Partie 1 : 1905
Russie : La répudiation des dettes au cœur des révolutions de 1905 et de 1917
![](IMG/jpg/arton14932.jpg)
Manifestation de femmes le 23 février 1917 à Petrograd
En février 1918, la répudiation des dettes par le gouvernement soviétique a secoué la finance internationale et a suscité une condamnation unanime de la part des gouvernements des grandes puissances.
Cette décision de répudiation s’inscrivait dans la continuité du premier grand mouvement d’émancipation sociale qui a ébranlé l’empire russe en 1905. Ce vaste soulèvement révolutionnaire avait été provoqué par la conjonction de plusieurs facteurs : la débâcle russe dans sa guerre avec le Japon, la colère des paysans qui exigeaient des terres, le rejet de l’autocratie, les revendications des ouvriers… Le mouvement a débuté par des grèves à Moscou en octobre 1905 et s’est étendu comme une traînée de poudre à tout l’empire en adoptant différentes formes de lutte. Au cours du processus d’auto-organisation des masses populaires naquirent des conseils (soviets en russe) de paysans, des conseils d’ouvriers, des conseils de soldats…
Dans son autobiographie, Léon Trotsky qui a présidé le Soviet de Saint-Pétersbourg (capitale de la Russie jusque mars 1918) explique que l’arrestation de toute sa direction le 3 décembre 1905 a été provoquée par la publication d’un manifeste dans lequel les membres de ce conseil élu appelaient à la répudiation des dettes contractées par le régime du tsar. Il explique également que cet appel de 1905 au non-paiement de la dette a fini par être concrétisé au début de l’année 1918 quand le gouvernement des soviets adopta le décret de répudiation des dettes tsaristes :
Nous fûmes appréhendés le lendemain de la publication de ce qu’on a appelé notre « manifeste financier », dans lequel était annoncée l’inévitable faillite du régime tsariste : on donnait catégoriquement à savoir que les dettes des Romanov ne seraient pas reconnues par le peuple, le jour où il remporterait la victoire [1].
![](IMG/jpg/manif1905-ad496.jpg)
22 janvier 1905 : Dimanche rouge à Saint-Pétersbourg
Le manifeste du soviet des députés ouvriers déclarait nettement ceci :
« L’autocratie n’a jamais joui de la confiance du peuple et n’a pas été fondée par lui en pouvoirs. En conséquence, nous décidons que nous n’admettrons pas le paiement des dettes sur tous emprunts que le gouvernement du tsar aura conclus alors qu’il était en guerre ouverte et déclarée avec tout le peuple. »
La Bourse de Paris devait répliquer, quelques mois plus tard, à notre manifeste en accordant au tsar un nouvel emprunt de sept cent cinquante millions de francs. La presse de la réaction et des libéraux se gaussait des impuissantes menaces du soviet à l’égard des finances tsaristes et des banquiers d’Europe. Ensuite, on tâcha d’oublier le manifeste. Mais il devait rentrer de lui-même dans les mémoires. La banqueroute financière du tsarisme, préparée par tout le passé, éclata en même temps que la débâcle militaire. Et, après la victoire de la révolution, un décret du conseil des commissaires du peuple, en date du 10 février 1918, déclara purement et simplement annulées toutes les dettes du tsar. Ce décret est encore en vigueur [2]. Ils ont tort, ceux qui affirment que la révolution d’Octobre ne reconnaît aucune obligation. La révolution reconnaît fort bien ses obligations à elle. L’engagement qu’elle avait pris le 2 décembre 1905, elle l’a tenu le 10 février 1918. Elle a absolument le droit de dire aux créanciers du tsarisme « Messieurs, vous avez été prévenus en temps opportun ! »
Sous ce rapport comme sous tous les autres, 1905 avait préparé 1917.
Dans le livre intitulé 1905, L. Trotsky décrit la succession des évènements qui a amené à l’adoption du Manifeste financier par lequel le Soviet, cet organe de démocratie révolutionnaire, appelait à refuser de payer les dettes contractées par le tsar.
Un vaste champ d’activité s’ouvrait donc devant le Soviet. Autour de lui s’étendaient d’immenses friches politiques qu’il n’y avait qu’à labourer avec la forte charrue révolutionnaire [3]. Mais le temps manquait. La réaction, fiévreusement, forgeait des chaînes et l’on pouvait s’attendre, d’heure en heure, à un premier coup. Le comité exécutif, malgré la masse de travaux qu’il avait à accomplir chaque jour, se hâtait d’exécuter la décision prise par l’assemblée le 27 novembre 1905. Il lança un appel aux soldats et, dans une conférence avec les représentants des partis révolutionnaires, approuva le texte du Manifeste financier (…).
Le 2 décembre 1905, le manifeste fut publié dans huit journaux de Saint-Pétersbourg : quatre socialistes et quatre libéraux.
Voici le texte de ce document historique :
« Le gouvernement est au bord de la faillite. Il a fait du pays un monceau de ruines, il l’a jonché de cadavres. Épuisés, affamés, les paysans ne sont plus en mesure de payer les impôts. Le gouvernement s’est servi de l’argent du peuple pour ouvrir des crédits aux propriétaires. Maintenant, il ne sait que faire des propriétés qui lui servent de gages. Les fabriques et les usines ne fonctionnent plus. Le travail manque. C’est partout le marasme.
