En 1905 est fondé la SFIO (parti socialiste) : section française de l’Internationale Ouvrière. Un triple défi est relevé :
– unifier des courants se réclamant du socialisme extrêmement divers
– tenter d’enraciner dans la société française un véritable parti ouvrier
– inscrire ce nouveau parti dans l’Internationale socialiste dominée par la social-démocratie allemande ce qui est censé consacré le marxisme comme référence doctrinale.
Un parti socialiste qui a donc cent ans seulement ce qui implique qu’une histoire du socialisme et des socialistes pré-existent à la fondation de la SFIO. Le plus aisé serait d’opposer l’histoire récente ; celle d’un parti converti à un capitalisme libéral devenu seul horizon du possible, à celle plus ancienne d’un parti socialiste où les bobos ne supplantaient pas les ouvriers…Sans sous-estimer les mutations récentes, il faut nécessairement se plonger dans les permanences d’un parti dont le socialisme et le caractère ouvrier ont été constamment discutés.
Dans une perspective européenne, il est tout à fait clair que plusieurs spécificités socialistes françaises sautent aux yeux. A commencer par le contre-temps. Ainsi les socialistes français sont écartés du pouvoir pendant le cœur des trente glorieuses (la période gaulliste), alors que partout ailleurs les social-démocraties le plus souvent au pouvoir construisent par des compromis avec le patronat le « modèle social » aujourd’hui méthodiquement détruit…
Si la SFIO participe au pouvoir (jusqu’à s’en détruire) sous la Quatrième république, cela n’est véritablement qu’en 1981 qu’elle arrive pleinement et durablement aux plus hautes responsabilités… à un moment où ailleurs commencent à triompher les partis conservateurs porteurs de la « contre-révolution libérale ».
1/ Fondations et sources
Généralement on réduit la tension qui traverse le PS à deux courants incarnés par Jaurès et Guesde. On parlera ainsi souvent de jaurèsisme ou de guesdisme… Mais attention les sources du socialisme français sont multiples et souvent contradictoires. La fondation de 1905 est donc bien une synthèse complexe : mélange de blanquistes héritiers de la Commune de paris, de guesdistes se considérant comme les dépositaires du marxisme en France…(voir schéma). Beaucoup de courants charrient des conceptions socialistes non marxistes, se référant par exemple à Proudhon, car en France comme au Royaume Uni, le socialisme comme doctrine est antérieure aux idées de Marx et d’Engels…
Mais en fait l’essentiel est ailleurs. Au début de ce siècle il existe deux socialismes : l’un politique est incarné par la SFIO, l’autre syndical par la CGT qui en fusionnant avec les bourses du travail en 1902 va choisir une voie propre au socialisme par la grève générale et en optant pour une stratégie d’indépendance totale vis à vis des partis se réclamant de l’émancipation des travailleurs.
Cette césure entre politique et syndical, entre travail électoral et parlementaire d’un côté et luttes sociales de l’autre, est lourde de sens pour les socialistes mais en fait pour le mouvement ouvrier jusqu’à aujourd’hui.
En 1914 la SFIO, loin des consoeurs européennes, affiche moins de 100000 adhérents. Un parti d’ouvriers qualifiés, héritiers des sans-culottes et des communards, et d’instituteurs de la III° république dirigés par des élus.
Les personnalités de Jaurès et de Guesde émergent de cette période. Classiquement d’un côté un socialisme humaniste teinté de patriotisme et d’esprit républicain, de l’autre une intransigeance et une orthodoxie sans faille…
Jaurès est assassiné à la veille de la première guerre mondiale, et les cérémonies sont instrumentalisées pour permettre l’entrée des socialistes dans le gouvernement « d’union sacrée » qui va mener la guerre dont Jules Guesde ! D’où prudence, les deux sont en fait d’accord pour s’opposer au syndicalisme révolutionnaire qui domine la CGT. Non pas au nom d’une complémentarité parti-syndicat, mais par la définition d’un socialisme parlementaire qui dès la fin du XIX siècle est confronté aux problèmes de défense de la République ou à la participation à des gouvernements bourgeois. Si guesde et le guedisme apparaissent en rhétorique plus radicaux, moins influencé par l’idéologie républicaine bourgeoise, que les partisans de Jaurès, les deux courants sombrent ensemble (sans Jaurès) dans la guerre de 14. Jaurès a sans doute le souci d’expliquer son engagement, ses références et ses ruptures avec le marxisme et finalement d’assumer une synthèse entre république et socialisme. Et un engagement déterminé dans l’affaire Dreyfus jugé au contraire comme un piège « de défense républicaine » par Guesde.
