Le 20 août, le tribunal populaire de Yinan, dans la province du Shandong condamnait le défenseur chinois Chen Guangcheng à quatre ans et trois moi de prison pour « destruction intentionnelle de biens » et organisation de « rassemblements destinés à perturber le trafic ». En appel, une parodie de jugement vient à nouveau de bafouer les plus élémentaires droits de la défense.
Paysan aveugle de naissance et juriste autodidacte de 34 ans, Chen Guangcheng fait partie de ces « avocats aux pieds nus » qui n’hésitent plus à utiliser un droit chinois plus protecteur pour défendre ses concitoyens contre l’arbitraire de l’Etat. Indigné par les campagnes massives de stérilisations et d’avortements forcés de sa région, Chen s’est fait connaître par son fervent soutien aux paysans victimes des abus de la politique de l’enfant unique, en préparant une action collective visant à obtenir la condamnation judiciaire des actes illégaux commis par les autorités locales. Le tout apparaissait comme une formidable mise à l’épreuve des principes du « gouvernement par la loi » érigés par Pékin comme autant de garanties de la mise en œuvre d’un « Etat socialiste de droit » respectueux des libertés individuelles.
Malgré l’appui d’éminents juristes chinois, Chen Guangcheng a été placé sous surveillance policière, puis arrêté. L’accès au tribunal a été interdit à ses avocats, qui ont subi des violences physiques et des menaces. Les villageois défendus par Chen ont été torturés et menacés de mort, puis relâchés une fois leurs témoignages modifiés en faveur des autorités locales.
Le cas de Chen Guangcheng n’est malheureusement pas isolé. En 2003, Zheng Enchong a été condamné à trois ans de prison pour avoir défendu des résidents de Shanghai victimes d’expropriations. Relâché en juin dernier, il vit toujours sous contrôle policier, sa licence d’exercice lui a été retirée, et toute communication avec l’extérieur lui semble interdite. Yang Maodong, avocat pékinois de l’ex-cabinet Shengzhi, a été arrêté à plusieurs reprises et a été battu pour avoir défendu des habitants d’un village la province du Guangdong qui tentaient de faire tomber un dirigeant local corrompu. Gao Zhisheng, avocat de renom connu pour son soutien aux chrétiens, aux membres du Falun Gong et à ses propres confrères, a pris la défense de Yang Maodong en organisant notamment une grève de la faim. Sa licence lui a été supprimée en 2005. Détenu par la police depuis août, il vient officiellement d’être accusé d’ « incitation à la subversion », charge d’une extrême gravité. Son avocat Mo Shaoping n’a pu entrer en contact avec lui, sous prétexte que l’affaire relèverait du secret d’Etat.
L’exercice de la profession d’avocat ne bénéficie pas de garanties suffisantes. Interdits entre 1957 et 1977, les avocats furent progressivement réhabilités avec la Constitution de 1978 et le nouveau droit pénal qui rétablit, en 1979, le droit à la défense. L’Association nationale des avocats et ses relais locaux sont chargés de la gestion des avocats chinois ; ils ne sont pas pour autant indépendants puisqu’ils relèvent toujours du ministère de la Justice. En 1997, la « Loi sur les avocats » est pensée comme la charte d’exercice d’une profession en pleine expansion. Un certain nombre de dispositions tendent toutefois à restreindre la liberté d’action des défenseurs chinois. L’article 96 de la Loi de procédure pénale dispose, par exemple, que les avocats accusés de divulguer des secrets d’Etat qui souhaitent obtenir une aide extérieure doivent préalablement obtenir l’accord de la sécurité publique. Le concept même de secret d’Etat est défini de manière suffisamment floue pour rendre les avocats particulièrement vulnérables à ce type d’accusation.
La dénonciation de l’absence d’application uniforme des normes chinoises ne suffit plus. Il faut mettre en lumière une tendance insidieuse à la désacralisation de la loi au profit d’un inquiétant retour de l’arbitraire politique local. Le 20 mars, l’Association nationale des avocats publiait une « opinion à l’attention des défenseurs traitant des affaires collectives ». D’après ce texte, les autorités doivent désormais être informées de toute affaire engageant les intérêts de plus de dix personnes. Les organes administratifs et judiciaires de l’Etat prennent alors le relais des avocats sans aucune possibilité d’interaction avec la presse. Une série de règles du même ordre a été adoptée à l’échelle locale.
Ces récentes évolutions vont à l’encontre des efforts méritoires de modernisation et de sécurisation d’un droit chinois de plus en plus ouvert aux influences extérieures. Le processus de réhabilitation des normes, qui passe par un mimétisme législatif et procédural, cache toutefois un rapport ambigu à la loi. C’est tout le paradoxe des réformes juridiques et institutionnelles chinoises : alors que les citoyens ordinaires sont de plus en plus nombreux à se saisir des outils normatifs qui leur sont offerts par le pouvoir central, le Parti-Etat, trop inquiet de se laisser déborder, cherche à détruire les ferments démocratiques présents dans ses propres créations.
Une telle instabilité du système n’empêche pas uniquement les citoyens chinois de bénéficier des droits qui leur sont théoriquement garantis, elle pèse également sur le bon déroulement des affaires et la pérennité d’un développement économique qui doit toujours beaucoup à des investisseurs étrangers eux aussi préoccupés de justice.
Le courage inouï de ces individus, qui font face aux pouvoirs locaux parce qu’ils croient en l’évolution possible de la Chine vers un véritable Etat de droit, mérite d’être fermement soutenu par une vaste mobilisation internationale. Au-delà de l’urgence, le respect de la loi chinoise passe par une meilleure formation des acteurs législatifs et judiciaires et une réelle séparation des pouvoirs.