Le gouvernement a employé le capital des emprunts étrangers à construire des chemins de fer, une flotte, des forteresses, à constituer des réserves d’armes. Les sources étrangères étant taries, les commandes de l’État n’arrivent plus. Le marchand, le gros fournisseur, l’entrepreneur, l’industriel, qui ont pris l’habitude de s’enrichir aux dépens de l’État, sont privés de leurs bénéfices et ferment leurs comptoirs et leurs usines. Les faillites se multiplient. Les banques s’écroulent. Il n’y a pratiquement plus d’opérations commerciales.
« La lutte du gouvernement contre la révolution suscite des troubles incessants. Personne n’est sûr du lendemain.
« Le capital étranger repasse la frontière. Le capital « purement russe », lui aussi, va se mettre à couvert dans les banques étrangères. Les riches vendent leurs biens et émigrent. Les rapaces fuient le pays, en emportant les biens du peuple.
« Depuis longtemps, le gouvernement dépense tous les revenus de l’État à entretenir l’armée et la flotte. Il n’y a pas d’écoles. Les routes sont dans un état épouvantable. Et pourtant, on manque d’argent, au point d’être incapable de nourrir les soldats. La guerre a été perdue en partie parce que nous manquions de munitions. Dans tout le pays, l’armée, réduite à la misère et affamée, se révolte.
« L’économie des voies ferrées est ruinée par le gaspillage, un grand nombre de lignes ont été dévastées par le gouvernement. Pour réorganiser rentablement les chemins de fer, il faudra des centaines et des centaines de millions.
[…]
« Le gouvernement a dilapidé les caisses d’épargne et a fait usage des fonds déposés pour renflouer des banques privées et des entreprises industrielles qui, souvent, sont véreuses. Avec le capital des petits porteurs, il joue à la Bourse, exposant les fonds à des risques quotidiens.
« La réserve d’or de la Banque d’État est insignifiante par rapport aux exigences que créent les emprunts gouvernementaux et aux besoins du mouvement commercial. Cette réserve sera bientôt épuisée si l’on exige dans toutes les opérations que le papier soit échangé contre de la monnaie-or.
[…]
« Profitant de ce que les finances ne sont pas contrôlées, le gouvernement conclut depuis longtemps des emprunts qui dépassent de beaucoup la solvabilité du pays. Et c’est par de nouveaux emprunts qu’il paye les intérêts des précédents.
« Le gouvernement, d’année en année, établit un budget factice des recettes et des dépenses, déclarant les unes comme les autres au-dessous de leur montant réel, pillant à son gré, accusant une plus-value au lieu du déficit annuel. Et les fonctionnaires, qui n’ont au-dessus d’eux aucun contrôle, achèvent d’épuiser le Trésor.
« Seule l’Assemblée constituante peut mettre fin à ce saccage des finances, après avoir renversé l’autocratie. L’Assemblée soumettra à une enquête rigoureuse les finances de l’État et établira un budget détaillé, clair, exact et vérifié des recettes et des dépenses publiques.
« La crainte d’un contrôle populaire qui révélerait au monde entier son incapacité financière force le gouvernement à remettre sans cesse la convocation des représentants populaires.
« La faillite financière de l’État vient de l’autocratie, de même que sa faillite militaire. Les représentants du peuple seront sommés et forcés de payer le plus tôt possible les dettes.
« Cherchant à défendre son régime de malversations, le gouvernement force le peuple à mener contre lui une lutte à mort. Dans cette guerre, des centaines et des milliers de citoyens périssent ou se ruinent ; la production, le commerce et les voies de communication sont détruits de fond en comble.
« Il n’y a qu’une issue : il faut renverser le gouvernement, il faut lui ôter ses dernières forces. Il faut tarir la dernière source d’où il tire son existence : les recettes financières. C’est nécessaire non seulement pour l’émancipation politique et économique du pays, mais, en particulier, pour la mise en ordre de l’économie financière de l’État.
« En conséquence, nous décidons que :
« On refusera d’effectuer tous versements de rachat des terres et tous paiements aux caisses de l’État. On exigera, dans toutes les opérations, en paiement des salaires et des traitements, de la monnaie-or, et lorsqu’il s’agira d’une somme de moins de cinq roubles, on réclamera de la monnaie sonnante.
« On retirera les dépôts faits dans les caisses d’épargne et à la Banque d’État en exigeant le remboursement intégral.
« L’autocratie n’a jamais joui de la confiance du peuple et n’y était aucunement fondée.
« Actuellement, le gouvernement se conduit dans son propre État comme en pays conquis.
« C’est pourquoi nous décidons de ne pas tolérer le paiement des dettes sur tous les emprunts que le gouvernement du tsar a conclus alors qu’il menait une guerre ouverte contre le peuple. »
(Fin du texte du manifeste)
![](IMG/jpg/t1906b-2-3fdb7-510c7.jpg)
Trotsky (avec le porte document en main) parmi les membres du soviet de Petrograd de 1905, lors de leur procès.
