Les évêques de France vont-ils être les Pilate paresseux et désillusionnés du second tour de l’élection présidentielle ? Le communiqué de la Conférence épiscopale publié lundi 24 avril dans le quotidien La Croix, qui se contente d’un vague appel au discernement sans appeler un chat un chat, indique que l’Eglise de France est sur la voie d’ajouter au désastre moral qu’a constitué sa manière de faire face à la pédophilie dans ses rangs l’ignominie de ne pas appeler les catholiques à rejeter catégoriquement le Front national. Comment pourraient-ils seulement laisser croire qu’il serait possible de se réfugier dans l’abstention ou le vote nul ou blanc qui sont une manière de dire que Marine Le Pen et Emmanuel Macron ce serait blanc bonnet et bonnet blanc.
Certes, d’ordinaire, il ne revient pas à l’Eglise de donner des consignes de vote. Nous ne sommes pas, Dieu merci, dans une république théocratique. Mais les circonstances présentes ne sont pas ordinaires. Il en va de valeurs éthiques fondamentales, dans une campagne où il est déjà visible que le Front national est déterminé à tous les maquillages, à tous les amalgames, à toutes les contrevérités, puisque cela a si bien réussi à Donald Trump.
Quoi que l’on pense d’Emmanuel Macron et de son programme, ce que propose le Front national est insoutenable, même si Marine Le Pen se drape aujourd’hui dans un gaullisme de circonstance – alors que le clan Le Pen a toujours combattu de Gaulle et ses successeurs – et dans la posture proprement stupéfiante d’une Européenne convaincue. Tout sera bon pour elle pour semer la confusion dont elle fait ensuite son miel. Vous ne pouvez pas, Messeigneurs les évêques, vous laver les mains de la banalisation d’un projet qui piétine toutes les valeurs évangéliques, alors même que le pape François ne cesse de rappeler ces valeurs et son inquiétude quant à la montée de l’extrême droite et de la xénophobie en Europe.
On voit bien pourquoi vous hésitez à vous engager : vous n’êtes pas d’accord sur l’attitude à tenir, et vous préférez le consensus mou et le flou à la vérité. Vous pensez qu’il vaut mieux préserver l’unité de votre cénacle. Vous êtes prêts à sacrifier la France sur l’autel d’une unité de façade. Que ceux qui en ont le courage sortent de l’ambiguïté ! Que les masques tombent ! L’unité répétée comme un mantra est un mensonge. Ayez la force de ne pas être les complices tacites d’une catastrophe politique. Soyez les porteurs d’une parole droite et non les compagnons de route d’une parole perverse.
Parler clair, haut et fort
Ne croyez pas que de toute façon Marine Le Pen sera battue. Les exemples américain et britannique – la victoire de Donald Trump et celle du Brexit – nous ont montré ce qu’il en est de ce genre de conviction. La réalité, c’est que le mensonge systématique et organisé est terriblement efficace, s’il n’est pas aussi systématiquement combattu et dénoncé. Or vous ne le faites pas ou si peu. Et si elle est battue, ne croyez pas que tout ira pour le mieux. Tant s’en faut. Si sa défaite n’est pas totale, le venin de la propagande frontiste continuera à pervertir la société française. Il n’est pas supportable de laisser une partie des catholiques s’égarer de ce côté-là.
Vous portez déjà une vraie responsabilité quant à la confusion des esprits qui règne parmi les catholiques. Parce que vous n’avez pas pris la mesure de l’instrumentalisation du débat sur le mariage pour tous par la frange réactionnaire du catholicisme français, et que vous avez laissé s’installer un flou sur des questions essentielles.
Si vous hésitez, Messeigneurs, à vous engager clairement, c’est, il faut le dire, parce que le loup est déjà dans la bergerie, et que vous craignez de l’affronter, pour l’en faire sortir. Il est temps de vous reprendre et de parler clair, haut, et fort, pour dire que tout ce qui peut d’une manière ou d’une autre conforter Marine Le Pen et affaiblir le camp des partisans d’une France démocratique, humaniste et capable de jouer un rôle décisif dans le renouvellement du projet européen n’est pas acceptable. Pour l’amour du père Hamel, assassiné à Saint-Etienne-du-Rouvray, honorez sa mémoire en osant prendre le risque d’une parole courageuse, vraie.
