L’intervention humanitaire de la part de réseaux populaires et progressistes répond à un certain nombre de règles générales : l’aide est fournie selon les moyens et les besoins sans discrimination ni condition (en rupture avec les pratiques clientélistes) ; elle tente de répondre à tous les niveaux physiques (alimentation hygiène, hébergement…), psychologiques (traumatisme), individuels et collectifs ; elle prend en compte l’état d’extrême dépendance des victimes en s’interdisant de les manipuler et en les protégeant du harcèlement (physique ou moral), fréquent en particulier envers les femmes et les enfants ; elle contribue à reconstituer des liens sociaux qui permettent aux populations sinistrées de s’auto-organiser, de reprendre leur destin en main, de défendre leurs droits.
Toute catastrophe humanitaire déchire le tissu social. Le reconstituer est plus ou moins difficile suivant les cas. Les dévastations provoquées par le passage, en 2013, du super-typhon Haiyan (Yolanda) ont touché une vaste zone géographique et une dizaine de millions de personnes. Les victimes ne pouvaient chercher refuge dans un quartier ou un village voisin. Elles devaient survivre sur place ou prendre la route de l’exode, notamment vers la région de la capitale ou à Mindanao. De plus, il n’y avait parfois pas tradition d’action collective sur lesquelles s’appuyer pour reconstruire le tissu social, en particulier dans des communautés marginalisées où le réseau MiHands intervient [1].
En ce qui concerne la crise de Marawi, la solidarité se heurte à trois difficultés majeures.
L’état de guerre et la situation des « personnes déplacées »
L’état de guerre proprement dit reste localisé à Marawi (province de Lanao del Sur) et ses environs. Il ne s’est pas étendu vers Iligan et la province de Lanao del Norte comme on aurait pu le craindre. Il n’en a pas moins été dévastateur.
Le siège de Marawi a commencé le 23 mai. Cinq semaines plus tard, l’armée gouvernementale n’a toujours pas réussi à reprendre le contrôle de cette cité, symbole de l’histoire des Moros (musulmans philippins). Le nombre des « personnes déplacées » [2] par la violence de cette crise, dépasse aujourd’hui les 350.000, dont seulement 5% ont trouvé place dans des centres d’évacuation officiels [3]. Les autres sont accueillis par des proches ou se débrouillent comme ils peuvent. Leur situation est très précaire. Les conditions d’un retour chez elles très aléatoires : la ville a été largement détruite par des incendies et par les bombardements (artillerie, aviation).
Il n’y a plus d’acteurs locaux à même de faire entendre sur place leur voix. Le terrain n’est occupé que par les fondamentalistes et l’armée. Des corps institutionnels et des mouvements citoyens manifestent aujourd’hui leur volonté de revenir à Marawi ; mais nul ne sait encore quand cela sera possible et dans quelles conditions. Pour l’heure, les victimes du conflit ne peuvent être aidées et ne peuvent s’organiser que là où elles ont trouvé refuge.
Un premier constat s’impose : l’aide officielle aux réfugié.e.s est totalement insuffisante et n’atteint souvent pas les populations les plus fragilisées. Les réseaux populaires de solidarités peuvent, compte tenu de leur implantation « de terrain », porter secours aux victimes, même quand elles sont dispersées. Grâce à leur expérience, ils peuvent aussi offrir une assistance multiforme : matérielle (nourriture, besoins quotidiens), paramédicale, psychologique, « ludique » (faire jouer les enfants…) et contribuer à reconstituer des collectifs pour combattre l’isolement (en implantant des cuisines collectives, etc.).
Le régime de loi martiale
Second constat : ces réseaux d’aide ont aussi un rôle essentiel de protection. C’est en particulier vrai quand la loi martiale a été imposée, comme c’est aujourd’hui le cas dans toute l’île de Mindanao et pas seulement dans la province de Lanao del Sur. Le cadre juridique du régime de loi martiale importe en pratique peu : elle signifie les pleins pouvoirs à l’armée, du moins c’est ce que cette dernière laisse croire au commun des mortels dans un pays où la culture de l’impunité atteint des sommets (sept ou huit mille exécutions extrajudiciaires ont été commises en un an au nom de la lutte contre la drogue avec la bénédiction du président et du ministre de la Justice !).
