Le diplomate norvégien Erik Solheim, directeur exécutif du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) – qui accompagne les pays dans la mise en œuvre de leur politique environnementale – souligne qu’une grande partie de la planète subit déjà l’aggravation des phénomènes extrêmes due au réchauffement.
Rémi Barroux et Simon Roger – Nous observons simultanément des inondations dramatiques à Bombay et à Houston. Ce phénomène est-il inédit ?
Erik Solheim – La saison des ouragans dans le golfe du Mexique n’a rien d’inédit, pas plus que les pluies de la mousson dans le Sud asiatique. Mais nous constatons des événements climatiques extrêmes plus fréquents et plus dévastateurs. Ce qui arrive aujourd’hui était exactement prévu et correspond aux projections du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) : alors que les températures augmentent, nous devons nous attendre à des événements climatiques extrêmes plus fréquents, accompagnés d’excès ou de manque d’eau. On ne l’observe pas seulement à Houston ou à Bombay, mais dans une large partie de l’Inde, du Népal, du Bangladesh, du Niger ou du Yémen, qui font face à de graves inondations, ou en Somalie, victime de sécheresses de plus en plus fréquentes.
La communauté internationale a peu réagi aux drames subis par les régions du Sud, comme si la situation indienne était moins dramatique que l’ouragan Harvey…
Il faut certainement être plus attentif à ce qui se passe sur l’ensemble de la planète. Le dérèglement du climat est un problème global, nous devons être capables d’appréhender l’étendue de la situation. Il ne s’agit pas de faits isolés : pourquoi cela arrive-t-il et que pouvons-nous faire ? Nous devons aussi nous poser cette question-clé : s’agit-il de désastres naturels ou causés par l’homme ? Le consensus scientifique nous dit que le changement climatique n’est peut-être pas directement responsable de ces événements extrêmes, mais qu’il les aggrave et les multiplie.
Peut-on hiérarchiser ces événements en fonction de critères tels que le nombre de victimes, le coût économique, l’impact environnemental ?
CE SONT LES CATÉGORIES LES PLUS VULNÉRABLES DE NOS SOCIÉTÉS, PARTOUT DANS LE MONDE, QUI SONT LES PLUS TOUCHÉES : LES PAUVRES, LES FEMMES, LES PERSONNES EN SITUATION DE HANDICAP
Tous ces points sont importants. Nous devons évidemment prendre en compte leurs impacts humains, estimer la charge financière et la perte des moyens de subsistance, évaluer les conséquences sur l’environnement et sur notre cadre de vie. Mais il faut regarder aussi quels sont ceux qui payent le plus lourd tribut. Ce sont les catégories les plus vulnérables de nos sociétés, partout dans le monde, qui sont les plus touchées : les pauvres, les femmes, les personnes en situation de handicap.
Les réponses du PNUE sont-elles identiques dans des situations aussi différentes que Houston ou Bombay ?
Il n’y a pas de potion magique, de solution unique pour combattre le changement climatique, mais tout un éventail d’actions à mettre en œuvre, comme travailler avec les villes sur l’efficacité énergétique et la réduction de la pollution, stopper la déforestation, préserver la biodiversité, endiguer la dégradation de nos océans. Nous travaillons avec les marchés financiers et le secteur privé pour créer de l’investissement et de l’innovation et, bien sûr, avec les gouvernements pour garantir de bonnes politiques environnementales.
Il faut regarder également la situation sous le prisme de l’environnement. La planète est confrontée à une crise inédite et globale au sujet des réfugiés. Nombre d’entre eux fuient à cause de conflits en partie causés par des facteurs environnementaux. La Somalie, par exemple, souffre de sécheresses répétées et de plus en plus graves, liées au changement climatique et à la dégradation de l’environnement. Une partie du nord de l’Irak est gangrenée par le prétendu Etat islamique, responsable notamment d’avoir incendié des sites chimiques et des champs de pétrole. Nous essayons par conséquent de travailler plus avec les pays en crise, parce qu’un environnement sanitaire sain est un atout pour construire la paix.
La réponse de la communauté internationale est-elle à la hauteur du défi ?
La décision du président Trump de se retirer de l’accord de Paris a été une énorme déception. Mais, dans le même temps, un grand nombre d’initiatives positives ont été prises pour contrebalancer cette décision. Des Etats américains comme la Californie, des villes comme New York, des entreprises comme Google, Microsoft et Apple, se mobilisent pour combler le vide. Un regain d’engagement se fait sentir en Europe grâce à une prise de position forte du président Macron et d’autres leaders européens.
En Chine et en Inde, on observe une mutation majeure vers les énergies renouvelables. La santé publique, tout comme la sécurité énergétique sur le long terme, sont désormais des priorités politiques. La marche vers l’énergie solaire et éolienne crée des emplois et réduit les coûts de ces technologies. La situation est prometteuse mais nous devons aller encore plus vite. La science nous dit que nous ne pouvons pas nous offrir le luxe de prendre notre temps si nous voulons gagner la bataille contre le réchauffement climatique.
Propos recueillis par Rémi Barroux et Simon Roger