En bas du Manifeste publié dans la presse le 2 décembre 1905, apparaissait la liste suivante des organisations qui appuyaient cet appel à refuser de payer la dette tsariste et à asphyxier financièrement l’autocratie :
« Le soviet des députés ouvriers ;
« Le comité principal de l’Union panrusse des paysans ;
« Le comité central et la commission d’organisation du parti ouvrier social-démocrate russe ;
« Le comité central du parti socialiste-révolutionnaire ;
« Le comité central du parti socialiste polonais. »
Trotsky ajoute un commentaire final : « Bien entendu, ce manifeste ne pouvait par lui-même renverser le tsarisme, ni ses finances.
(…) Le Manifeste financier du soviet ne pouvait servir que d’introduction aux soulèvements de décembre. Soutenu par la grève et par les combats qui furent livrés sur les barricades, il trouva un puissant écho dans tout le pays. Tandis que, pour les trois années précédentes, les dépôts faits aux caisses d’épargne en décembre dépassaient les retraits de 4 millions de roubles, en décembre 1905, les retraits dépassèrent les dépôts de 90 millions : le manifeste avait tiré des réservoirs de l’État, en un mois, 94 millions de roubles ! Il fallut que l’insurrection fût écrasée par les hordes tsaristes pour que l’équilibre se rétablisse dans les caisses d’épargne... ».
La dénonciation du caractère illégitime et odieux des dettes tsaristes a joué un rôle fondamental dans les révolutions de 1905 et de 1917. L’appel à ne pas payer la dette a fini par se concrétiser dans le décret de répudiation de la dette adoptée par le gouvernement soviétique en février 1918.
Partie 2 : 1917
De la Russie tsariste à la révolution de 1917 et à la répudiation des dettes
La Russie a émergé de la fin des guerres napoléoniennes comme une grande puissance européenne, elle a participé à la formation de la Sainte-Alliance. La Sainte-Alliance a été constituée le 26 septembre 1815 à Paris, à l’instigation du Tsar Alexandre 1er, par trois monarchies européennes victorieuses de l’empire napoléonien, dans le but de raffermir leurs positions et de se prémunir contre des révolutions. Constituée dans un premier temps par l’Empire russe, l’Empire d’Autriche et le Royaume de Prusse, elle a été rejointe par la France (où la monarchie avait été restaurée) en 1818 et a été de fait appuyée par Londres.
La Russie tsariste : une grande puissance européenne
L’Empire russe a fait partie de la Troïka qui a mis sur le trône grec un prince bavarois en 1830 et a enchaîné le pays à une dette à la fois odieuse et insoutenable. Pour Moscou, le démantèlement progressif de l’Empire ottoman constituait un enjeu très important car les intérêts russes dans les Balkans étaient en jeu, de même que la circulation entre la mer Noire et la Méditerranée.
![](IMG/jpg/nie_1905_europe_-_after_the_congress_of_vienna.jpg)
L’Europe en 1815, après le congrès de Vienne.
Jusqu’aux années 1870, les banquiers londoniens ont été les principaux financiers du tsar. À partir de la constitution de l’Empire allemand et de sa victoire sur la France en 1871, les banquiers allemands ont pris la place de Londres. Dès ce moment, l’Allemagne est devenue le principal partenaire commercial de la Russie. À la veille de la première guerre mondiale, 53 % des importations de la Russie provenaient d’Allemagne et 32 % de ses exportations lui étaient destinées. Par contre, au niveau financier, dès la fin du 19e siècle, les banquiers français ont supplanté les banquiers allemands. À la veille de la première guerre mondiale, 80 % de la dette externe russe étaient détenus par des « investisseurs » de France et la plupart des emprunts russes en cours avaient été émis sur la place de Paris.
![](IMG/jpg/big-empire_russe_1905.jpg)
En résumé, les capitalistes de France prêtaient à la Russie et y réalisaient des investissements (les capitalistes belges, en particulier les « industriels », investissaient également de manière importante en Russie [4]) tandis que les capitalistes allemands y écoulaient une partie de leur production et s’y approvisionnaient en matières premières.
Lorsque le soviet de Petrograd a adopté le manifeste financier pour appeler à répudier la dette tsariste, la Russie s’apprêtait à émettre, grâce au concours des banquiers et du gouvernement français, un nouvel emprunt massif. L’avertissement lancé par le soviet n’a pas été écouté par les financiers de Paris, l’emprunt a été réalisé. Douze ans plus tard, il a été répudié.
Première guerre mondiale
La première guerre mondiale opposait deux camps de puissances capitalistes : d’un côté l’Empire allemand et ses alliés l’Empire austro-hongrois, la Bulgarie, et l’Empire ottoman. Le deuxième était composé de la Grande-Bretagne, la France, l’Empire russe, la Belgique, la Roumanie, l’Italie, le Japon et, à partir de février 1917, les États-Unis.
Depuis des années, l’Allemagne, la France, la Grande-Bretagne, la Russie tsariste se préparaient à la guerre. L’Allemagne, en pleine progression économique, cherchait à étendre son territoire tant en Europe que dans le domaine colonial.
