Au cœur du débat qui agite en ce moment la gauche antilibérale en vue de la présidentielle, se trouve la question de l’avenir de la gauche tout entière. C’est une question cruciale, qui conditionne l’alternative que les forces populaires sont en mesure d’opposer à la droite dure incarnée par Nicolas Sarkozy et l’extrême droite xénophobe représentée par Jean-Marie Le Pen. Face aux dangers que feraient courir à notre peuple leurs éventuels succès électoraux, il y a une urgence sociale et politique. La gauche ne pourra pas gagner, et encore moins répondre sérieusement et durablement aux graves problèmes sociaux que connaît notre pays sans porter un projet crédible mais audacieux de transformation sociale. Pour celles et ceux qui veulent à tout prix battre Sarkozy, Ségolène Royal apparaît aujourd’hui comme un recours tangible. Les doutes ne manquent pas sur son compte, sur son réel programme, mais la candidate socialiste espère pour s’en tirer sur-fer sur les angoisses sociales, conforter une image rassurante et endosser les habits de la « candidate de l’espoir ». Pourtant, ses propositions sont-elles de nature à combler réellement cet espoir ? Assurément pas. C’est donc une situation dangereuse pour la gauche tout entière qui ne peut aller à la bataille avec des propositions incapables de répondre à la profondeur de la crise actuelle, sous peine de subir à tout moment de nouveaux désaveux cinglants.
À cinq mois de l’échéance présidentielle, cette situation n’a rien d’inéluctable. La campagne du référendum et les mobilisations sociales de ces dernières années ont montré que les ressorts populaires existent, que l’espoir d’une autre politique peut trouver son chemin, ouvrir une autre voie à gauche. Mais, notons-le, à chaque fois que cela a été le cas, c’est un très large rassemblement qui a pris corps dans le peuple de gauche, et plus profondément encore, dans les tréfonds du monde salarié qui se tient trop souvent à l’écart des grandes mobilisations politiques. L’ambition fixée dès septembre au rassemblement en construction par les collectifs de la gauche antilibérale était de ce point de vue très claire. Il s’agit bien de disputer le terrain aux idées libérales et sociales-libérales, non pour constater la domination de celles-là sur la gauche et témoigner à leur marge, mais pour aller jusqu’à construire dès 2007 des rassemblements et des majorités politiques résolument antilibérales, seules susceptibles de s’attaquer au chômage, à la pauvreté, aux bas salaires, au mal logement... C’est en désaccord avec cette ambition, à leurs yeux inatteignable en 2007, que les dirigeants de la LCR se sont lancés dans la candidature solitaire d’Olivier Besancenot. La vie est déjà en train de leur donner tort. Malgré le rouleau compresseur du bipartisme, le rassemblement antilibéral a commencé à percer, confirmant qu’il allait au-devant d’une très forte attente populaire.
Or, à la faveur de la désignation de Ségolène Royal et alors qu’il s’agit de conclure l’accord politique des collectifs antilibéraux par le choix du ou de la candidat(e), le débat rebondit. Il y a en effet au, moins deux manières de voir les choses après cet événement. Pour les uns, le PS est plus que jamais irrécupérable, le refus de gouverner, voire de constituer une majorité parlementaire avec lui doit devenir l’engagement solennel de la campagne qui s’engage. L’objectif, intégrant en quelque sorte cette défaite annoncée dans la gauche, serait alors d’accumuler des forces pour des jours meilleurs. Pour les autres, qui ne mésestiment pas le tournant constitué par la désignation de Ségolène Royal, la situation créée plaide au contraire pour un appel plus large que jamais au rassemblement. Faute de faire vivre cet espoir, le terrain serait tout entier laissé au seul vote Royal.
Le vrai-faux départ de José Bové dans la course à la candidature antilibérale, accompagné d’appels répétés à un « accord poli tique » avec la LCR qui pourtant ne change pas d’avis, est largement motivé par la première conception. La candidature de Marie-George Buffet, l’appel lancé par elle aux femmes et aux hommes de gauche au lendemain du vote socialiste et du retour de Jean-Luc Mélenchon dans un meeting unitaire à Montpellier, s’inspire de la .seconde. Ce n’est certes pas la seule des questions qui nourrissent le débat de candidature à l’intérieur de la gauche antilibérale, au terme duquel les collectifs choisiront, le 9 et le 10 décembre, entre Marie-George Buffet, José Bové (on ne sait plus s’il est candidat) et les deux autres candidats, Clémentine Autain et Yves Salesse. Mais c’est à coup sûr un enjeu crucial pour la suite des événements.