L’ouragan Maria poursuit sa route dévastatrice à travers les Caraïbes. Après avoir frappé de plein fouet la Dominique, rasé la Guadeloupe, et relativement épargné la Martinique, le cyclone de catégorie 5 sur l’échelle de Saffir-Simpson – le niveau maximum – se dirigeait vers Porto Rico et les Iles Vierges mercredi 19 septembre. Entretien avec Jean-Noël Degrace, météorologue de Météo France installé en Martinique.
Audrey Garric : Comment s’est formé l’ouragan Maria ?
Jean-Noël Degrace : Comme les autres ouragans qui concernent les Antilles, il provient, à l’origine, de gros amas pluvieux orageux qui se forment sur l’Afrique occidentale, se déplacent d’est en ouest et se transforment en onde tropicale lorsqu’ils arrivent en mer. Mais à la différence des précédents comme Irma, il ne s’est pas renforcé au large du Cap-Vert, mais plus près de l’arc antillais. On parle dans son cas d’ouragan « barbadien », du nom de l’île de la Barbade.
Cette intensification des cyclones, perturbations à circulation tourbillonnaire, est favorisée lorsque certaines conditions sont réunies. Il s’agit d’abord d’une température élevée de l’océan superficiel [les 100 premiers mètres de profondeur], qui doit être d’au moins 27 °C, et d’humidité dans l’air. Ensuite, les vents de la troposphère [de la surface jusqu’à 10 000 mètres d’altitude] doivent être homogènes, ce qui permet à la cheminée centrale, verticale, ne pas être « cisaillée ». Ainsi le cyclone peut gérer ses immenses échanges énergétiques. Enfin, il faut des vents assez forts et bien orientés, en haute altitude, pour entretenir le cycle énergétique de l’ouragan.

Quelle est sa trajectoire ?
L’ouragan Maria, qui affiche des vents moyens maximums de 260 km/h, continue sa route vers l’ouest-nord-ouest. Après avoir longé la Martinique, traversé la Dominique et rasé le sud de la Guadeloupe, il se dirige maintenant vers Porto Rico. Il n’y a aucune raison qu’il faiblisse, du fait d’une mer chaude et de conditions de vent très favorables.
La bonne nouvelle, c’est que l’œil de Maria va rester à environ 150 km/h des îles déjà dévastées par Irma, notamment Saint-Martin et Saint-Barthélemy. Cela devrait limiter les risques, malgré des vagues importantes et de la pluie qui pourrait être intense.
Comment expliquer le renforcement très rapide de l’ouragan, qui était encore une tempête tropicale dimanche, avant d’atteindre la catégorie 5 lundi ?
Cet ouragan a doublé la force de ses vents en 24 heures, de 120 km/h à 240 km/h, c’est frappant. Une intensification si rapide et si forte n’était pas vraiment anticipée... Plusieurs raisons l’expliquent : Maria a ralenti, ce qui favorise son renforcement. Il avançait sur des eaux plus chaudes que la normale, les vents d’altitude étaient très favorables, en présence d’une atmosphère très humide. Mais on ne comprend pas encore tous les mécanismes de changements rapides d’intensité des ouragans.
Le Washington Post [1] indique que les ouragans Maria et José pourraient se retrouver au large de la côte est des Etats-Unis entre le 23 et le 26 septembre et fusionner au point de créer un « effet Fujiwara ». Qu’en est-il ?
Pour cela, il faut que José stagne au large des côtes de la Caroline du Nord, entre 3 000 et 4 000 km au nord de Maria, et que cette dernière remonte d’autant. Cela fait beaucoup d’incertitudes. L’effet Fujiwara signifie que deux cyclones se tournent autour et qu’ils peuvent, dans de très rares cas, se renforcer. Mais même quand cela arrive, le plus souvent dans le Pacifique, les conséquences ne sont pas forcément catastrophiques.
Harvey, Irma, José et maintenant Maria : la saison est-elle particulièrement active en matière d’ouragans dans l’Atlantique ?
Le bassin atlantique nord tropical, qui regroupe l’Atlantique nord, la mer des Caraïbes et le golfe du Mexique, a, pour l’instant, enregistré 13 tempêtes ou ouragans depuis le début de la saison en juin. Il y a déjà eu des saisons cycloniques autant voire plus actives encore. L’année 2005 avait marqué un record avec 26 phénomènes cycloniques dans toute la saison, jusqu’à fin novembre. En moyenne, on tourne autour d’une douzaine. Mais cette fois, la situation est exceptionnelle car il est extrêmement rare d’avoir quatre cyclones majeurs si rapprochés dans le temps dans la même région.
Peut-on faire un lien entre cette succession et le changement climatique ?
Le changement climatique est une réalité aux Antilles : les températures atmosphériques augmentent, plus que les moyennes au niveau global, et le niveau de la mer monte. Mais il est difficile de dire qu’il y a plus de cyclones ou qu’ils sont plus puissants, faute de base de données suffisamment homogène et aussi parce qu’on sait mieux les détecter que par le passé. Il y a malgré tout une tendance à l’augmentation des cyclones les plus intenses, de 5 à 10 %. Mais aucun événement particulier n’est lié au changement climatique dans la mesure où de nombreux cycles naturels interviennent, comme le phénomène El Niño.
Propos recueillis par Audrey Garric