La France cherchait à prendre sa revanche sur l’Allemagne et notamment à obtenir l’Alsace et la Lorraine annexées par l’Allemagne suite à la défaite française de 1871. La Grande-Bretagne, la France et la Russie voulaient aussi étendre leur domaine colonial, notamment sur les ruines de l’Empire ottoman.
La gauche, dans les différents pays belligérants, avait dénoncé, plusieurs années auparavant, les préparatifs de cette guerre.
Au Congrès de Stuttgart (1907) de l’Internationale socialiste, la résolution votée à l’unanimité affirmait :
« Au cas où la guerre éclaterait néanmoins, (les partis socialistes) ont le devoir de s’entremettre pour la faire cesser promptement et d’utiliser de toutes leurs forces la crise économique et politique créée par la guerre pour agiter les couches populaires les plus profondes et précipiter la chute de la domination capitaliste ».
En 1913, au Congrès extraordinaire de Bâle, l’Internationale avait adressé un avertissement solennel aux gouvernements : « Que les gouvernements sachent bien que dans l’état actuel de l’Europe et dans les dispositions d’esprit de la classe ouvrière, ils ne pourraient, sans péril pour eux-mêmes, déclencher la guerre. » [5]
Jean Jaurès, grande figure du socialisme français, résuma ce message, en termes succincts, dans la phrase finale de son discours au Congrès de Bâle : « En accentuant le danger de guerre, les gouvernements devraient voir que les peuples pourraient facilement faire leurs comptes : leur propre révolution leur coûterait moins de morts que la guerre des autres ».
Au moment décisif, en août 1914, plusieurs grands partis socialistes (le parti social démocrate d’Allemagne, celui d’Autriche, ceux de Belgique, de France et de Grande-Bretagne) ont voté avec leur bourgeoisie les crédits pour financer la guerre. Le coût en vies humaines a été extrêmement élevé. Le total des décès dus au conflit mondial s’élève à 18,6 millions, 9,7 millions de militaires et 8,9 millions de civils. Entre 1914 et février 1917, le nombre de décès en Russie causés par la participation du Tsar à la première guerre mondiale s’éleva à 3 300 000 dont 1 800 000 parmi les militaires et 1 500 000 parmi les civils [6].
De la révolution de février 1917 à celle d’octobre
Lorsque la révolution éclata en février 1917, avec une importante grève des femmes (elle a démarré le 23 février 1917 [7], journée internationale pour les droits des femmes [8]), la population russe voulait se débarrasser du régime autocratique tsariste, elle voulait du pain, elle désirait également la fin de la guerre, l’accès à la terre pour des dizaines de millions de paysans qui en étaient privés et qui étaient forcés de risquer leur vie dans une guerre dont les objectifs leur étaient totalement étrangers.
Le nouveau régime, dirigé par le socialiste modéré Kerensky [9] qui succéda au tsar se refusa à distribuer la terre aux paysans, voulu poursuivre la guerre et fût incapable de nourrir la population. Il s’engagea également à rembourser les dettes contractées par le régime tsariste auprès des créanciers étrangers et il réalisa de nouveaux emprunts afin de poursuivre la guerre.
Dan, un des principaux dirigeants mencheviks opposés au parti bolchevik, décrit l’ébullition révolutionnaire dans les mois qui précédèrent octobre 1917 : les masses « commencèrent de plus en plus fréquemment à exprimer leur mécontentement et leur impatience dans des mouvements impétueux, et finirent (…) par se tourner vers le communisme (…). Les grèves se succédèrent. Les ouvriers cherchèrent à répondre à la hausse rapide du coût de la vie par des augmentations de salaires. Mais tous leurs efforts échouèrent par suite de la dévalorisation continue de la monnaie de papier. Les communistes lancèrent dans leurs rangs le mot d’ordre du « contrôle ouvrier », et leur conseillèrent de prendre en mains eux-mêmes la direction des entreprises, afin d’empêcher le « sabotage » des capitalistes. De l’autre côté, les paysans commencèrent à s’emparer des domaines, à chasser les propriétaires fonciers et à mettre le feu à leurs manoirs… » [10].
La révolution d’octobre 1917
L’insatisfaction provoquée par la politique de Kerensky produisit une deuxième révolution en octobre 1917 (le 7 novembre 1917 selon le nouveau calendrier adopté plus tard). Le nouveau gouvernement [11], soutenu par le congrès des soviets, s’engagea à réaliser la paix, distribuer la terre et, pour trouver les moyens de relancer l’économie du pays, répudier la dette et nationaliser le secteur bancaire [12].
La répudiation des dettes
Début janvier 1918, le gouvernement soviétique suspendit le paiement de la dette étrangère et début février 1918, il décréta la répudiation de toutes les dettes tsaristes ainsi que les dettes contractées par le gouvernement provisoire afin de poursuivre la guerre entre février et novembre 1917. En même temps, il décida d’exproprier tous les avoirs des capitalistes étrangers en Russie afin de les restituer au patrimoine national. La dette publique russe en 1913 s’élevait à 930 millions de £ (soit grosso modo 50 % du PIB). Entre le début de la guerre et le moment où les Bolcheviques arrivent au pouvoir avec leurs alliés les Socialistes Révolutionnaires de gauche, la dette a été multipliée par 3,5 et atteignait 3 385 millions de £.