Si vous ne le faites pas, vous verrez s’accomplir cette parole de l’évangile : « Si le sel perd sa saveur, avec quoi le salera-t-on ? Il n’est plus bon à rien, sinon à être jeté et piétiné par les hommes. »
Jean-François Bouthors (Journaliste, éditeur et écrivain)
Présidentielle : L’Eglise catholique étale ses divisions au grand jour
A la veille du second tour, l’absence de consigne de vote de la part de la Conférence des évêques fait débat au sein de l’institution et des pratiquants.
Après avoir ébranlé les électeurs catholiques, privés de François Fillon, le candidat de la droite qui avait eu leur faveur au premier tour, l’élection présidentielle 2017 secoue aujourd’hui l’Eglise. Depuis plusieurs jours, des évêques, des prêtres, des organisations caritatives, des laïcs polémiquent à propos du second tour.
L’Eglise catholique doit-elle appeler à ne pas voter pour la candidate du Front national (FN), Marine Le Pen, voire à faire obstacle à son élection en votant pour son rival, Emmanuel Macron ? Ses représentants doivent-ils au contraire s’en tenir au plan des principes et se garder de consignes de vote ? Habituellement si réticents à étaler leurs désaccords sur la place publique, les catholiques sont aujourd’hui en pleine zizanie.
A l’origine de cette tension, le communiqué publié par la Conférence des évêques de France (CEF) dimanche 23 avril. Deux heures après la fin du scrutin du premier tour, la CEF s’était contentée de rappeler les « fondamentaux pour aider au discernement », mais sans se prononcer directement sur les deux candidats du second tour.
Très vite, certaines voix ont jugé cette expression pas à la hauteur de la situation. Un post de blog d’Isabelle de Gaulmyn, rédactrice en chef adjointe de La Croix, était relayé par des membres du clergé choqués par « le silence des évêques en 2017 ». La journaliste y regrettait « le relatif silence des responsables [catholiques] » devant le score et la présence au second tour de Mme Le Pen. « Il n’y a plus cette volonté de barrage explicite au vote extrême comme cela avait été le cas en 2002 », déplorait-elle. De nombreux évêques avaient alors pris position contre Jean-Marie Le Pen face à Jacques Chirac.
Dans les jours qui ont suivi, des évêques se sont manifestés individuellement. Le premier a été Marc Stenger, évêque de Troyes et président de Pax Christi France. « Le 7 mai, quel bulletin de vote ? Pas celui de la peur, de la haine, du rejet, du mensonge, de l’exclusion, du repli : c’est l’opposé de l’Evangile », a-t-il tweeté le 26 avril. Pierre d’Ornellas, archevêque de Rennes, Christophe Dufour, archevêque d’Aix-en-Provence, Pascal Wintzer, archevêque de Poitiers, Denis Moutel, évêque de Saint-Brieuc, ou Stanislas Lalanne, évêque de Pontoise, ont, chacun à sa façon, appelé à ne pas voter pour Mme Le Pen au second tour. Trente-huit organisations chrétiennes, dont le Secours catholique et le CCFD-Terre solidaire, ont appelé ensemble à ne pas « céd [er] à la tentation du repli sur soi ».
Contre « le prêt-à-penser »
D’autres au contraire ont apprécié la discrétion de l’Eglise. C’est le cas de Dominique Rey, évêque de Toulon et figure de l’aile conservatrice de l’épiscopat. « L’Eglise s’en est tenue justement au rappel de principes, explique le prélat. C’est la bonne posture, j’y adhère totalement. Il nous faut rester à notre place mais pas donner de consignes de vote. » Dans une vidéo, Mgr Rey recommande aux électeurs de ne pas obéir « aux exclusives de la médiacratie ou aux consignes du prêt-à-penser ». A l’été 2015, il avait invité la députée du Vaucluse Marion Maréchal-Le Pen à participer à une université d’été de son diocèse, rompant avec trente ans de politique de cordon sanitaire observée par l’Eglise envers le FN.
