Attendue depuis une semaine, l’annonce, lundi 25 septembre, par le premier ministre japonais, Shinzo Abe, de sa décision de dissoudre la Chambre des représentants et d’organiser des élections anticipées pour la fin octobre n’a pas surpris. Elle a en revanche suscité des critiques de l’opposition et d’une partie de la presse comme étant une manœuvre politicienne de M. Abe pour briguer en 2018 un troisième mandat de président du Parti libéral-démocrate (PLD), qui l’assurerait de conserver son poste de chef du gouvernement jusqu’en 2021.
Disposant d’une confortable majorité des deux tiers dans les deux Chambres, M. Abe n’a pas besoin d’un nouveau mandat populaire pour mener la politique qu’il entend, font valoir ses adversaires. « On ne voit pas de raison valable à cette dissolution », écrit dans un éditorial le quotidien Asahi qui évoque « un abus du droit de dissolution » pour la seconde fois depuis novembre 2014. Le Nikkei, journal des milieux d’affaires, critique une « liquéfaction du monde politique ». Selon les sondages, près des deux tiers des électeurs sont opposés à ces élections anticipées.
LE PREMIER MINISTRE VEUT TIRER PARTI D’UN REGAIN DE POPULARITÉ, APRÈS UNE SÉRIE DE SCANDALES DE FAVORITISME DONT UN A ÉCLABOUSSÉ SON ÉPOUSE
Jouant de l’inquiétude – pour l’instant modérée – suscitée au Japon par la tension avec la Corée du Nord, M. Abe a jugé le moment opportun. Il cherche en outre à tirer partie d’un regain de popularité, après la chute provoquée, au début de l’été, par une série de scandales de favoritisme dont un a éclaboussé son épouse. En décidant de dissoudre la Chambre basse, il coupe court aux questions de l’opposition sur ces affaires à la faveur de la session parlementaire qui devait s’ouvrir le 28 septembre.
Au cours d’une conférence de presse, le premier ministre a justifié sa décision en faisant valoir qu’il avait besoin d’un nouveau mandat pour faire face à la « crise nationale que connaît le pays » et « répondre aux besoins de toutes les générations » par une répartition des recettes du relèvement de la taxe à la valeur ajoutée (qui passera de 8 % à 10 %) prévue en 2019. Le Japon doit en outre « faire face à une tension croissante avec la Corée du Nord », a-t-il poursuivi.
Sur cette question M. Abe s’est aligné sur la position de Donald Trump : dans une tribune publiée par le New York Times le 17 septembre, il avait apporté un soutien entier à la position des Etats-Unis et jugé vain « le dialogue avec Pyongyang ». « M. Abe cherche à apparaître comme un dirigeant fort, capable de faire face à la menace nord-coréenne », estime le politologue Koichi Nakano. Sa fermeté vis-à-vis de la Corée du Nord semble avoir contribué à la remontée de sa popularité.
« Pour faire face à tous ces problèmes, j’ai besoin en tant que premier ministre d’un renouvellement de la confiance populaire », a-t-il déclaré lundi, ajoutant qu’en cas de défaite du PLD, il renoncerait à son mandat. Dans la situation présente des rapports de force, il y a peu de chance qu’il soit contraint à se démettre. La seule inconnue est l’apparition d’un nouveau parti, Kibo no to (le Parti de l’espoir), lancé, quelques heures avant la conférence de presse de M. Abe, par la gouverneure de Tokyo, Yuriko Koike.
Opposition divisée
Sur les brisées d’Emmanuel Macron, dont elle cite volontiers l’exemple, Mme Koike espère mobiliser un électorat qui ne se reconnaît pas dans les partis traditionnels et se détourne des urnes. Lors des élections à l’assemblée municipale de Tokyo le 2 juillet, les candidats de son parti (alors local) avaient mis en déroute leurs adversaires du PLD. Elle-même ne se présentera pas, mais elle mettra sa popularité au service de la campagne des candidats de son parti. Une plus grande participation des femmes à la société, une politique énergétique visant l’élimination de l’énergie nucléaire et l’ouverture d’un débat national sur une révision de la Constitution qui ne serait pas focalisé sur le pacifisme sont les grands thèmes de la campagne du Parti de l’espoir.
Cette nouvelle formation est la seule véritable menace pour le parti gouvernemental. Celui-ci ne peut plus compter comme autrefois sur la puissante machine électorale qu’étaient les clientèles des députés qui contrôlaient un électorat captif. C’est désormais l’électorat flottant – dont une bonne partie s’abstient – qui décide de l’issue d’une élection. L’opposition cherche toujours vainement à l’unir et ira vraisemblablement en rangs dispersés à ces élections. Le Parti démocrate, principale formation d’opposition, laminé à la suite de son expérience malheureuse au pouvoir de 2009 à 2012, est divisé sur une alliance éventuelle avec le Parti communiste.