En répudiant les dettes, le gouvernement soviétique mettait en pratique la décision prise en 1905 par le soviet de Petrograd et les différents partis qui le soutenaient. Cela provoqua une protestation unanime des capitales des grandes puissances alliées.
Décret sur la Paix
Le gouvernement soviétique proposait une paix sans annexion et sans compensation/réparation. Il y ajoutait la mise en pratique du droit à l’autodétermination des peuples. Il s’agissait de l’application de principes totalement novateurs ou révolutionnaires dans les relations entre les États.
Partie 3 : la guerre civile
La révolution russe, la répudiation des dettes, la guerre et la paix
Début janvier 1918, le gouvernement soviétique suspendit le paiement de la dette étrangère et début février 1918, il décréta la répudiation de toutes les dettes tsaristes ainsi que les dettes contractées par le gouvernement provisoire afin de poursuivre la guerre entre février et novembre 1917. En même temps, il décida d’exproprier tous les avoirs des capitalistes étrangers en Russie afin de les restituer au patrimoine national. En répudiant les dettes, le gouvernement soviétique mettait en pratique la décision prise en 1905 par le soviet de Petrograd et les différents partis qui le soutenaient. Cela provoqua une protestation unanime des capitales des grandes puissances alliées.
Décret sur la Paix
Le gouvernement soviétique proposait une paix sans annexion et sans compensation/réparation. Il y ajoutait la mise en pratique du droit à l’autodétermination des peuples. Il s’agissait de l’application de principes totalement novateurs ou révolutionnaires dans les relations entre les États. Il est avéré que cette politique du gouvernement soviétique a, à la fois, contrarié et influencé celle du président Woodrow Wilson [13] qui avait fait du droit à l’autodétermination des peuples un élément central de la politique extérieure des EU [14]. Les motivations des bolcheviques et celles du gouvernement des EU étaient certes différentes. Les EU, qui n’avaient pas un important domaine colonial, avaient tout intérêt à affaiblir les empires britannique et allemand, les puissances coloniales belges, françaises, hollandaises… afin d’occuper leur place par d’autres méthodes. Le meilleur argument diplomatique et humanitaire était le droit à l’autodétermination des peuples africains, caribéens, asiatiques qui subissaient encore le joug colonial. Pour les bolcheviques, il s’agissait de mettre fin à l’Empire tsariste qu’ils dénonçaient comme une prison des peuples.
La volonté de faire la paix constituait une des causes fondamentales qui avaient provoqué le soulèvement révolutionnaire de 1917. L’écrasante majorité des soldats russes refusait la poursuite de la guerre. Ils étaient presqu’en totalité des paysans qui souhaitaient retourner vers leurs familles et travailler la terre. De plus, depuis de longues années, bien avant le début effectif de la guerre, les bolcheviques, dans le cadre de l’Internationale socialiste dont ils ont fait partie jusqu’à la trahison d’août 1914, se sont opposés à la politique de préparation de celle-ci, affirmant qu’il fallait un combat commun pour mettre fin au capitalisme et à sa phase impérialiste ainsi qu’à son domaine colonial.
Pour mettre en pratique cette orientation, le gouvernement soviétique était forcé d’entamer des négociations séparées avec Berlin et ses alliés car, en 1917, Londres, Paris et Washington voulaient poursuivre la guerre. Le gouvernement soviétique a bien essayé d’amener ces capitales alliées à la table de négociation mais sans succès. Après avoir signé un armistice avec l’empire allemand mi-décembre 1917, il a fait traîner les négociations avec Berlin pendant 5 mois. Il avait l’espoir de voir plusieurs peuples d’Europe, en premier lieu le peuple allemand, se soulever contre leur gouvernement pour obtenir la paix. Il a également espéré en vain que le président Wilson apporterait un soutien à la Russie soviétique face à l’Allemagne [15]. Il voulait également démontrer à l’opinion publique internationale qu’il souhaitait une paix générale tant à l’Ouest qu’à l’Est et que ce ne serait qu’en dernier ressort qu’il serait amené à signer une paix séparée avec Berlin.
Dés décembre 1917, le gouvernement soviétique commença à rendre public de nombreux documents secrets qui montraient comment les grandes puissances européennes se préparaient à se répartir des territoires et des peuples au mépris de leur droit à l’autodétermination. Il s’agissait notamment d’un accord entre Paris, Londres et Moscou datant de 1915 qui prévoyait que lors de la victoire, l’empire tsariste aurait le droit de prendre Constantinople, la France récupèrerait l’Alsace-Lorraine et Londres pourrait prendre le contrôle de la Perse [16]. Début mars 1918, le gouvernement soviétique signait le traité de Brest-Litovsk avec Berlin. Le prix était très élevé, l’Empire allemand s’octroyait une grande partie du territoire occidental de l’Empire russe : une partie des pays baltes, une partie de la Pologne et l’Ukraine. En résumé, ce traité amputait la Russie de 26 % de sa population, de 27 % de la surface cultivée, de 75 % de la production d’acier et de fer.
