Deux groupes industriels, HNA et Geely, se font une place au capital de Deutsche Bank et de Saxo Bank
On les croyait calmées, contenues par les autorités chinoises qui luttent contre la fuite des capitaux : mais les entreprises chinoises ont encore soif d’investissements à l’étranger. Après un début d’année qui avait vu de nombreux projets d’acquisitions stoppés faute de cash, les affaires reprennent au printemps. En une semaine, deux grandes entreprises chinoises sont devenues les principaux actionnaires de banques européennes : le groupe HNA (aviation, immobilier, tourisme) a pris près de 10 % de participation dans la Deutsche Bank, tandis que le constructeur automobile Geely a acquis 30 % de la banque danoise Saxo Bank.
L’investissement de HNA est le plus significatif. Avec 9,92 %, ce groupe chinois proche du pouvoir devient de peu le premier actionnaire d’une des principales banques d’Europe. Sa participation représente désormais 3,4 milliards d’euros. Une bouffée d’air pour l’établissement en grande difficulté après des amendes infligées par le régulateur américain pour son rôle dans la vente de produits financiers toxiques lors de la crise de 2008. En avril, la banque allemande avait sollicité ses actionnaires pour une augmentation de capital de 8 milliards de dollars (7,3 milliards d’euros), la quatrième fois depuis 2010.
HNA a flairé la bonne affaire
HNA, un groupe géant à la pointe des investissements chinois à l’étranger depuis trois ans, a flairé la bonne affaire alors que le cours de l’action de Deutsche Bank était au plus bas. « Ils pensent que la Deutsche Bank n’est pas chère. Et ils savent que c’est une institution importante en Allemagne, donc ils supposent que si sa situation se dégrade d’avantage, l’Etat lui viendra en aide. C’est un pari : la plupart des investisseurs ne pensent pas comme ça, mais les Chinois aiment parier sur la politique », analyse Andy Xie, économiste indépendant installé à Shanghaï.
Geely n’a pas l’envergure du groupe HNA, mais le constructeur automobile n’est pas novice non plus en matière d’acquisitions étrangères. Le rachat du suédois Volvo en 2010, au bord de la faillite à l’époque, a été bien géré par Geely. Seulement trois ans après la reprise, la marque haut de gamme retrouvait la santé grâce à une stratégie de réduction des coûts et au développement de la marque en Chine. Parallèlement, le groupe chinois utilise certaines technologies Volvo pour aider la montée en gamme de sa propre marque.
Le 5 mai, Geely a annoncé l’acquisition des 25,71 % de parts du cofondateur de la banque danoise Saxo, Lars Seier Christensen, devenant ainsi l’actionnaire majoritaire avec 30 % des parts de la banque. Fondée en 1992, l’établissement emploie aujourd’hui 1 600 personnes dans dix-huit pays, dont la France. L’établissement espère bénéficier d’un accès privilégié à la Chine.
Dans un contexte de lutte contre la fuite des capitaux
Ces deux acquisitions peuvent pourtant surprendre, dans le contexte de lutte contre la fuite des capitaux en Chine. Confronté à la baisse continue de ses réserves de change, conséquence de la faiblesse du yuan (la monnaie chinoise) par rapport au dollar, Pékin a renforcé le contrôle des capitaux à tous les niveaux, y compris pour les entreprises. Après avoir encouragé ses grands groupes à se développer à l’international pour renforcer leur influence et acquérir des technologies de pointes, les autorités ont fait marche arrière fin 2016, s’inquiétant de voir leur politique détournée à des fins strictement financières : les contrôles ont été renforcés, et les achats dans des secteurs sans lien avec le cœur de métier d’un groupe interdits.
Un certain nombre de projets d’acquisition importants ont été annulés à la dernière minute, faute d’argent disponible : les plus grandes entreprises, comme Wanda, en ont fait les frais. Le groupe de l’homme le plus riche de Chine, Wang Jianlin, a ainsi abandonné l’idée de racheter le studio américain Dick Clark Production, par manque de fonds. Pendant les premiers mois de l’année, les multinationales étrangères installées en Chine avaient même du mal à faire sortir leurs bénéfices du pays.
Une politique stricte qui semble porter ses fruits du point de vue de Pékin : les réserves de devises étrangères de la banque centrale chinoise, la Banque du peuple, ont recommencé à augmenter légèrement en mars et avril, repassant la barre symbolique des 3 000 milliards de dollars. « Les politiques de contrôle des capitaux n’ont pas changé significativement, mais nous notons que la pression sur les sorties de capitaux a légèrement baissé en raison de l’amélioration des réserves de changes », indique John Xu, partenaire du cabinet de conseil en fusion et acquisition Linklaters.
« Ces entreprises veulent croître, et elles utilisent les acquisitions pour sauter des étapes. La finance est un secteur recherché, explique Andy Xie. Une banque, c’est un outil pour démultiplier ses capacités d’investissement. » L’économiste s’attend toutefois à une accalmie cette année.
