En date du 9 mai, Médecins sans frontières rapporte : « Après 25 mois de conflit au Yémen, la population vit toujours à l’heure de la guerre opposant les Houthis, qui contrôlent le nord du pays avec le soutien du président déchu Saleh, aux groupes armés de la Résistance du Sud alliés au président Hadi. Ce dernier avait fui Sanaa début 2015, quand les Houthis avaient pris le contrôle de la capitale, et a installé à Aden son propre gouvernement. Autre acteur du conflit, une coalition internationale menée par l’Arabie saoudite, qui intervient aux côtés des forces du sud depuis mars 2015 et a le soutien des Etats-Unis, de la France et de la Grande-Bretagne.
Bombardements et tirs d’artillerie frappent le pays, du gouvernorat de Saada dans le nord, au gouvernorat de Taiz dans le sud. Le 15 août 2016, l’hôpital de la ville de Abs, située dans le gouvernorat de Hajjah, dans le nord-ouest du Yémen, a été touché par une frappe aérienne de la coalition dirigée par l’Arabie saoudite. Cette attaque était la quatrième en un an touchant une structure de soins MSF. Avec 19 morts et 24 blessés, c’était aussi la plus meurtrière.
Pour des raisons de sécurité, MSF a alors décidé d’évacuer son personnel des six hôpitaux qu’elle soutenait dans le nord du Yémen, à savoir les hôpitaux de Haydan, Razeh, Joumouri et Yasnim (gouvernorat de Saada) et ceux de Abs et Gamhouri (gouvernorat de Hajjah). Depuis, MSF a repris ses activités à Abs et Gamhouri en novembre 2016, puis à Haydan en mars 2017.
Globalement, le bilan de ce conflit est très lourd. Il a fait plus de 6000 morts et plus de trois millions de déplacés, selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires aux Nations unies. Le pays est également confronté à des restrictions sur les importations, rendant difficile l’approvisionnement.
Pour la population, l’accès aux soins est très difficile. De nombreuses structures de soins ne fonctionnent plus. Celles encore ouvertes manquent souvent de matériel essentiel, de personnel, de médicaments et de carburant pour faire fonctionner les générateurs électriques, ou alors elles sont situées dans des zones trop dangereuses.
Entre mars 2015 et avril 2017, MSF a reçu plus de 493 000 patients dans ses services d’urgence et a pris en charge plus de 60 000 blessés de guerre. Les équipes MSF ont également dispensé plus de 191 000 consultations à des personnes déplacées, grâce à des dispensaires mobiles.
Epidémie de choléra
Depuis le 30 mars 2017, les équipes MSF reçoivent et traitent un nombre croissant de cas de choléra et de diarrhée aqueuse aiguë dans les gouvernorats d’Amran, Hajjah, Al-Dhale, Taiz et Ibb. Au 9 mai, le nombre de patients avait atteint plus de 780.
En réponse à cette épidémie, MSF a mis en place des centres de traitement du choléra dans cinq hôpitaux afin d’isoler les patients et de traiter ceux qui présentent des symptômes. L’organisation soutient également d’autres structures gérées par les autorités sanitaires. »
Mortalité maternelle
Dans ce contexte, la mortalité en couches des femmes explose. Le taux de mortalité maternelle était déjà le plus élevé au Moyen-Orient et le taux de fécondité totale se situait à hauteur de 3,77 naissances par femme. La référence au taux de mortalité. La dernière estimation du taux de mortalité maternelle date d’avril 2015 (voir tableau ci-dessous)
Actuellement, dans la mesure où, comme indiqué par MSF, la majorité des hôpitaux sont fermés, le manque de soins pour les femmes enceintes est quasi total, particulièrement dans les zones rurales qui rassemblent quelque 70% de la population. Face à cette situation désastreuse, une action déterminée a été engagée par des femmes professionnelles du système sanitaire, à la fois pour permettre des mesures de contraception accessibles – le salaire moyen, pour autant qu’il puisse être calculé est de 45 euros par mois et la pilule contraceptive coûte 35 centimes d’euro pour 32 jours – et l’accès à des avortements. Une gynécologue basée à Taïzz a confié à la reporter de MME : « Dans la plupart des cas, ma première réponse à une patiente est de lui suggérer que sa grossesse est une bénédiction d’Allah et qu’elle doit garder le bébé. Je lui explique que les Hadiths – le recueil des paroles du prophète Mahomet – interdisent les avortements après 42 jours, mais que le Coran ne comporte pas de tels versets. Si la vie de la femme est menacée, alors je demande à rencontrer son mari pour obtenir un accord et j’interromps la grossesse avant 12 semaines. » Pour un avortement après cette période, cette obstétricienne ne le fait qu’en cas de fatwa émise par un cheikh. Ahmed al-Fioush, cheikh de la province de Taïzz, confie aux deux reporters de MME : « Il n’y a pas de versets clairs dans le Coran qui interdit l’avortement. Toutefois, plusieurs Hadiths interdisent l’avortement, car cela revient à tuer l’âme. Si toutes les femmes pouvaient interrompre leur grossesse, cela contribuerait à répandre l’adultère. La société doit rejeter les femmes qui interrompent leur grossesse après 42 jours pour une quelconque raison car elles désobéissent à l’islam. » (MME, 5 mai 2007)
Se conjuguent ainsi les multiples effets de la guerre, la quasi-absence de services médicaux et la désapprobation sociale (qui, ne l’oublions pas, est une réalité qui est encore activement présente dans de nombreux pays européens, en particulier ceux où domine l’Eglise catholique).
