Une brèche s’est ouverte et il faut prendre toute notre part à la dynamique engagée avec la France Insoumise. Le succès de Jean-Luc Mélenchon à la Présidentielle est inédit pour notre famille politique, celle qui porte la rupture au service de l’émancipation humaine. La France insoumise a réussi à incarner une nouvelle voie face aux alternances qui se suivent et se ressemblent si tristement, suscitant la désespérance des catégories populaires. Ceci grâce à une dissociation nette vis-à-vis du gouvernement PS et le refus de mettre le doigt dans une éventuelle primaire de toute la gauche. Dans le même temps, le profil affiché n’était pas celui de la seule « tribune » propre à l’extrême gauche ou le rôle « d’aiguillon » prisé par le reste de la gauche radicale. En effet, notamment depuis le déclin du PCF, cette gauche radicale n’a nourri aux élections qu’une ambition mesurée. Mais au cours de la campagne, il ne s’est plus agi de peser sur d’autres partis, de gauchir la gauche en quelque sorte, mais de constituer un large pôle d’agrégation populaire autour duquel de nouvelles majorités d’idées, sociales, politiques, peuvent se construire. Elle a permis de s’adresser à des franges disponibles de la société pour un projet de rupture avec les traités européens, avec une Ve République exsangue, un néolibéralisme débridé dévastateur pour les droits et protections, un productivisme trop dangereux pour l’environnement, une promesse républicaine – liberté, égalité, fraternité – en lambeaux et toujours plus démentie dans les faits. Et, au lieu de brandir le mot « gauche » comme un étendard pour convaincre, Jean-Luc Mélenchon a porté son contenu. Il a en quelque sorte rempli le mot d’un projet alternatif plutôt que de le considérer comme plein a priori, notamment au vu du bilan Hollande/Valls mené au nom de la gauche, ce qui a achevé de brouiller les repères. Le succès a, comme on le sait, également reposé sur une capacité à innover dans les formes politiques. Et bien entendu sur les qualités propres du candidat.
Rien de ceci n’a été possible par les tentatives de ces dernières années, avec la fondation du NPA ou la constitution du Front de Gauche. Ce dernier a échoué par incapacité à intégrer des individus et forces nouvelles dans des « fronts » qui laissent intactes les formations partie prenante. A cause aussi de graves divergences stratégiques internes, quant au type de liens maintenus avec des secteurs de gauche eux-mêmes sans rupture nette avec ce qui reste de la majorité du PS. La volonté de persévérer dans son être est une caractéristique bien banale des organisations existantes, et elle a emporté les promesses du FG.
La France Insoumise se met en place, la porte est ouverte. Il ne faut pas rater l’occasion historique qui s’est créée de faire réussir le pari de la construction de la FI avec la masse des nouveaux militant-e-s qui s’y sont engagés ! Et de mettre au service de cette construction notre mouvement (la FI permet la double appartenance), notre expérience acquise dans de multiples combats et débats.
Le positionnement politique de la FI repose sur un programme qui, dans la galaxie européenne correspondante (Podemos ou Die Linke par exemple) est le plus radical. Certes pas anticapitaliste au sens habituel. Mais mêlant les exigences démocratiques, sociales et écologistes, qui correspondent sans conteste à l’état actuel de la dynamique des mouvements populaires. Même si telle ou telle proposition peut faire débat, y compris parmi les Insoumis. C’est l’interprétation qu’en a parfois donné Jean-Luc Mélenchon, comme c’était d’ailleurs sa fonction de candidat, qui a pu être questionnée. Mais l’essentiel est en réalité partagé pour toute la période que nous vivons, sous les coups répétés des offensives libérales et impériales. Un débat se déroule sur le mode du tir au canon dans la gauche radicale quant au « populisme » de Jean-Luc Mélenchon. S’il a une légitimité théorique, il faut le prendre avec plus de modération, puisque cette référence est hautement revendiquée par des dirigeants de Podemos, et n’empêche nullement là bas l’essentiel de la gauche radicale de s’y retrouver [1]. De plus on peut tout aussi raisonnablement estimer que la FI défend en pratique quant au fond un projet qu’on ne peut que classer bien à gauche.
Surtout, les nouvelles franges de la société qui s’engagent ou soutiennent les Insoumis manifestent un élargissement, une ouverture, un rajeunissement. Un métissage des cultures issues du mouvement ouvrier, de l’écologie politique, de l’anti-racisme, du féminisme, etc. qui a mûri et produit ses effets concrets aujourd’hui dans la FI. Ce qui en résulte n’est pas une addition d’identités mais un nouveau tout au sein duquel les lignes de débat ne sont plus figées en fonction de l’origine politique en termes de courants et traditions. Ce que concrétise le groupe FI à l’Assemblée nationale, qui compte d’ailleurs trois députées issues de notre sensibilité – Caroline Fiat, Danielle Obono et Clémentine Autain.
Alors il ne s’agit pas de dire que rien n’existe de légitime politiquement hors de ce choix. Mais peut-on rester sur le bord de la route d’une dynamique dans le pays de nature à bousculer le champ politique ? Contrairement à leurs camarades de Anticapitalistas dans l’Etat Espagnol, c’est le choix du NPA, toujours à la recherche d’une issue qui contourne carrément la question en misant sur « les masses ». Doit-on attendre le choix du PCF qui lui-même ne semble pas encore au clair sur sa stratégie ? Il faut mener le débat avec les communistes du PCF et avec d’autres courants politiques aujourd’hui encore hésitants ou hostiles vis-à-vis de la FI. Nous mesurons combien de blessures locales et nationales ont dressé de murs qu’il faudra tôt ou tard faire tomber. Avec ces camarades communistes, ceux du mouvement de Hamon ou des socialistes clairement opposés à Macron, comme avec ceux du NPA, notre esprit de rassemblement ne mollit pas. De plus l’histoire ne s’arrête pas là. Au-delà du programme que nous défendons en commun, il reste des débats stratégiques à venir, sur la place de l’anticapitalisme, de l’écosocialisme ou le concept même d’impérialisme français. Et surtout sur la question commune à tous, de loin la plus importante, celle de la manière dont il nous faudra bâtir le bloc populaire porteur d’un projet majoritaire d’émancipation sociale, démocratique et écologique.
Mais le choix est à faire là, maintenant, du cadre d’où mener ces actions et élaborations en commun. N’accumulons pas les préalables à l’engagement. Notre conviction est que nos accords de fond avec la FI sont suffisamment puissants pour nous engager dans ce processus qui a le mérite de s’inscrire dans un cadre large, pesant sur la vie politique et la société. Et nous devons nous y engager non avec un point de vue étriqué, mais avec un état d’esprit constructif. La question se pose certainement de la relation démocratique entre l’exigence d’horizontalité et le verticalisme inévitable à certains égards. Mais elle n’a été fondamentalement résolue ni dans les anciens partis ni dans les nouveaux mouvements. La FI est en phase de structuration, les modalités de fonctionnement ne sont pas arrêtées. Elles ne peuvent signifier la répétition des formes organisationnelle du XXe siècle. Acceptons qu’il faut encore chercher et innover et mesurons en avançant. La FI est une construction dont la figure finale de l’édifice n’est pas donnée d’avance. Et de plus, il ne sert à rien de faire comme si les logiciels anciens de l’anticapitalisme n’avaient pas de leur côté un besoin urgent d’un bilan et d’élaborations nouvelles.
Rassembler dans la FI et avancer, c’est la tâche de l’heure.
Clémentine Autain, Samy Johsua, Jules Lavalou