Simon Leplâtre (Shanghaï, correpondance)
* LE MONDE ECONOMIE | 10.05.2017 à 11h14 :
http://www.lemonde.fr/economie/article/2017/05/10/la-chine-joue-la-finance-europeenne_5125373_3234.html#bDlh9583Hy2yUmJG.99
Comment expliquer l’insatiable appétit du chinois HNA
L’appétit du groupe HNA pour les acquisitions tous azimuts ne se dément pas. Après une prise de participation dans les hôtels Hilton, le groupe de Hainan s’associe à l’Open de France de golf.
Petites participations ou grosses acquisitions, le chinois HNA n’en finit plus de s’étendre en Europe comme aux Etats-Unis. Dernier fait d’armes, révélé lundi 7 novembre par Le Figaro.fr, une association avec l’Open de France de golf. Présent dans divers secteurs, HNA avait annoncé lundi 24 octobre un accord pour racheter 25 % des hôtels de luxe Hilton Worldwide Holdings Inc. pour 6,5 milliards de dollars (5,9 milliards d’euros).
Le partenariat avec l’Open de France de golf témoigne de la diversité des intérêts de HNA et sa frénésie d’acquisitions. Le groupe, maison mère de la quatrième compagnie aérienne chinoise, Hainan Airlines, est présent dans l’aviation, les aéroports, l’immobilier, le tourisme, les services financiers, l’assurance, la logistique, les transports… Et, d’après des chiffres compilés par Bloomberg, HNA a investi à l’étranger 34,1 milliards de dollars depuis un an. C’est beaucoup pour un groupe qui a déclaré 29,5 milliards de dollars de revenus en 2015 (190 milliards de yuans). Au tableau de chasse d’HNA, figurent le rachat en février dernier d’Ingram Micro Inc., entreprise californienne de logistique, pour 6 milliards de dollars, et celui de la compagnie de location d’avions CIT Group, pour 10 milliards de dollars annoncé le 7 octobre. Des opérations qui sont encore sous la loupe du régulateur américain.
« Un marché très mature »
Alors que l’économie chinoise a enregistré son plus faible taux de croissance depuis vingt-cinq ans en 2015, les grandes entreprises du pays profitent des taux d’intérêt bas et d’un accès au crédit facile pour faire leur marché à l’étranger.
En témoigne la liste des plus grosses opérations de fusions-acquisitions de l’année. Chem China, qui a racheté le suisse Syngenta, ou Midea, nouveau propriétaire du fabricant de robots allemand Kuka, s’offrent des technologies et des savoir-faire. D’autres, comme Wanda et Fosun, parient sur la transition de l’économie chinoise vers le tertiaire, en investissant à Hollywood ou dans le football pour le premier, et en rachetant le Club Med pour le second. Au total, les fonds chinois ont annoncé 219 milliards de dollars d’investissements à l’étranger depuis le début de l’année, d’après Bloomberg.
L’hôtellerie s’inscrit dans cette tendance : HNA veut profiter de l’expansion rapide des voyages à l’étranger des touristes chinois. En même temps, le groupe investit dans un secteur stable. « L’immobilier hôtelier est un marché très mature. Il n’y a pas beaucoup de surprises », estime Jan Freitag, vice-président de STR, cabinet de recherche spécialisé dans l’hôtellerie, cité par le Los Angeles Times.
Derrière la frénésie d’investissements, la baisse de la monnaie chinoise
Mais ces perspectives comptent peu dans la décision de HNA. Pour Andy Xie, économiste indépendant installé à Shanghaï, la première raison derrière la frénésie d’investissements des groupes chinois est simple : c’est la baisse de la monnaie chinoise. « Il y a un consensus entre les économistes sur la baisse du yuan. Mais la Chine limite drastiquement la sortie des capitaux. La solution, c’est d’acheter des actifs à revenu fixe à l’étranger. C’est une faille dans le système. » Une alternative réservée aux grands groupes disposant de l’assise financière et des connexions nécessaires à Pékin pour voir leurs projets approuvés.
HNA n’est pas le seul en Chine à lorgner sur des champions de l’hôtellerie. L’assureur Anbang est engagé dans le même processus d’acquisitions fondé sur un fort endettement. En 2014, il avait acheté le Waldorf-Astoria de New York pour 1,95 milliard de dollars, avant de tenter cette année d’acquérir les hôtels Starwood pour 14 milliards… et se retirer face à Marriot.
En Chine, ces grands groupes bien en cour auprès du gouvernement n’ont aucun mal à se financer auprès des banques d’Etat. « Comme les taux d’intérêt sont bas, ceux qui peuvent le font, commente Andy Xie, qui conseille des fonds de pension. Ils émettent de la dette pour acheter des actifs étrangers à long terme. Normalement, ce serait une folie, mais comme la monnaie chinoise baisse, ils vont gagner de l’argent, explique l’analyste. Pour moi, ces décisions sont motivées à 90 % par des questions d’arbitrage monétaire, et à 10 % par d’autres raisons. Mais cela reste très risqué : leur niveau d’endettement est très élevé. »
Simon Leplâtre (Shanghaï, correpondance)
* LE MONDE ECONOMIE | 10.11.2016 à 17h04 :
http://www.lemonde.fr/economie/article/2016/11/10/comment-expliquer-l-insatiable-appetit-du-chinois-hna_5029014_3234.html