Divisé, le socialisme français en 1914 est finalement dans sa branche politique davantage une gauche républicaine qu’un véritable parti ouvrier. Un parti dont l’absence de dénonciation de la guerre et du colonialisme va coûter cher.
2/ Le PS à travers les grandes expériences du XX° siècle
On peut à ce stade distinguer quatre grandes périodes pour le parti socialiste :
– de 1879 à 1920 : construction d’un parti en rivalité avec le syndicalisme révolutionnaire
– de 1920 à 1941 : opposition entre la SFIO et la SFIC, le PS l’emportant en voix et en effectifs sur le PC dès 1921 bien qu’une majorité de délégués aient choisi l’affiliation à l’Internationale communiste au congrès de Tours
– de 1941 à 1969 : période d’hégémonie communiste sur le mouvement ouvrier
– des anneés soixante dix à aujourd’hui : retour d’un PS dominant.
Jaurès avait légué à ses successeurs une théorie de l’Etat, dont il savait pertinemment qu’elle n’était pas celle de Marx, susceptible d’ouvrir des opportunités de participation gouvernementale. L’Etat selon lui, n’est pas un instrument de domination de classe, mais le lieu où s’exprime les rapports de force entre les classes. D’où la possibilité d’une évolution graduelle vers le socialisme. Une conception fortement marquée par la Révolution française, les conquêtes républicaines. En France ce n’est pas le mouvement ouvrier qui a conquis la « démocratie », comme par exemple le suffrage universel, mais la gauche jacobine républicaine et le socialisme s’est « lové » dans cet héritage.
Sous la pression de la révolution russe et des traditions révolutionnaires françaises, Blum qui s’impose dès 1920 comme le leader de la SFIO, ne suit pas son mentor et maintient sur la question une certaine orthodoxie. Mais six ans plus tard, c’est bien lui qui va fournir la doctrine qui va permettre d’assumer le réformisme qui s’imposait déjà en pratique, et qui va permettre la gestion du pouvoir en 1936 dans un gouvernement de Front populaire dirigé par lui même. Blum distingue conquête du pouvoir et exercice du pouvoir. La conquête, c’est la révolution ,la dictature du prolétariat, mais c’est pour l’avenir lorsque les conditions le permettront…L’exercice du pouvoir, c’est accepter le cadre capitaliste et bourgeois afin d’arracher le maximum pour la classe ouvrière. Tout est dit…
Le congrès de Tours marque la séparation avec le PCF que Blum justifie par un refus du socialisme autoritaire, qui peut apparaître aujourd’hui retrospectivement pertinent mais attention de ne pas omettre l’essentiel :si la SFIO éclate c’est parce qu’elle s’est ralliée à la première guerre mondiale, et c’est bien le rejet de la barbarie de cette guerre qui rend les communistes et la révolution d’octobre populaires.