Une famine de proportion « biblique »
La famine a pris des proportions « bibliques », selon un vétéran de l’aide humanitaire. Jan Egeland considère que le nombre de tués dépasse 10’000. Il est à la tête du Conseil norvégien pour les réfugiés et a informé sur la situation, par téléphone, depuis Sanaa un journaliste de l’agence Reuters. Il a répété une fois de plus que l’aide des agences humanitaires – telle que proclamée lors du sommet de Genève de fin avril 2017 – répondait au maximum, pour autant qu’elle soit concrétisée, à un tiers des nécessités. Egeland affirme sobrement : « Cette crise est faite de mains d’hommes et ne relève pas d’une science concernant l’exactitude des bombes chirurgicales des bombardements ou des roquettes. » Selon lui, un demi-million d’enfants peuvent mourir de faim à chaque instant. L’état de dénutrition étant très avancé et ses effets à long terme terrifiants. Sur 27 millions d’habitants, dit-il, 19 millions ne peuvent pas être maintenus en vie grâce à des « injections d’aide » dans un contexte où l’Arabie saoudite et ses alliés s’affrontent avec l’Iran et d’autres forces en mettant à profit un conflit interne ayant des racines historiques. Quelques jours après la conférence de Genève, cet expert en crises humanitaires insistait sur « la non-existence de réserves alimentaires au Yémen ».
Etats-Unis et Arabie saoudite… face à l’Iran
Le 4 mai, Donald Trump, suite à la visite en mars 2017 de Mohamed ben Salmane, vice-prince héritier et ministre de la Défense, a annoncé un prochain voyage en Arabie saoudite pour « construire les nouvelles bases d’une coopération et d’un soutien avec nos alliés musulmans pour combattre l’extrémisme, le terrorisme et la violence ». Il est vrai que Donald Trump, une semaine avant, avait tempêté contre le manque d’aide financière de l’Arabie saoudite au système de défense des Etats-Unis, bien que le royaume soit le principal acheteur d’armes aux transnationales états-uniennes. L’administration Trump, le Pentagone et le commandement du Cemtcom (centre opérationnel pour le Moyen-Orient) vont-ils non seulement accentuer leurs activités meurtrières au Yémen, mais accroître les menaces face à l’Iran ? Un danger qui n’est pas à négliger.
L’Arabie saoudite censure l’information (BBC)
Dès lors, au regard du drame qui se joue actuellement au Yémen, comment expliquer que la presse, dans son ensemble, ne s’intéresse pas davantage à ce conflit ? Nawal Al-Maghafi, de la BBC (24 avril), est l’une des dernières journalistes étrangères à avoir pu se rendre dans ce pays, le plus pauvre de la péninsule arabique et où pleuvent, littéralement, les bombes. « Le Yémen, c’est vrai, est un pays compliqué », soupire-t-elle. Mais cela ne saurait suffire, bien entendu, à expliquer toute la négligence des médias. Tout d’abord, « il est aujourd’hui extrêmement difficile d’accéder aux régions tenues par les rebelles », admet-elle. « L’Arabie saoudite ne permet plus, par exemple, que des journalistes embarquent sur des vols humanitaires de l’ONU. Cela signifie qu’il faut passer par le sud du pays, où Al-Qaida est aujourd’hui présent. Et pour les Occidentaux (explique la jeune femme à la nationalité yéménite et britannique) c’est trop dangereux. »
En ce sens, l’Arabie saoudite a tout mis en œuvre pour organiser un véritable blocus sur l’information. Evidemment, c’est une stratégie délibérée. Cette volonté d’écarter les témoins s’explique, en particulier, du fait des critiques de plus en plus vives contre les carnages provoqués par l’aviation saoudienne et ses alliés du Golfe. Or même si la journaliste précise, par ailleurs, n’éprouver aucune espèce de sympathie à l’égard des rebelles, « corrompus et brutaux », tant que les bombardements saoudiens continueront, prévient-elle, la population ne se désolidarisera pas d’eux.
Rédaction A l’Encontre