Par ces élections anticipées, M. Abe cherche à obtenir un vote de confiance en profitant de la faiblesse de l’opposition et en cherchant à couper l’herbe sous le pied à Mme Koike avant qu’elle ait eu le temps d’organiser son parti. Il n’en prend pas moins un risque. Même si la défaite est minime, elle donnera des arguments à ses adversaires à l’intérieur de son parti, dont des poids lourds qui commencent à sortir du bois comme les anciens ministres de la défense, Shigeru Ishiba, et des affaires étrangères, Fumio Kishida.
Philippe Pons (Tokyo, correspondant)
* « Au Japon, le premier ministre fait le pari de la dissolution ». LE MONDE | 26.09.2017 à 10h57 :
http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2017/09/26/au-japon-le-premier-ministre-fait-le-pari-de-la-dissolution_5191498_3216.html
Au Japon, des élections sur fond de menaces régionales
Editorial. Le premier ministre, Shinzo Abe, a convoqué, lundi 25 septembre, des élections anticipées qui visent surtout à lui permettre de conserver un pouvoir qu’il détient depuis cinq ans.
En dépit des deux missiles qui sont passés au-dessus de l’Archipel ces dernières semaines pour s’abîmer dans le Pacifique et des vitupérations de Pyongyang, les Japonais ne semblent pas s’émouvoir outre mesure des menées de leur voisin nord-coréen. Ces menaces ne sont pas nouvelles, mais elles ont pris une dimension inédite : ce qui inquiète les Japonais, c’est l’imprévisibilité non pas tant de Kim Jong-un, mais de Donald Trump.
En jouant de ces inquiétudes, le premier ministre, Shinzo Abe, a convoqué, lundi 25 septembre, des élections anticipées qui visent surtout à lui permettre de conserver un pouvoir qu’il détient depuis cinq ans et d’apparaître comme l’homme fort, capable de faire face à ce qu’il nomme la « crise nationale », à laquelle serait confronté le Japon. « Crise nationale » ? Au regard de l’agitation que connaissent les Etats-Unis et l’Europe, le Japon paraît un havre de paix. Peut-être trop… La formation de M. Abe, le Parti libéral-démocrate, est en tête dans les sondages. Le premier ministre se présente comme le continuateur d’une politique de relance publique destinée à sortir le pays de deux décennies de croissance inerte.
Shinzo Abe profite d’une opinion qui reste atone, sans relais pour exprimer son mécontentement sinon par son abstention lors des scrutins. Une nouvelle formation, le Parti de l’espoir, de la gouverneure de Tokyo, Yuriko Koike, va essayer de capitaliser sur l’insatisfaction flottante, le malaise, d’une partie de l’opinion. C’est dans cette « liquéfaction de la démocratie », selon le mot, mardi matin, du Nikkei, le quotidien du monde des affaires, que pourrait résider la « crise nationale » dont parle M. Abe. Elle tient peut-être principalement à la difficulté du Japon, troisième économie du monde, à se situer sur la scène internationale.
« Japan is back », avait martelé M. Abe en revenant au pouvoir en 2012, avant de lancer, trois ans plus tard, une autre formule – « un pacifisme proactif » – pour justifier une plus grande projection à l’extérieur des forces militaires du pays. Depuis, le volontarisme de M. Abe, qui se veut omniprésent à travers le monde, s’est surtout traduit par un alignement renforcé sur les Etats-Unis de Donald Trump.
Un sentiment d’insécurité dans l’opinion
Le premier ministre a soigneusement évité de commenter les sorties de ce dernier sur la Corée du Nord, mais il ne s’en est pas pour autant démarqué. Par ce suivisme, il maintient le Japon dans une position subalterne : peu audible. Tokyo ne prend aucune initiative qui lui soit propre sur les questions nord-coréenne et chinoise. Après une courte lune de miel avec la présidente Park Geun-hye, les liens avec la Corée du Sud ne se sont guère améliorés.
Quant aux efforts en direction de la Russie afin de trouver un compromis sur la question de la souveraineté des quatre îles Kouriles, ils n’ont pas abouti. Premier dirigeant à s’être rendu aux Etats-Unis pour congratuler Donald Trump après son élection, Shinzo Abe feint d’ignorer que son alignement sur Washington limite les initiatives régionales du Japon, risquant de le mettre en porte à faux par rapport à ses voisins (Corée du Sud et Chine) sans pour autant contribuer à calmer les ardeurs bellicistes du président américain.
Les crises alimentent un sentiment d’insécurité dans l’opinion qui servent l’ambition ultime de M. Abe : réviser la Constitution pacifique dont le pays s’est doté au lendemain de la seconde guerre mondiale. Est-ce le remède au malaise japonais ?
Editorial du « Monde »
* LE MONDE | 26.09.2017 à 11h44 • Mis à jour le 26.09.2017 à 11h53 :
http://www.lemonde.fr/idees/article/2017/09/26/au-japon-des-elections-sur-fond-de-menaces-regionales_5191550_3232.html