Non seulement les réseaux de solidarité doivent expliquer aux gens qu’ils gardent des droits, même en temps de loi martiale (en principe beaucoup plus encadrée légalement aux Philippines qu’en France), mais ils doivent aussi protéger les personnes qui ont été témoins de violations de droits humains par les forces de l’ordre. Une tâche dangereuse.
L’armée multiplie les postes de contrôle sur les routes ; elle peut fouiller les habitations porte-à-porte. Elle constitue aussi à Lanao del Sur ses propres milices, les Forces civiles de défense (CDF [4]. Un quadrillage militaire lourd d’arbitraire.
L’hyperviolence salafiste
La naissance de courants se réclamant de l’Etat islamique est récente. Ils ne sont pas une création artificielle de la CIA, comme le laisse entendre le Parti communiste (maoïste), même s’ils peuvent être manipulés ou infiltrés par les services secrets des Etats-Unis. Ils ne sont pas non plus une « projection » de l’EI en quête d’un nouveau terrain d’action, même si des « combattants étrangers » ont participé à la prise de Marawi. Ils sont insérés dans la « fabrique » sociale des Philippines (le rôle des grandes familles politiques…) et, singulièrement, dans les conflits entre clans moros : les rido (vendettas). Ainsi, le « groupe Maute » porte le nom du puissant clan familial des Maute qui possède, comme les Ampatuan ou d’autres, une armée privée. Les guerres de clans peuvent être sanglantes.
L’émergence du salafisme a aussi été permise par l’incapacité du régime philippin de résoudre durablement la question du droit à l’autodétermination des Moros à Mindanao. La question de la paix n’est pas avant tout une question militaire, mais historique, sociale et politique.
Ceci étant dit, le « califat » au nom duquel se battent les terroristes est profondément étranger à la culture locale, bien éloignée du repli sur soi : les réseaux commerçants maranaos se retrouvent dans tout l’archipel [5]. L’idéologie à prétention universelle de l’épuration religieuse a été importée du Moyen-Orient par deux frères dirigeant le clan Maute [6]. Elle cible certes en priorité les chrétiens, les mécréants n’ayant aucune place dans l’ordre salafiste, mais elle violente en fait – et de façon extrême – la société maranao tout entière. La population ne s’est pas soulevée aux côtés des fondamentalistes, elle a fui.
Il y a d’ailleurs divers exemples de Maranaos qui ont retardé leur départ pour s’assurer qu’ils pourraient sauver lesdits « mécréants » placés sous leur responsabilité (notamment des patrons moros ayant des employés chrétiens). A Marawi, des musulmans ont ainsi caché, au péril de leur vie, des chrétiens, leur ont fourni des vêtements appropriés et leur ont appris à crier « Allah est grand » avec l’accent adéquat pour pouvoir leur faire franchir les postes de contrôle salafistes.
Sous la violence de la crise cependant, le danger reste grand de voir la défiance, le rejet et la peur l’emporter entre les communautés religieuses, après les assassinats, enlèvements et destructions commis par Maute et ses alliés à l’encontre des chrétiens.
La solidarité est le plus efficace des contrepoisons. Dans les provinces de Lanao, la grande majorité des personnes déplacées sont musulmanes – et une grande partie des secours populaires sont assurés par des membres de communautés chrétiennes (qui ont pour ce faire appris à cuisiner hallal). L’aide est l’occasion du « vivre ensemble ». Le lien social se retisse, y compris entre communautés.
Depuis des années, le réseau MiHands conçoit l’intervention en situation de crise humanitaire comme un acte collectif, associant au quotidien Moros, Lumads (tribus montagnardes) et descendants des « colons » chrétiens venus du centre et du nord de l’archipel. Au fil des catastrophes qui frappent toutes les « communautés », simultanément ou tour à tour, grâce à l’action d’un tel réseau, l’aide s’affirme mutuelle.
A ce jour, des renforts gouvernementaux (police, armée) continuent à être envoyés à Mindanao, mais la bataille de Marawi ne durera pas éternellement. Ses stigmates ne vont pas pour autant disparaître. L’importance de la solidarité populaire ne se démentira pas, d’autant plus qu’elle peut contribuer à jeter les bases d’une paix durable [7].
