a-t-elle souligné, citant le maintien du centre médical de Kourou, ou encore l’expérimentation d’un scanner à l’aéroport « pour le contrôle du trafic de drogue ». En ce qui concerne le renforcement de la sécurité, Ericka Bareigts n’a pas exclu l’envoi de troupes supplémentaires, en plus de celles déjà envoyées en renfort.
Jeudi, elle avait proposé la tenue de discussions à Paris autour de l’économie, de la santé et de la sécurité, les principaux sujets de revendication des manifestants, afin de « traiter sans délai les problèmes immédiats ». Une demande rejetée par les participants aux mouvements sociaux, refusant de se rendre à Paris pour négocier avec le gouvernement.
Les candidats à l’élection présidentielle s’emparent du sujet
Dimanche, Emmanuel Macron, candidat d’En Marche ! à l’élection présidentielle, a appelé – comme le premier ministre – à « revenir à la raison et au calme » et préconisé que « l’Etat doit investir massivement, en termes d’infrastructures, de développement, pour aider le territoire guyanais à s’en sortir. » De nombreux autres candidats à l’élection présidentielle ont évoqué la question guyanaise au cours du week-end. « Cette situation est la conséquence de l’échec de la politique de François Hollande », a accusé François Fillon, là où Marine Le Pen a elle dénoncé le « service cruellement minimum » des gouvernements successifs vis-à-vis du territoire ultramarin. En meeting à Rennes, Jean-Luc Mélenchon a lancé un salut de solidarité à la Guyane.
Dimanche soir, le gouvernement a dénoncé « l’instrumentalisation à des fins électoralistes » de la « crise sociale » en Guyane par « certains candidats à l’élection présidentielle ou leur porte-parole », en visant François Fillon et Marine Le Pen notamment. Dans un communiqué, les ministres Matthias Fekl et Ericka Bareigts ont villipendé « l’invective, l’outrance et l’approximation » de candidats « qui ne semblent découvrir les outre-mer qu’à l’occasion des campagnes électorales » et « portent des propositions dangereuses qu’il convient de rappeler, comme la modification de la rémunération des fonctionnaires ou de la défiscalisation des aides à l’investissement ».
Le Monde.fr avec AFP
* Le Monde.fr | 25.03.2017 à 17h55 • Mis à jour le 26.03.2017 à 20h59 :
http://www.lemonde.fr/societe/article/2017/03/25/guyane-les-syndicats-votent-la-greve-generale-a-compter-de-lundi_5100885_3224.html
La Guyane en proie à des mouvements de blocage
Plusieurs collectifs dénoncent le malaise social et entendent lutter contre l’insécurité record qui touche le département d’outre-mer.
Cagoules, tee-shirts et pantalons noirs, carrures imposantes : depuis sa première apparition il y a deux mois à Cayenne, le Collectif des 500 frères contre la délinquance fait sensation. Créé après le meurtre d’un habitant d’un quartier populaire, ce collectif constitué en réalité d’une bonne centaine de personnes propose aux autorités ses solutions contre l’insécurité record qui frappe la Guyane, territoire français le plus meurtrier, avec 42 homicides en 2016 pour 252 000 habitants. Parmi les pistes proposées, l’éradication des squats, le maintien d’un escadron de gendarmes mobiles affecté en renfort, ou encore le renvoi dans leur pays des détenus étrangers pour y purger leur peine (plus de 50 % des détenus en Guyane).
« Il y a eu, depuis vingt ans, de nombreuses marches blanches contre la violence, personne n’a été entendu », explique Zadkiel Saint-Orice, l’un des porte-parole du collectif. « La cagoule en plein état d’urgence, c’est juste pour attirer l’attention, faire quelque chose de différent », ajoute-t-il. Le 17 mars, à Cayenne, une quarantaine de « frères » sont entrés en force dans le bâtiment de la collectivité territoriale de Guyane (CTG) où se tenait la conférence des pays de la convention de Carthagène sur la protection des milieux marins, présidée par Ségolène Royal. Si la ministre du développement durable est restée stoïque, dialoguant brièvement avec le collectif, certains représentants étrangers ont eu peur, croyant à un moment à une « attaque terroriste », selon le président de la CTG, Rodolphe Alexandre.