En revanche le Front populaire en 1936, véritable mythe du mouvement ouvrier français, voient Blum et les socialistes exercer le pouvoir soutenu par les communistes qui ne participent pas au gouvernement. Mythe car 36, c’est davantage la dynamique antifasciste et les grèves de juin qui obtiennent des résultats : les congés payés, la semaine de 40 heures, le reflux pour quelques temps des forces d’extrême droite…D’ailleurs les socialistes d’après guerre ne s’y trompent pas ; qui autour autour d’une majorité plus à gauche emmenée par Guy Mollet, enseignant du Pas de Calais, va renverser la direction Blum, trop marqué par la défaite du Front populaire, son refus d’intervention dans la guerre d’Espagne…
La SFIO est désormais, et pour plusieurs décennies dominé par un PCF en pleine phase stalinienne. Mais attention : 50000 adhérents en 1944 mais 340000 (un record) en 1945 avec un quart de l’électorat…Il est vrai que le PCF a un million d’adhérent annoncé et près de 30% des voix…Deux projets travaillent la SFIO :
– un de très courte durée : réunifier PCF et SFIO ; on trouve même un nom Parti Ouvrier Français, mais la guerre froide va vite enterrer ce projet
– un travaillisme à la française porté par Blum, c’est à dire un parti s’ouvrant sur la droite aux petits courants socialistes, aux radicaux mais surtout à l’autre grande formation de l’époque le MRP (chrétiens sociaux), qui tient lieu de droite en attendant la construction d’un parti gaulliste et le recyclage des anciens de Vichy…Echec car Mollet, appuyé par une majorité hétéroclite où se retrouvent des éléments trotskysants, refusent la constitution d’un tel parti qui abandonnerait ses références marxistes, laissant le champs libre au seul PCF…
Cela ne va pas empêcher la SFIO et sa direction mollétiste pendant une très grande partie des douze ans de la IV république (1946 1958) de gouverner avec ces partis et de s’enfoncer dans une crise sans précédent.
En 1968, alors que la grève générale ouvre de nouvelles perspectives, le PS est à reconstruire. Comment en est on arrivé là ?
– dès la fin des années 40, les jeunesses socialistes sont épurées de leurs éléments trotskystes ; crise, perte d’adhérents
– la guerre froide : la SFIO choisit le camp américain, un ministre socialiste Jules Moch brise les grèves de 1948 par la force armée
– les socialistes organisent la scission de la CGT unifiée et crée Force Ouvrière ; seules la fonction publique (sans les enseignants qui choisissent l’autonomie) et certaines fédérations de services suivent…La SFIO s’éloignent encore plus de la classe ouvrière industrielle
– de participation gouvernementale en participation gouvernementale la SFIO s’engluent dans la gestion et sombrent dans les guerres coloniales : Sétif, Madagascar, Indochine, et surtout l’Algérie où Guy Mollet, président du conseil, couvre la torture et envoie le contingent
– la SFIO accepte de légitimer le coup d’Etat gaulliste, Mollet participe à la rédaction de la constitution de la Ve république
– scissions et départs s’accumulent, le PSA puis PSU qui refusent la guerre d’Algérie, forces vives et idées se réfugient dans les clubs et à l’extrême gauche ; la SFIO est incapable de peser sur les ébranlements du stalinisme (rapport Khrouchtchev et insurrection hongroise en 1956)
En 1969, Deferre candidat de la SFIO, porteur d’un projet encore plus droitier de dépassement dans un parti centriste, fait 5%. Dès 1962 la SFIO avait perdu la moitié de ses voix : deux millions d’électeurs !
Au congrès d’Epinay en 1971, Mollet annonce 71000 adhérents.
La SFIO est à vendre, Mitterrand va acheter.
Mitterrand va reconstruire le PS. Comme toutes les belles histoires, c’est en partie faux. Dès l’après 68, des forces à l’intérieur de la SFIO (le CERES de Chevénement) ou des forces venant du PSU vont souhaiter rénover la vieille maison.
Mitterrand va fédérer les clubs autour du sien (la CIR), s’emparer du PS qui change de nom, et surtout proposer une nouvelle stratégie :
– attirer au PS de nouveaux adhérents en aspirant la radicalisation de mai 68 que le PCF prend à rebrousse poil : 180 000 adhérents en 1978. Un quart d’ouvriers et d’employés, une dominante d’enseignants et de professions intellectuelles salariées. Un parti d’instit dit Mitterrand mais qui devient majoritaire dans l’électorat populaire ;
– faire converger vers le PS de nouveaux courants venus du PSU et de la CFDT dont Rocard ;
– établir une union de la gauche avec le PCF : programme commun négocié, alliance gouvernementale, candidat unique à la présidentielle ; échec à la présidentielle de 1974 et aux législatives de 1978, mais gros succès aux élections locales qui donnent au PS une grande assise municipale ;
– modifier les rapports de force à gauche au détriment du PCF.
