Le 22 avril devait se tenir à Bruxelles, comme partout dans le monde, une marche citoyenne en soutien avec les scientifiques états-uniens et contre les politiques désastreuses envers la recherche que ce soit aux USA, dans l’Union Européenne et en Belgique. Il n’en sera malheureusement rien !
Reprise en main et manipulation
Reprise en main par des lobbys et des conseillers satellites de la Commission Européenne, la marche citoyenne de Bruxelles s’est transformée en un festival en l’honneur de la politique scientifique européenne. Sans réflexion critique sur la situation actuelle des chercheurs/euses, le soutien ou la participation à cet événement revient à cautionner l’orientation de la DG Research, des États-membres et de la Commission.
Or, celle-ci est loin d’être satisfaisante. C’est celle d’un définancement de la recherche publique, d’une compétition de plus en plus intense entre scientifiques, d’une fuite de plus en plus importante des financements publics vers la recherche privée au profit des grandes entreprises, sous couvert d’une économie de la connaissance. Les chercheurs/euses peuvent constater au quotidien les effets de ces décisions à courte vue sur l’affaiblissement des recherches fondamentales et sur la précarité des jeunes chercheurs/euses et des non-permanents dans le monde académique. La recherche scientifique a pour vocation de comprendre le monde et de permettre l’amélioration des conditions de vie de ses habitants, pas de frayer le chemin pour de nouveaux surprofits réalisés aux dépens des citoyens, y compris les chercheurs/euses, et des écosystèmes terrestres.
Pour se convaincre de cette situation, les rapports du FNRS ne peuvent être plus clairs. Sur les 23 objectifs de 2009-2014, seuls 3 ont pu être tenus, et 12 n’ont même pas été entamés uniquement par manque de ressources financières, dont l’évolution est négative, rappelons-le. Un seul exemple : le nombre de chargés de recherche (mandat post-doctoral) attribué annuellement par le FNRS diminue depuis 2010, alors que le nombre de (bons) candidats a explosé depuis 2009, de sorte que le taux d’attribution est passé de 40 à 22%. Pour atteindre ses nouveaux objectifs le supplément de financement nécessaire est estimé au total à 55.700.000 € (soit une augmentation de 37% des subventions communautaires, fédérales et régionales).
Think-tanks technocratiques
Sur ce définancement, sur la marchandisation de la recherche qui en résulte, sur les oligopoles détenus par les éditeurs de revues scientifiques (les 4 plus gros éditeurs privés possèdent à eux-seuls 40% du marché des publications scientifiques et donc du savoir commun), sur la précarité des chercheurs, sur l’endettement des étudiants,… Sur tout ceci, le festival du 22 avril fera l’impasse. Dès son origine, et bien avant le soutien d’institutions belges de recherche, le festival était soutenu par des lobbys patronaux gravitant autour de la Commission, tels que Science/Business (visant à rassembler la science, le business, et le politique), des organes de celle-ci (ESPO) ainsi que des députés de partis conservateurs et populistes.
Des think-tanks d’inspiration technocratique tels que ‘I love evidence’ (Sense About Science EU) font la promotion d’une business-based (ou business oriented) science, au nom d’un combat légitime mais dévoyé contre l’obscurantisme. La business based science est en effet loin de sa neutralité affichée. Cette stratégie ne vise qu’à manipuler les sciences à des fins politiques et économiques, par exemple en justifiant les OGMs, les pesticides, l’exploitation du gaz de schiste, l’énergie nucléaire, ou dans des domaines encore plus idéologisés tels l’économie et les sciences sociales. Sur cela aussi, le festival du 22 avril fera l’impasse. Or il est urgent de reconnaître que les sciences ne sont pas toujours utilisées de manière neutre, et qu’il faut dans ce cas favoriser une recherche indépendante. Indépendante des grandes entreprises et des pressions politiques, en faveur du bien commun et des citoyens.
C’est l’esprit de la March for Science aux USA. L’initiative traduit une prise de conscience que les scientifiques ne sont pas isolés dans leur tour d’ivoire, mais peuvent au contraire participer, dans l’espace public, au débat qui traverse notre société. Se faire entendre est même devenu une nécessité face à l’administration Trump qui tente de mettre sous-tutelle politique toute recherche allant par exemple à l’encontre du déni climatique ou à l’encontre d’entreprises écocidaires. Or en Belgique, en évitant d’inclure les chercheurs/euses eux-mêmes dans l’organisation de l’événement, en restant sourde aux revendications qu’ils peuvent porter, la ScienceMarchBE leur a confisqué la parole au profit de membres de la Commission et du Parlement Européen qui ne seront là que pour embellir leur image auprès des scientifiques. Ceci va clairement à l’encontre du but initial promu par nos collègues états-uniens.
Contre Trump et son monde
“Climat et Justice Sociale” voulait manifester le 22 avril, à la fois en soutien à la March for Science qui aura lieu ce jour-là aux USA et en soutien à la People’s March for Climate qui aura lieu une semaine plus tard. Nous avons lancé un appel dans ce sens qui a été publié dans la presse avec la signature de nombreux chercheurs et d’activistes des mouvements sociaux, et répercuté en radio et en télévision [1]. Nous avons tenté de collaborer avec ScienceMarchBE, mais nous sommes obligés aujourd’hui de constater qu’aucun accord n’est possible, tant leur démarche est manipulatoire, sous-tendue par des motivations politiques cachées, de fait au service de la Commission Européenne. Face à Trump et son monde, en solidarité avec les chercheurs qui tirent la sonnette d’alarme sur des questions essentielles concernant notre vie sur Terre, tels le réchauffement climatique et la survie des écosystèmes, nous appelons à nous faire entendre le 29 avril, journée internationale de People’s Climate March.
Voici nos messages positifs :
– refinancer une recherche publique indépendante des grandes entreprises et de leurs lobbys, via les universités et les centres publics de recherche ;
– Refuser la manipulation des sciences à des fins politiques et économiques ;
– Améliorer la situation de plus en plus précaire des chercheurs/euses en Belgique et en Europe ;
– Réduire la mainmise des gros éditeurs de revues scientifiques sur le savoir ;
– Créer des espaces où les chercheurs peuvent rencontrer les citoyens et leurs demandes en matière de recherche
Rendez-vous le 29 avril de 16h à 18h Place de la Monnaie (Bruxelles)
SIGNATAIRES : Marijke Colle (biologiste), Thibaut De Meulemeester (biologiste), Pierre Gillis (Physicien), Daniel Tanuro (Ingénieur agronome), Francis Taylor (militant écosocialiste), Grégoire Wallenborn (physicien) pour CLIMAT & JUSTICE SOCIALE.