CHRONIQUE. Intérieur jour, au rez-de-chaussée d’une somptueuse villa de la Côte est, aux Etats-Unis. Vito Corleone (Marlon Brando), qui marie sa fille, reçoit son filleul, Johnny Fontane (Al Martino).
Ce dernier lorgne un rôle à Hollywood qu’un réalisateur refuse de lui confier. Vito Corleone promet de régler l’affaire et le questionne à brûle-pourpoint : « Est-ce que tu t’occupes de ta famille ? − Oui », répond Fontana. « Un homme qui ne s’occupe pas de sa famille n’est pas un vrai homme », conclut Vito Corleone d’une phrase-culte du film Le Parrain.
A l’évidence, Bruno Le Roux, qui a démissionné de sa fonction de ministre de l’intérieur, et François Fillon, plus que jamais candidat du parti Les Républicains à l’élection présidentielle, sont de « vrais hommes ». D’admirables pater familias.
Le premier a fait travailler ses deux filles comme attachées parlementaires et ce à partir d’un âge où elles n’auraient même pas pu être monitrices de colonie de vacances, pour un montant d’environ 50 000 euros ; le second, sa femme, son fils et sa fille, pour une somme avoisinant 900 000 euros. Nous parlons bien sûr d’argent public.
Pourtant, même s’ils n’ont pas tiré les mêmes conséquences de leurs actes, les deux hommes présentent une défense similaire en mettant en avant leur sens de la famille. Pour l’ancien ministre de l’intérieur, visé lui aussi par une information du Parquet national financier, « ces moments de travail en commun étaient importants pour moi comme ils étaient formateurs pour elles. Dans mes responsabilités, le temps pour être ensemble n’est pas si fréquent. » Il est vrai que conjuguer travail et vie privée est une sinécure.
Dégâts
Pour François Fillon, les contrats qu’il a fait signer à son épouse, son fils et sa fille obéissaient également à son désir de travailler avec des personnes de totale « confiance », laquelle, il est vrai, ne se trouve que dans le cercle familial, comme le démontre à l’envi l’exemple des Atrides et des Borgia. « Et alors ? » pourrait nous répondre le député de Paris d’un haussement de sourcils.
Si l’on suit une logique purement comptable, Bruno Le Roux serait dix-huit fois moins répréhensible que l’ancien premier ministre de Nicolas Sarkozy. Mais ni l’un ni l’autre ne semblent percevoir les dégâts provoqués par leurs pratiques – qu’ils jugent aussi normales que d’accompagner les enfants à l’école – quand bien même la justice conclurait-elle à un non-lieu pour François Fillon ou à un classement sans suite pour Bruno Le Roux.
François Hollande n’a pas été long à s’apercevoir de l’avantage qu’il pouvait tirer de la situation, même si un nouveau clou – le dernier ? – a été planté sur le cercueil de « la République exemplaire ». En obtenant la démission quasi immédiate du ministre de l’intérieur, il tire les leçons de l’expérience : il avait fallu près de quatre mois pour que l’ancien ministre délégué au budget, Jérôme Cahuzac, présente la sienne en 2013, une semaine pour le secrétaire d’Etat chargé du commerce extérieur, Thomas Thévenoud, en 2014.
Il laisse François Fillon et la droite méditer son exemple. A sa manière, en se débarrassant d’un proche, il démontre qu’il sait s’occuper de sa famille. Ou de ce qu’il en reste.
Philippe Ridet
Journaliste au Monde