L’aide internationale, solidarité sans frontière
Notre solidarité internationale vise en premier lieu à aider les réseaux populaires à accomplir leurs tâches en renforçant leurs ressources financières.
Le réseau MiHands récolte évidemment des soutiens aux Philippines mêmes, en nature ou en argent. Il mobilise des forces militantes à moindre coût. Les frais de fonctionnement sont très bas. Cependant, l’aide financière que nous pouvons fournir, aussi limitée soit-elle par rapport aux besoins, reste indispensable.
Faire connaître la situation à Mindanao est, de plus, un moyen indirect de protéger les volontaires humanitaires de la culture de l’impunité qui prévaut sous Duterte ou de l’arbitraire propre au régime de loi martiale – et de préparer une campagne de solidarité démocratique au cas où la répression frapperait.
Enfin, dans le contexte propre à la crise de Marawi, face à la volonté des tenants du califat de rompre les liens entre communautés, notre action opère aussi comme un contrepoison. Les soutiens proviennent de divers pays, de la France au Japon. Elle transmet un message de solidarité sans frontières confessionnelles, à l’exact opposé de l’idéologie salafiste. Elle conforte ainsi l’action menée localement autour des mêmes principes par les réseaux d’aide populaire. A l’heure où les fondamentalismes religieux s’affirment dans une grande partie du monde et au sein de nombreuses religions, où des murs s’érigent en de nombreux points du globe, l’internationalisme en acte acquiert une importance particulière.
A ce jour, nous avons envoyé à MiHands 9.000 €. Nous avons reçu 6.565,50 € [8], le solde étant pour l’heure comblé par le fonds permanent de solidarité Asie constitué par notre association, ESSF. L’essentiel des dons spécifiquement dédiés à la crise de Marawi provient de France, sinon du Japon et du Canada, des Pays-Bas et d’Espagne.
La campagne a commencé en France [9] et il est trop tôt pour avoir une image de son extension internationale. Par ailleurs, des dons sont annoncés, mais ne sont pas encore arrivés.
Nous avons aussi abondé de 6.000 € un fonds de solidarité aux Philippines afin qu’il puisse aider temporairement MiHands, mais il doit se reconstituer (sur place) pour pouvoir faire face à d’autres échéances.
Comment ESSF assure-t-elle la solidarité financière ?
Après quelques années d’expérience, nous avons constitué en 2012 un fonds permanent de solidarité Asie. Il est alimenté par des dons ponctuels ou des virements réguliers [10]. Il permet :
• d’appuyer de façon régulière les activités des mouvements avec qui nous collaborons dans quatre pays : Bangladesh, Indonésie, Pakistan et Philippines [11] (possiblement la Chine aussi),
• de fournir une aide ponctuelle lorsque le besoin s’en fait sentir, mais qu’il n’est pas possible d’initier une campagne publique, spécifique,
• d’envoyer en urgence une tranche d’aide quand une campagne est lancée, sans avoir à attendre l’arrivée des premiers dons, ce qui fut fait cette fois-ci (transfert immédiat de 3.000 €). Dans ce cas, il s’agit d’une avance anticipant les résultats de la campagne.
Nous ne pouvons en général plus nous appuyer sur la couverture par les médias des situations de crise humanitaire. Elles se sont « banalisées » et font rarement la une de l’information, ou alors de façon éphémère. La presse française, par exemple, a dans une large mesure fait l’impasse sur la situation à Marawi. Nous devons en conséquence mobiliser nos propres canaux d’alerte. Nous souhaitons le faire avec d’autres réseaux, comme cette fois-ci le Cedetim/Ipam [12]. Nous souhaitons contribuer à nourrir une nouvelle « culture de la solidarité » avec tous les mouvements progressistes. Le champ d’intervention d’ESSF est asiatique, mais il est évident que ce qui est dit ici vaut pour d’autres régions du monde.
Pierre Rousset
ESSF
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2, rue Richard-Lenoir
93100 Montreuil
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Clé : 12
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En France, ces dons donnent droit à des déductions d’impôt. Il nous faut votre adresse pour vous envoyer un reçu fiscal (adresse en général indiquée sur les chèques).
Nous vous tiendrons régulièrement informés via notre site de la situation et de l’utilisation du fonds de solidarité.