A la CEF, on reconnaît avoir reçu « beaucoup de reproches » depuis une semaine. « C’est violent », résume Vincent Neymon, le porte-parole adjoint de l’épiscopat. Il réfute l’idée qu’il y aurait eu « un changement de ligne » entre 2002 et 2017 et met en avant le travail fait bien en amont de l’élection par les évêques, notamment à travers un texte publié en octobre 2016 appelant à « redéfinir le contrat républicain ».
Mais le malaise est tel que le président de la CEF, Georges Pontier, archevêque de Marseille, a décidé de prendre la parole, mercredi 3 mai, pour expliquer le choix fait le 23 avril. « Les évêques s[e] refusent depuis 45 ans » à donner des consignes de vote, affirme-t-il dans un texte publié sur le site de l’Eglise. « Qu’est-ce qui est plus facile : dire de voter pour tel ou tel ou inviter à la réflexion et au discernement ? Dans cette ambiance, il me semble que le rôle de l’Eglise est, plus que jamais, de ne pas prendre parti pour l’un ou l’autre candidat mais de rappeler à chaque électeur ce que notre foi nous invite à prendre en compte. C’est ce que nous avons fait dès le soir du premier tour », ajoute Mgr Pontier.
« L’un des groupes les plus orphelins du second tour »
Si le flottement actuel est si grand, c’est sans doute parce que l’électorat des catholiques pratiquants (de 10 % à 15 % du corps électoral) se retrouve, après le premier tour, dans une situation inédite. « Deux tiers d’entre eux ont voté pour des candidats éliminés au premier tour, ce qui en fait l’un des groupes les plus orphelins du second tour », résume Jérôme Fourquet, de l’institut de sondage IFOP. Les catholiques pratiquants auraient en effet, selon un sondage IFOP publié par le magazine Pèlerin, voté à 46 % pour M. Fillon au premier tour de la présidentielle, à 19 % pour M. Macron, à 15 % pour Mme Le Pen, à 12 % pour Jean-Luc Mélenchon et à 4 % pour Nicolas Dupont-Aignan. Les pratiquants réguliers auraient même été 55 % à voter pour M. Fillon. Combien, au second tour, pourraient être tentés par un vote en faveur de Mme Le Pen ?
« Les débats sont toniques en ce moment dans les milieux de La Manif pour tous », reconnaît l’un des fondateurs de Sens commun, le groupe de militants politiques issu de cette mouvance et qui, au sein du parti Les Républicains, a soutenu la candidature de M. Fillon. Une partie d’entre eux est séduite par la figure de Mme Maréchal-Le Pen. Pour Jérôme Fourquet, l’apparente stabilité du vote Le Pen des catholiques pratiquants entre 2012 et 2017 (15 %) ne doit pas faire oublier qu’il est, entre-temps, monté à 25 % lors des élections régionales de 2015. « La capacité du Front national d’attirer les catholiques pratiquants est réelle. Au premier tour de la présidentielle, elle a été contenue par le profil du candidat de la droite, François Fillon. Mais des voies de passage existent », résume M. Fourquet.
C’est bien pour tenter de les colmater que le quotidien catholique La Croix comme l’hebdomadaire La Vie se sont prononcés, dans des éditoriaux, en faveur d’un vote pour M. Macron et que d’autres pressent les évêques de parler plus haut.
Cécile Chambraud
Journaliste au Monde
* LE MONDE | 03.05.2017 à 06h36 • Mis à jour le 03.05.2017 à 15h41 :
http://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2017/article/2017/05/03/l-eglise-catholique-plus-divisee-que-jamais-avant-le-second-tour-de-la-presidentielle_5121273_4854003.html