« Make our planet great again ! » Malicieusement adapté du mantra « Make America great again ! » – qui permit à un ex-animateur de télé-réalité d’accéder à la Maison Blanche –, ce slogan est devenu une sorte d’étendard de l’engagement de la France contre le changement climatique. On s’en souvient : dans la nuit du 1er au 2 juin, quelques heures après l’annonce du retrait des Etats-Unis de l’accord de Paris, le président français, Emmanuel Macron, faisait une déclaration forte, en anglais, éreintant la décision du président américain et dérobant du même coup à Washington une part de son leadership sur le monde.
Dans une brève vidéo de trois minutes conclue par la fameuse promesse de « rendre à notre planète sa grandeur », M. Macron appelait « les scientifiques, les ingénieurs et les entrepreneurs » impliqués dans la lutte contre le réchauffement et déçus par les Etats-Unis à venir s’installer et travailler en France. Ils y trouveraient, assurait-il, « une seconde patrie ». La séquence fut répercutée et visionnée plusieurs millions de fois sur les réseaux sociaux – du jamais-vu pour un président français.
Battre le fer lorsqu’il est chaud
Il faut toujours battre le fer lorsqu’il est chaud et ce vieil adage n’a pas échappé aux communicants de l’Elysée. Moins d’une semaine après l’adresse urbi et orbi de M. Macron, le site Web destiné à faire interface entre les « scientifiques, ingénieurs et entrepreneurs » courtisés et les institutions ad hoc (organismes de recherche, d’aide au financement et à la création d’entreprise, etc.) était lancé en grande pompe. Tout, à commencer par le succès du génial slogan, avait été anticipé. Le nom de domaine makeourplanetgreatagain.fr a ainsi été déposé le 2 juin, à 0 h 18, soit précisément une minute avant que la déclaration en langue anglaise du président français ne soit diffusée depuis son compte Twitter.
Il n’y a là, jusqu’à présent, guère plus qu’une opération de communication rondement menée – facilitée, il est vrai, par la collaboration involontaire des cerveaux brillants qui occupent ces jours-ci la Maison Blanche. De fait, le portail mis en ligne demeure relativement creux et il est à peu près impossible qu’il parvienne, à lui seul, à déplacer les foules…
Il faudra attendre fin juin et la feuille de route du gouvernement sur la question climatique pour jauger de l’engagement réel du nouveau président sur ce dossier. La question majeure soulevée par le départ des Etats-Unis de l’accord de Paris est celle du financement du Fonds vert pour le climat, et l’ambition des pays développés – et de la France au premier chef – se lira très vite dans les moyens qu’ils se donneront pour le faire fonctionner en l’absence de Washington, qui devait en être le principal bailleur de fonds.
Les questions d’environnement rassemblent
En attendant, les questions soulevées par la séquence « Make our planet great again » résument assez bien celles posées par le rapport énigmatique du nouvel hôte de l’Elysée à la question environnementale. Conversion brusque et tardive ? Pur calcul politique destiné à rassembler avant les législatives et obtenir les coudées franches à l’Assemblée ?
Réelle ou surjouée, il est difficile de savoir dans quelle mesure cette épiphanie a pu jouer un rôle dans la percée spectaculaire du jeune parti présidentiel, dimanche 11 juin, au premier tour des élections législatives. Mais une chose est sûre, elle n’a pas desservi La République en marche : les questions d’environnement rassemblent, en France, bien au-delà de ce que suggèrent les scores désastreux de l’écologie politique.
M. Macron est-il convaincu de l’importance cardinale de ces enjeux ? Au premier abord, il est difficile de s’en persuader. Lors de son passage à Bercy, il a montré une imperméabilité à peu près totale à ces questions. En témoigne, par exemple, la concession minière accordée en baie de Lannion, autorisant l’extraction de sable coquillier, au prix de dommages environnementaux potentiellement considérables. Ou encore le permis de recherche d’or, de cuivre, de zinc et d’argent accordé à une société minière australienne dans les Côtes-d’Armor, sur un secteur de plus de 400 km2, et fédérant contre lui tous les candidats aux législatives de la circonscription concernée…
De même, au cours de sa campagne, la thématique environnementale est largement restée au second plan, au point d’embarrasser certains de ses soutiens les plus écolos. Elle est même demeurée absente du débat de l’entre-deux-tours de la présidentielle.
Signaux contradictoires
Depuis le 7 mai, le changement de posture et de discours sur l’environnement est donc spectaculaire, même si les signaux envoyés demeurent très contradictoires. Entre un premier ministre ancien lobbyiste d’Areva qui a voté contre toutes les lois environnementales du dernier quinquennat, un ministre de l’économie qui souhaitait supprimer le principe de précaution de la Constitution pour relancer la croissance, un ministre de l’agriculture qui n’a pas voté l’interdiction des pesticides « tueurs d’abeilles » et un ministre de l’action et des comptes publics qui, à l’automne 2016, justifiait les sorties climatosceptiques de son mentor Nicolas Sarkozy, on se demande comment Nicolas Hulot pourra mettre en œuvre la moindre transition écologique et solidaire.
Son arrivée à l’hôtel de Roquelaure, au deuxième rang protocolaire gouvernemental, n’est pourtant pas anodine. Et d’autant moins que l’intéressé n’y restera pas s’il ne peut rien y faire. Un esprit chagrin ferait certes remarquer que le nom de domaine makeourplanetgreatagain.fr n’a été acquis par les services de l’Etat que pour une année, et qu’à défaut d’être renouvelé, il expirera en juin 2018. On se gardera de dire si ce détail a valeur de prophétie ou s’il n’est qu’une (minuscule) erreur de communication.
Stéphane Foucart