En mars 2017, les intersyndicales femmes auront 20 ans. Créées à l’initiative de la CGT, de la FSU, du G10/Solidaires (et quelques syndicats de la CFDT à l’époque), ces journées qui se situent chaque année autour du 8 mars (Journée internationale de luttes pour les droits des femmes), sont un rendez-vous incontournable pour les militantes (et quelques militants) souhaitant faire coïncider leurs militantismes syndical et féministe. C’est un moment de formation, de débats et d’échanges où chercheuses, universitaires et syndicalistes d’ici et d’ailleurs prennent le temps de se poser et de réfléchir à l’impact du patriarcat dans leur vie de tous les jours et les moyens de luttes et d’actions à mettre en œuvre pour le combattre.
À l’origine de ces intersyndicales, il y a le constat partagé par quelques femmes syndicalistes (qui se retrouvent dans des collectifs et associations féministes tels que la CADAC [1] ou le CNDF [2]) qu’il est urgent de penser le rapport entre syndicalisme et féminisme ; urgent aussi de voir ce qui est commun dans leurs organisations syndicales respectives, les difficultés qu’elles y rencontrent. Et de voir aussi comment il est possible d’être plus fortes ensemble pour faire changer les choses sur les lieux de travail mais aussi dans leurs organisations. Elles partent toutes des mêmes constats : les inégalités entre femmes et hommes perdurent dans le monde du travail. Mais elles se rendent compte également, au gré de leurs échanges, que les femmes n’ont pas toute leur place dans leurs organisations respectives ; que le patriarcat ne s’arrête pas à la porte du local syndical et qu’il n’est pas spécifique à telle organisation ou telle autre.
D’où la nécessité d’ouvrir le débat de manière interprofessionnelle et intersyndicale pour nourrir collectivement les réflexions, d’échanger sur les pratiques et s’enrichir des pratiques des unes et des autres. Evidemment durant ces 20 ans les sujets ont été diversifiés et ont largement dépassé les questions d’inégalités au travail ou dans les syndicats. Les trois structures organisatrices travaillent ensemble pour choisir les thèmes abordés, rechercher les intervenants et intervenantes, et se partagent les temps de présentation et d’animation des deux journées d’intersyndicales. Tout ceci avec la recherche perpétuelle du consensus de manière à ce que ces journées soient réellement le fruit d’une réflexion et d’une préparation collectives.
Ces intersyndicales Femmes sont, pour celles qui y partcipent, une bouffée d’air frais, un vrai temps de respiration, un temps ouvert et bienveillant durant lesquelles chacune peut apprendre et s’exprimer sur des sujets tels que les conditions de travail, la santé, les retraites, les femmes immigrées, l’Europe, l’égalité professionnelle, la précarité, les violences, l’utilisation et la marchandisation du corps des femmes, le langage et bien sûr le syndicalisme.
La question qui peut se poser est la suivante : pourquoi une telle longévité là où d’autres cadres unitaires nés dans la même période se sont étiolés ou ont même cessé d’exister ? La réponse tient peut-être tout simplement au sujet traité. En effet, malgré l’importance et la légitimité du combat féministe, celui-ci est encore largement sous-estimé, voire nié dans les structures syndicales. On le sait, l’égalité entre les femmes et les hommes n’est toujours pas une priorité (en tout cas dans la pratique) dans nos organisations. Comme on l’entend souvent, c’est la cinquième roue du carrosse et il n’y a pas d’enjeu immédiat si l’on réfléchit en terme d’appareil syndical. Le combat féministe n’est pas à même, en tout cas pour l’instant (!), de renverser significativement les équilibres syndicaux ou de bousculer le paysage syndical. Ce qui peut paraître paradoxal, dans le sens où il concerne pourtant l’ensemble des organisations qui ont, en leur sein, à réfléchir aux mêmes problématiques (tant sur l’aspect de la prise en charge des questions femmes au travail, que sur l’aspect interne par rapport à la place des femmes et leur prise en compte dans les structures syndicales). Dans beaucoup de structures (quelque soit l’étiquette), débattre des questions féministes, réfléchir à des solutions et les imposer relève encore du combat, parfois quotidien. Les journées intersyndicales sont aussi des moments où l’on se tient chaud, conscientes que l’on rencontre les mêmes difficultés sur ces questions, que l’on soit à la CGT, à la FSU ou à Solidaires. Loin des propos et comportements sexistes ou du paternalisme… auxquels nous sommes confrontées partout, tous les jours.
Il n’a pas toujours été simple de préparer et d’animer ces journées. On peut dire, sans faire injure à qui que ce soit, que les intersyndicales femmes ont, pendant longtemps, plus été portées par Solidaires que par les autres organisations (les quelques syndicats CFDT ont, au fil des années disparu). Cela s’est traduit notamment en terme de participation à ces journées durant lesquelles le poids de chaque organisation n’était pas proportionnel à son nombre de représentantes dans la salle. Pour autant les féministes de la CGT, de la FSU et de Solidaires ont refusé de se décourager. Elles ont eu, et ont encore, à cœur de porter le combat féministe au sein du mouvement syndical. Conscientes qu’il n’est pas de transformation sociale possible sans l’éradication du patriarcat. Et cela ne peut être rendu possible que par une prise en charge collective, transversale et unitaire.
Gaëlle Differ