![](IMG/jpg/brest-litovsk.jpg)
L’intervention des puissances alliées contre la Russie soviétique
L’appel du gouvernement soviétique à réaliser la révolution partout dans le monde, combiné à sa volonté de mettre fin à la guerre, à la répudiation des dettes réclamées par les puissances alliées et aux mesures de nationalisation, décida les dirigeants occidentaux à se lancer dans une action massive d’agression contre la Russie soviétique afin de renverser le gouvernement révolutionnaire et de restaurer l’ordre capitaliste. L’intervention étrangère commença pendant l’été 1918 et se termina fin 1920 quand les capitales occidentales constatèrent leur échec et durent reconnaître que le gouvernement soviétique et l’armée rouge avaient repris le contrôle du territoire. 14 pays participèrent avec des troupes à cette agression. La France envoya 12 000 soldats (en mer Noire et au Nord), Londres en envoya 40 000 (principalement au Nord), le Japon 70 000 (en Sibérie), Washington, 13 000 (au Nord avec les Britanniques et les Français), les Polonais, 12 000 (en Sibérie et à Mourmansk), la Grèce 23 000 (en mer Noire), le Canada 5 300 [17]. À noter que l’intervention japonaise se prolongea jusqu’octobre 1922. Selon Winston Churchill, ministre de la guerre dans le gouvernement britannique, les troupes étrangères alliées atteignirent 180 000 soldats.
Le gouvernement français était le plus violemment opposé au gouvernement soviétique et ce, dès le début. Plusieurs raisons l’expliquent : 1. il craignait l’extension en France du mouvement révolutionnaire initié par le peuple russe, l’opposition à la poursuite de la guerre était forte dans la population française ; 2. la décision soviétique de répudier la dette affectait la France plus que tout autre pays étant donné que les emprunts russes avaient été émis à Paris et étaient en majorité détenus en France.
Il est avéré que le gouvernement français en 1917 avait entamé des pourparlers secrets avec Berlin afin d’arriver à un accord de paix qui prévoyait de laisser l’empire allemand s’étendre à l’Est au détriment de la Russie révolutionnaire à condition que soit restituée à la France l’Alsace et la Lorraine. Le refus de Berlin de faire cette concession à Paris mit fin à cette négociation [18].
L’armistice du 11 novembre 1918 signé entre les capitales occidentales et Berlin prévoyait que les troupes allemandes pouvaient rester provisoirement dans les territoires « russes » qu’elles occupaient. En vertu de l’article 12 de l’armistice, l’Allemagne devait évacuer tous les anciens territoires russes « dès que les Alliés jugeront le moment convenable, eu égard à la situation interne de ces territoires » [19]. Cela visait à permettre à l’armée impériale d’empêcher le gouvernement soviétique de récupérer rapidement le contrôle du territoire concédé à l’Allemagne par le traité de Brest-Litovsk. L’idée des Alliés était de permettre à des forces antibolcheviques de prendre le contrôle de ces territoires et d’en faire un point d’appui pour renverser le gouvernement.
L’historien britannique E. H. Carr montre à quel point l’intervention contre la Russie soviétique était impopulaire : « Lorsque les hommes d’État alliés se réunirent à Paris pour la conférence de la Paix, en janvier 1919, ils discutèrent de l’occupation de la Russie par les troupes alliées ; le premier ministre britannique, Lloyd George, déclara à ses collègues que « s’il tentait actuellement d’envoyer un millier de soldats britanniques en occupation en Russie, les troupes se mutineraient » et que « si l’on entreprenait une opération militaire contre les bolcheviks, l’Angleterre deviendrait bolchevique ». Lloyd George, à son ordinaire, cherchait à frapper les esprits, mais, en même temps, son intuition percevait bien les symptômes. Au début 1919, il y eu de graves mutineries dans la flotte française et dans les unités militaires françaises débarquées à Odessa ainsi que dans d’autres ports de la mer Noire ; au début d’avril, elles furent précipitamment évacuées. Quant aux troupes multinationales sous commandement anglais sur le front d’Arkhangelsk, le directeur des opérations militaires au ministère anglais de la guerre fit savoir que leur moral était « si bas qu’elles étaient une proie aisée pour la propagande bolchevique, très active et insidieuse, que l’ennemi répand avec une énergie et une habileté sans cesse accrues ». Beaucoup plus tard, des rapports officiels américains révélèrent le détail de la situation. Le 1er mars 1919, des troupes françaises qui avaient reçu l’ordre de monter en ligne se mutinèrent. Quelques jours plus tôt, une compagnie d’infanterie britannique « refusa d’aller au front ». Peu après, une compagnie américaine « refusa pendant un certain temps de retourner au front ». Devant ces évènements, le gouvernement britannique décida en mars 1919 d’évacuer le nord de la Russie – évacuation qui ne fut complète que six mois plus tard. » [20]
![](IMG/jpg/guerre-civile-russe.jpg)
Interventions militaires occidentales dans l’ouest de la Russie en 1919 et 1920
Winston Churchill était un des principaux faucons dans le camp occidental. Profitant de l’absence de Lloyd George et du président des EU, lors d’une conférence au sommet tenue à Paris les 19 février 1919, Churchill intervint pour convaincre les autres gouvernements de compléter leur intervention par un soutien direct aux forces des généraux russes blancs, il proposa de leur envoyer « des volontaires, des techniciens des armes, des munitions, des tanks, des aéroplanes, etc. » et à « armer les forces antibolcheviques » [21].