Jonction des mouvements
« Nous ne sommes pas une milice, nous manifestons sans arme, avec comme seul accessoire notre cagoule », précise Zadkiel Saint-Orice, qui défend le caractère non violent du mouvement. Mardi, les « 500 frères » ont rejoint un autre collectif, les Toukans, et le syndicat Union des travailleurs guyanais (UTG) d’EDF, qui bloquent depuis lundi 20 mars le rond-point à l’entrée du Centre spatial guyanais, à Kourou. Les Toukans revendiquent le gel de la vente de l’hôpital de Kourou par la Croix-Rouge à un opérateur privé, et des mesures contre l’insécurité dans la ville. Les grévistes d’EDF réclament des recrutements pour combler des dizaines de postes vacants – selon le syndicat – , et des investissements dans un territoire où les coupures sont fréquentes et où des milliers d’habitants n’ont pas l’électricité.
Par ailleurs, une grève à la société Endel Engie lancée lundi a empêché le transfert de la fusée Ariane 5 sur son pas de tir, et entraîné un double report du lancement de deux satellites, désormais prévu jeudi 23 mars. Trois autres sites sont bloqués : à Cayenne, des camions stationnent devant le siège de la CTG pour réclamer la mise en place d’un « plan Marshall » pour la Guyane. A Rémire-Montjoly, à la périphérie de Cayenne, l’Union guyanaise des transporteurs routiers bloque le port de commerce pour revendiquer une répartition plus favorable aux petites entreprises du marché de la construction du pas de tir de la future Ariane 6. Enfin, des organisations agricoles bloquent la Direction de l’agriculture et de la forêt, pour obtenir le déblocage des aides européennes du Plan de développement régional de la Guyane. Mardi 21 mars, le préfet, les responsables du spatial et d’EDF, les élus et les protestataires se sont réunis à Kourou, sans résultat.
Malaise économique et social
« On a décidé de bouger ensemble pour débloquer une situation qui dure depuis plusieurs années, avec en plus l’insécurité grandissante », témoigne Patrick Labranche, président de la coopérative Paysans de Guyane et ancien président de la chambre d’agriculture. « Le malaise est social, identitaire et culturel », ajoute Rodolphe Alexandre, le président de la CTG. En Guyane, le taux de chômage est de 22 %, une famille sur quatre et 40 % des enfants vivent sous le seuil de pauvreté, et les collectivités sont débordées par la croissance démographique de 2,8 % par an, due à la forte natalité et à l’immigration.
Le Pacte pour l’avenir de la Guyane, un plan d’investissements promis en décembre 2013 par François Hollande, n’a toujours pas été signé, Paris et Cayenne se renvoyant la faute du retard pris dans l’élaboration du document. Il devait accompagner la mise en place début 2016 de la collectivité territoriale de Guyane, fusion des conseils régional et général.
Le 17 mars, Ségolène Royal a signé avec le président de la CTG un protocole d’accord finalisant ou ajoutant des éléments au pacte d’avenir, dont 60 millions d’euros de l’Etat pour construire un lycée et deux collèges. Alors que Rodolphe Alexandre se disait prêt à signer le document final avec l’Elysée, il a décidé de relancer la négociation, dans un courrier adressé mardi à François Hollande, considérant que « ces éléments restent très en deçà de ce dont la Guyane a besoin pour se sortir de la spirale négative dans laquelle elle se trouve ».
Laurent Marot (Cayenne)
* LE MONDE | 22.03.2017 à 11h31 :
http://www.lemonde.fr/societe/article/2017/03/22/la-guyane-en-proie-a-des-mouvements-de-blocage_5098888_3224.html