Les plus grands incendies de toute notre histoire. La moitié de la superficie brûlée dans l’Union Européenne ces dernières années. La plus grande proportion de territoire dédiée à l’eucalyptus dans le monde. En fin de compte, nous n’avons pas que l’eurovision et le football au Portugal, au final nous n’avons pas progressé d’un millimètre.
Mais répondre à l’irresponsabilité est plus difficile que pleurer de déception, on l’a vu. Pendant un match, une télévision a commencé à exhiber des histoires de mort et de personnes en état de choc [1] , donnant lieu à un spectacle de voyeurisme, comme si le Portugal avait voulu redevenir petit. Pendant le même match, sont arrivés les règlements de compte politiques, la phalange de droite a tiré sur le Président de la République, le dépit pouvant soulever des montagnes. C’est du CDS qui veut faire oublier que Cristas a été ministre de la cellulose [2], que sont venus les tirs visant les « baisers » [3], tandis que les commentateurs du même bord méprisaient les « accolades » [4]. et le tout à l’envi [5]. Bon, ils sont fidèles à eux-mêmes.
S’il est vrai que si nous ne savons pas bien si la réponse fut adaptée à l’urgence [6], dans des circonstances difficiles, nous savons en revanche que ce qui a déclenché cette tragédie fut un événement exceptionnel. Le problème est que nous savons aussi qu’il y aura toujours plus de phénomènes extrêmes, eu égard aux montagnes russes du changement climatique. Et nous savons, depuis des décennies, que l’effet de tenaille de deux changements est dévastateur, entre d’un côté, la désertification de l’intérieur et l’abandon du monde rural qui implique que la forêt n’est pas propre, utilisée et protégée, et d’autre part, l’« eucalyptilisation » qui transforme l’intérieur en baril de poudre.
En outre, l’État détient 3 % de la forêt, là où dans l’Union Européenne, il en détient en moyenne 59 %, - et il s’agit de libéraux. Ce n’est pas la météo qui nous différencie de l’Espagne, de l’Italie ou de la Grèce, mais le facteur humain. La forêt n’apporte pas de voix, mais des bénéfices.
Et là nous avons l’incurie organisée dans ce qui restera un des plus graves manques d’autorité de l’État. Toujours au nom de l’austérité, un gouvernement PS a supprimé les gardes forestiers puis le PSD-CDS, en la personne de Cristas, a supprimé les services forestiers et a démantelé le système de règles qui imposait des autorisations pour de nouveaux eucalyptus. Des zones non cultivées et irriguées ont même été promises dans l’enthousiasme aux entreprises de cellulose,-en somme la promotion d’une économie de la catastrophe-mais la ministre affirmait prier pieusement pour qu’il pleuve [7] alors que la forêt brûlait.
A ce titre, je rappelle que la catastrophe de Funchal l’an dernier, et une nouvelle vague d’incendies, -comme tous les ans-, ont suscité un débat qui est un copier-coller de celui qui commence maintenant, à savoir que nous ne pouvons pas attendre l’hiver, quand on aura tout oublié et qu’il y aura les illuminations de Noël, qu’il faut faire quelque chose, qu’il y a longtemps qu’on n’a rien fait. Maudit Sisyphe.
A la fin de l’été dernier, il a été débattu d’une loi permettant à l’État d’occuper et de s’occuper des terres non traitées, et donnant à leurs propriétaires quinze ans pour les réclamer. On a discuté des moyens d’accélérer l’enregistrement au cadastre des propriétés rurales, en ayant recours à des cartes militaires, au géo référencement et aux connaissances locales, à la rationalisation des informations sur les héritages et les propriétaires.
Un an après, tout reste à décider. Certains s’y sont apposés, les municipalités ont dit ne pas en avoir les moyens et ont évoqué les élections d’octobre. A gauche, d’autres ont ferraillé avec la Constitution, marche arrière toute !
Le gouvernement s’était réuni en octobre et attendu mars pour présenter une proposition en retrait par rapport à ses propositions initiales. Au lieu d’une injonction d’ordre public, il propose la création d’entreprises financières pour gérer la forêt abandonnée, entraînant une concentration de la propriété. En outre, il offre de nouveaux financements pour la recherche dans les entreprises de cellulose, afin de les compenser d’éventuels préjudices, sans créer le moindre mécanisme concret à même de contrôler l’interdiction de l’extension des eucalyptus. En lieu et place d’une gestion associative de la forêt, il invite le renard dans le poulailler ; au lieu de la location obligatoire des parcelles abandonnées, il accepte la règle des transactions financières.
Maudit Sisyphe, même pas capable de revenir une fois encore au sommet de la montagne, pour faire semblant d’avoir fait quelque chose.
Francisco Louça
23 juin 2017