Principale nouveauté liée aux rapports de force des années 70 : on abandonne la vieille distinction blumiste entre conquête et exercice du pouvoir. Le programme, c’est désormais le socialisme, exercer le pouvoir pour le conquérir par une succession de réformes de structure qui feraient basculer le pays dans un autre régime social. C’est le CERES qui va le plus loin, Rocard et Mauroy, peu enclins à l’alliance avec le PCF défendent en 1979, une orientation très recentrée, battue par les mitterrandistes gonflés à bloc,… qui sera la politique suivie par les socialistes en 1983 !
3/ Etat des lieux et mutations actuelles
En 1981 le PS devient un parti de pouvoir. En 25 ans deux septennats présidentielles, trois mandats législatifs…
Avant d’examiner les transformations opérées, une comparaison européenne.
– Le PS n’est pas un parti de masse, pas un parti ouvrier s’appuyant sur les syndicats, les mutuelles, les associations, un système d’économie alternative… Il n’est donc pas une social-démocratie classique ;
– il n’a jamais été en situation de représentation unique ou hégémonique : rivalité avec la CGT puis avec le PCF ;
– il n’est pas au pouvoir grâce à un compromis fordiste ou keynésien à la suédoise ou à l’allemande. C’est dans le capitalisme français qu’il faut chercher l’explication (retard de l’industrialisation, refus du compromis par le patronat, rôle autoritaire de l’Etat capitaliste…) ;
– les crises en France ont empêché un aggornomiento théorique : la libération et la concurrence avec le PCF, la crise algérienne, mai 68…
– Une gauche républicaine a pré-existé d’origine républicaine et jacobine et l’a profondément imprégné ;
– les élus forment un tiers des effectifs, la sociologie adhérente est peu populaire sauf exception, mais l’électorat l’est incontestablement.
Les mutations actuelles accélèrent le processus :
– Le PS accepte désormais le cadre français européen et mondial capitaliste comme un horizon indépassable. « Le capitalisme a a gagné » nous dit Rocard ;
– une certaine normalisation européenne s’opère. Le PS devient comme les autres tandis que les social-démocraties européennes mutent également (Blairisme, Suède, Allemagne…) ;
– le PS est devenu une grande machine électorale relativement stable, l’exercice du pouvoir, malgré des crises réelles, ne provoque pas l’effondrement des années soixante ;
– les relations organiques au mouvement syndical, les projets de Tours à l’envers ont été abandonnées. La FEN enseignante seul exemple de lien organique avec le mouvement syndical s’est effondré il y a dix. S’est substituée une logique de lobbying ;
– le social-libéralisme, moins prononcé en France qu’ailleurs rapports de force obligent, s’impose comme une stratégie bien compliqué à mettre en œuvre : base sociale, alliances, marges réformistes très étroites au pouvoir… ;
– 200 000 adhérents : un record mais dans le cadre de la présidentialisation accélérée de la politique.
Conclusion
Deux définitions de la social-démocratie :
– une représentation ouvrière ; une contre-société ouvrière, du monde du travail ;
– un parti cherchant le compromis réformiste avec le patronat s’adaptant en permanence aux nouvelles réalités du capitalisme.
Donc de l’avenir…
Mais place pour la reconstruction d’une nouvelle représentation du monde du travail.
Bibliographie :
Profils de la social-démocratie européenne. Ouvrage collectifs du début des années qautre vingt. Edition La Brêche.
Le socialisme en France et en Europe de Michel Winock. Edition du Seuil. Loin de nous idéologiquement mais précieux sur les informations historiques.
Les socialismes français à l’épreuve du pouvoir avec Corcuff, Bensaïd…textuel. à lire !
Le PS du projet au pouvoir, l’impossible concordance Eric Melchior éditions de l’atelier.
Histoire des idées socialistes Noelline Castagnez-Ruggiu. Sur ce qui précède en grande partie le rapport. Edition la découverte. Repères.
Histoire du PS de Jacques Kergoat. Editions la découverte. Pour l’heure épuisé. Harcellez l’éditeur…
Le mouvement communiste en France Léon Trotski. Edition de Minuit. Des passages forcément sur notre sujet.