Les Alliés tentèrent de convaincre les nouvelles autorités allemandes (pro-occidentales) de participer à l’action contre la Russie bolchevique. Malgré une très forte pression des capitales occidentales, en octobre 1919, le Reichstag, le parlement allemand, au sein duquel les socialistes (SPD) et les libéraux étaient majoritaires, vota à l’unanimité contre l’adhésion de l’Allemagne au blocus décrété par les Alliés contre la Russie soviétique. Pour être complet, il faut ajouter que dans le même temps des généraux allemands comme Ludendorff et, en particulier, Von der Goltz qui dirigeait les derniers débris organisés de l’ancienne armée impériale, soutenaient des actions militaires à l’Est pour venir en aide aux généraux russes blancs antibolcheviques. Ils le faisaient avec le soutien des capitales occidentales [22].
Il est évident que tant les gouvernements occidentaux ainsi que ceux des puissances centrales qui avaient été vaincues (Empire allemand et l’Autriche-Hongrie) craignaient l’extension à leur pays de la révolution. Lloyd George écrivait dans un document confidentiel au début de l’année 1919 : « L’Europe toute entière est gagnée par l’esprit révolutionnaire. Il y a chez les ouvriers un sentiment profond, non seulement de mécontentement, mais de colère et de révolte contre les conditions d’avant-guerre. L’ordre établi sous ses aspects politique, social, économique est remis en question par les masses de la population d’un bout à l’autre de l’Europe » [23]. Cette peur de la révolution n’était pas imaginaire et elle explique largement la violence de l’agression contre la Russie bolchevique.
L’intervention étrangère soutint les attaques des généraux russes blancs et prolongea la guerre civile qui fut très meurtrière (celle-ci provoqua plus de morts que la guerre mondiale en Russie [24]). Le coût de l’intervention étrangère en vie humaines et en dégâts matériels était considérable et le gouvernement soviétique a exigé plus tard que cette question soit prise en considération dans les négociations internationales à propos de la répudiation de la dette (voir plus loin).
Le blocus économique et financier contre la Russie soviétique, le blocus de l’or russe
À partir de 1918, la Russie soviétique a fait l’objet d’un blocus de la part des puissances alliées. Le gouvernement soviétique était prêt à payer en or l’importation de biens dont il avait un besoin absolu. Mais aucune des grandes banques et aucun gouvernement du monde ne pouvait alors accepter l’or soviétique sans entrer en conflit direct avec les gouvernements alliés. En effet, Paris, Londres, Washington, Bruxelles… considéraient que l’or russe devait leur revenir afin d’indemniser les capitalistes qui avaient été expropriés en Russie et afin de rembourser les dettes. Ce fut un obstacle très difficile à surmonter pour le commerce soviétique. Aux États-Unis, toute personne ou entreprise voulant réaliser une transaction avec de l’or ou entrer dans le pays avec de l’or devait réaliser la déclaration suivante : « Le soussigné propriétaire d’un lot d’or... déclare et garantit, par la présente, que cet or n’est pas d’origine bolcheviste et n’a jamais été en possession du soi-disant Gouvernement bolcheviste de Russie. Le soussigné, en outre... garantit, pour toujours, aux États-Unis, sans aucune restriction ni aucune réserve quelconque, le droit sur ce dit or. » [25].
Il faut ajouter qu’après la capitulation allemande de novembre 1918, la France a réussi à récupérer la forte rançon en or que Berlin avait obtenu de la Russie en application du traité de paix de Brest-Litovsk signé en mars 1918 [26]. La France refusait de rétrocéder cet or à la Russie en considérant qu’il s’agissait d’une partie des réparations que l’Allemagne devait payer à Paris. A noter que le blocus de l’or russe s’est poursuivi partiellement pendant des années. C’est ainsi que la France a encore réussi en 1928 à obtenir des autorités de Washington qu’elles interdisent un paiement en or russe pour un contrat entre la Russie et une société privées des États-Unis.
Partie 4 : le droit d’autodétermination
La révolution russe, le droit des peuples à l’autodétermination et la répudiation des dettes
Le traité de Versailles est finalement signé le 28 juin 1919 sans que la Russie soviétique y prenne part. Néanmoins, le Traité de Versailles annulait le Traité de Brest-Litovsk. En vertu de l’article 116 du Traité de Versailles, la Russie pouvait demander des réparations à l’Allemagne. Ce qu’elle ne fit pas car elle voulut être cohérente avec sa position en faveur d’une paix sans annexion et sans demande d’indemnité. D’une certaine manière, ce qui lui importait c’est que le Traité de Brest-Litovsk soit aboli et que les territoires annexés par l’Allemagne en mars 1918 soient rendus aux peuples qui en avaient été spoliés (peuples baltes, peuple polonais, peuple ukrainien, peuple russe…), en accord avec le principe du droit à l’autodétermination défendu par le nouveau gouvernement soviétique.
