Les intérêts des grands groupes auront eu raison de la bouillante secrétaire d’Etat à l’environnement : le Congrès des Philippines a refusé, mercredi 3 mai, la confirmation à ce poste de Gina Lopez, que le chef de l’Etat, Rodrigo Duterte, avait nommée en juin 2016 après son accession à la présidence.
Par deux fois déjà, en novembre et en mars, les membres du Congrès avaient refusé la confirmation de Mme Lopez, 62 ans. Cette dernière s’était lancée dans une véritable croisade contre l’industrie minière, tâche pour le moins ardue compte tenu du poids des puissantes industries et des grandes familles de l’élite des affaires sur la conduite de la vie politique de l’archipel.
En annonçant qu’elle entendait fermer vingt-huit des quarante et une mines de nickel du pays, elle s’était immédiatement mis à dos les grands groupes : les sites visés représentent la moitié de la production de ce métal aux Philippines, pays par ailleurs riche en réserves de cuivre. Les groupes miniers sont accusés de longue date par les mouvements écologistes de polluer les rivières, les rizières et les chutes d’eau.
« Le parti du business »
« Si vous voulez être confirmé dans vos fonctions [aux Philippines], ne vous attaquez pas aux magnats des affaires ! » s’est écriée Gina Lopez lors d’une conférence de presse après l’annonce de la décision du Congrès. « C’est un mauvais signe quand on voit que les députés ne s’attachent pas à défendre le droit des Philippins, mais prennent le parti du business », a-t-elle ajouté, manifestement écœurée.
Sa dernière mesure aura été son chant du cygne : Mme Lopez avait décidé fin avril d’interdire les mines à ciel ouvert, déclenchant les foudres de Mining Inc, un groupe important. Les responsables d’un projet de cette industrie dans le sud du pays, potentiellement l’un des plus grands au monde en matière d’extraction de cuivre, avaient notamment mis en avant, pour critiquer la ministre, le fait que 1,2 million d’ouvriers dépendent de l’activité minière dans l’archipel. En mars, la chambre de commerce des mines des Philippines avait soumis une pétition au Congrès contre la secrétaire à l’environnement, affirmant que les décisions de cette dernière étaient « illégales et sans fondement ».
Gina Lopez est un personnage hors norme : fille d’un milliardaire de Manille, elle a grandi dans l’élite avant de devenir professeure de yoga. Durant une vingtaine d’années, elle fut une sorte de missionnaire de cette pratique, vivant au Portugal, en Inde, en Afrique. Après avoir gagné la présidentielle de mai 2016, Rodrigo Duterte avait rencontré Gina Lopez à Davao, ville du sud des Philippines dont il a été le maire pendant une vingtaine d’années. La passion de la fougueuse militante pour la protection de la nature avait convaincu le nouveau chef de l’Etat, qui l’avait nommée peu après ministre de l’environnement.
« Ce qui est nécessaire »
M. Duterte, dont la présidence a été entachée, en à peine un an, par une lutte impitoyable contre la drogue qui a fait plusieurs milliers de morts chez revendeurs et usagers, entendait mener aussi une bataille pour la défense de l’environnement. Il avait ainsi agité, en mars, la menace d’interdire les opérations de l’ensemble de l’industrie minière de son pays, l’accusant notamment de « déstabiliser » son gouvernement. Il avait ajouté, sans autre précision : « Quand il s’agit de la préservation de mon pays, je fais ce qui est nécessaire. » Déclaration dont il est difficile de décrypter le message tant se sont multipliées les sorties verbales et contradictoires d’un président fantasque et provocateur.
Les groupes de défense de l’environnement n’ont pas tardé à critiquer le gouvernement, associant celui-ci aux intérêts des groupes industriels : « On voit clairement pour qui bat le cœur de l’administration Duterte », a réagi la Green Thumb Association, qui regroupe des dizaines d’organisations écologistes.
Le président a de son côté regretté le refus du Congrès de confirmer le poste de Gina Lopez : « C’est dommage, j’aime vraiment le caractère passionné de Gina », a-t-il dit, ajoutant : « Mais que voulez-vous, nous sommes en démocratie et les lobbys de l’argent sont les plus forts. Je ne contrôle pas tout. »
Bruno Philip (Bangkok, correspondant en Asie du Sud-Est)