Les traités avec les républiques baltes, la Pologne, la Perse, la Turquie…
Ce droit est ainsi invoqué dans les premiers articles de chacun des traités de paix signés entre la Russie soviétique et les nouveaux États baltes en 1920 : l’Estonie le 2 février, la Lituanie le 12 juillet et la Lettonie le 11 août. Ces traités de paix sont similaires et l’indépendance de ces États – qui avaient été intégrés de force dans l’Empire tsariste – y est systématiquement affirmée dans le premier ou le second article. À travers ces traités, la Russie réaffirme son opposition à la domination du capital financier et sa décision de répudier les dettes tsaristes. En effet, le traité signé le 2 février avec l’Estonie énonce : « L’Estonie ne portera aucune part des responsabilités dans les dettes et toutes autres obligations de la Russie (…). Toutes les réclamations des créanciers de la Russie pour la part de dettes concernant l’Estonie doivent être dirigées uniquement contre la Russie. » Des dispositions similaires à l’égard de la Lituanie et de la Lettonie figurent dans les traités signés avec ces États. En plus de réaffirmer que des peuples ne devraient pas avoir à payer des dettes illégitimes contractées en leur nom mais pas dans leur intérêt, la Russie soviétique reconnaît ainsi le rôle d’oppresseur joué par la Russie tsariste à l’égard des nations minoritaires composant l’Empire.
Cohérente avec les principes qu’elle proclame, la Russie soviétique va plus loin. Dans ces traités de paix, elle s’engage à restituer aux nations baltes opprimées les biens accaparés par le régime tsariste (et notamment les biens culturels et académiques tels que les écoles, les bibliothèques, les archives, les musées) ainsi que les biens individuels qui ont été évacués des territoires baltes durant la Première Guerre mondiale. À titre de réparations pour les dommages causés durant la Première Guerre mondiale à laquelle la Russie tsariste a participé, la Russie soviétique annonce dans ces traités sa volonté d’accorder 15 millions de roubles-or à l’Estonie, 3 millions de roubles-or à la Lituanie et 4 millions de roubles-or à la Lettonie, ainsi que le droit pour ces trois États d’exploiter le bois des forêts russes à proximité de leurs frontières. Tandis que les créances de l’État russe sur les ressortissants des États baltes sont transférées aux nouvelles autorités indépendantes, les traités de paix signés avec la Lituanie et la Lettonie précisent que les dettes des petits propriétaires paysans envers les anciennes banques foncières russes désormais nationalisées ne sont, quant à elles, pas transférées aux nouveaux gouvernements, mais « sont purement et simplement annulées ». Ces dispositions s’étendent également aux petits propriétaires estoniens en vertu de l’article 13 du traité de paix signé avec l’Estonie, qui prévoit que les « exonérations, droits ou privilèges particuliers » accordés à un nouvel État issu de l’Empire tsariste ou à ses citoyens, s’étend aussitôt à l’Estonie ou à ses citoyens.
En signant ces traités, la Russie soviétique, tout en mettant en application les principes qu’elle veut défendre, cherche à sortir de l’isolement dans lequel les puissances impérialistes l’ont plongée depuis la Révolution d’Octobre. Les États baltes sont les premiers à rompre le blocus imposé à la Russie, et ces accords de paix ouvrent la voie à des échanges commerciaux entre les différentes parties. En mars 1921, un accord de paix similaire est signé entre la Russie, l’Ukraine et la Biélorussie d’un côté, et la Pologne de l’autre côté. Ce document décharge la Pologne de toute responsabilité concernant les dettes contractées en son nom par l’Empire tsariste, prévoit la restitution des biens accaparés par la Russie tsariste, et le paiement de réparations à la Pologne par la Russie et l’Ukraine à hauteur de 30 millions de roubles-or. La signature de ce traité est plus significative encore que pour les États baltes : la Pologne est une puissance-clé dans l’isolement de la Russie voulu par les puissances capitalistes alliées.
![](IMG/jpg/pologne_006.jpg)
Le traité d’amitié signé entre la Russie soviétique et la Perse le 26 février 1921 est encore un signe de la volonté de la Russie soviétique de favoriser l’émancipation des opprimés par leur droit à l’autodétermination. Par ce traité, la Russie déclare rompre avec la « politique tyrannique des gouvernements colonisateurs » de la Russie tsariste, et renonce aux territoires et aux intérêts économiques qu’elle possède en Perse. Dès le premier article de ce document, il est indiqué : « L’ensemble des traités et conventions contractés entre la Perse et la Russie tsariste, qui a écrasé les droits du peuple perse, sont nuls et non avenus. » Puis l’article 8 dénonce clairement les dettes réclamées à la Perse par le régime tsariste : le nouveau gouvernement russe renonce à la politique économique du régime tsariste en Orient, « qui consistait à prêter de l’argent au gouvernement perse, non pas dans l’objectif de participer au développement économique du pays, mais dans des objectifs de soumission politique », et, dès lors, il annule les créances russes sur la Perse.
Quelques semaines plus tard, le gouvernement soviétique renonce à toutes les obligations, y compris monétaires, de la Turquie envers la Russie en vertu des accords signés par le gouvernement tsariste [27].