1. Les nouvelles ambitions de la politique commerciale européenne par delà l’OMC
Le 4 octobre 2006, la Commission européenne a rendu public un nouveau document de politique générale intitulé Une Europe compétitive dans une économie mondialisée [i]. Il explique comment des accords de libre échange bilatéraux avec les principaux pays d’économie émergente devraient permettre à l’Union européenne d’ouvrir à ses entreprises de nouveaux marchés porteurs. L’UE s’attachera également à renforcer les droits de propriété intellectuelle et à réduire les ‘barrières non tarifaires’ au commerce avec ses partenaires ; elle défendra aussi des réformes intérieures à l’Europe qui favorisent l’activité économique.
Cette Communication développe une stratégie agressive dite de compétitivité extérieure. Comme le dit le Commissaire européen au Commerce Peter Mandelson : "Qu’entendons-nous par aspects extérieurs de la compétitivité ? En fait, il s’agit de s’assurer que des entreprises européennes compétitives, s’appuyant sur de bonnes politiques internes, puissent accéder aux marchés mondiaux et y travailler en toute sécurité. C’est notre objectif” [ii].
Comme la Communication du 4 octobre est à usage public, les éléments inquiétants en ont été retirés. Si l’on souhaite comprendre quelles sont les véritables intentions et priorités de l’UE, il convient de consulter une première version rédigée par la DG Commerce – c’est un document que la Commission voulait garder secret, mais qui a été révélé au public et est accessible à l’adresse : http://www.s2bnetwork.org/download/globaleurope_draft.
Les priorités de l’UE sont aussi reprises dans les annexes à la Communication officielle disponibles à l’adresse :
http://trade.ec.europa.eu/doclib/docs/2006/october/tradoc_130370.pdf
L’essentiel de la stratégie proposée se résume comme suit : si l’UE souhaite garder son niveau de compétitivité dans un marché mondialisé, il lui faut redoubler d’efforts afin de créer des opportunités permettant à ses entreprises de se déployer à l’étranger, ceci en visant tout particulièrement les règles commerciales dans les pays tiers. Mais si elle veut bâtir des entreprises solides, elle doit aussi favoriser l’activité économique sur le marché intérieur.
L’UE ne veut pas seulement adopter une position plus agressive (ou, comme elle dit, plus ‘volontariste’) dans ses rapports avec ses partenaires commerciaux. Elle veut aussi lancer de nouveaux processus bilatéraux et suggère d’appliquer de nouvelles mesures comme une consultation préalable du monde de l’entreprise à l’étranger et sur le marché intérieur, par exemple pour rédiger de nouvelles règles, donner à des entreprises européennes un accès direct à une instance de règlement des différends, limiter l’accès de pays qui ne renvoient pas l’ascenseur à des marchés publics au sein de l’UE, ou s’assurer qu’une parfaite parité soit respectée dans des négociations bilatérales.
Si la politique commerciale permettait déjà d’introduire des réformes sur le marché intérieur par le biais de l’OMC et de négociations bilatérales, elle va désormais avoir un impact direct sur ces réformes au sein de l’Europe. “Les dimensions intérieures et extérieures de la compétitivité sont inextricablement mêlés,” a dit le Commissaire en charge du Commerce. Éliminer tous les obstacles qui entravent le fonctionnement des entreprises et s’assurer que les réglementations n’auront qu’un influence minimale sur le commerce, tel doit être l’objectif de l’UE, en Europe et à l’étranger.
Démanteler le système régulateur semble être la stratégie la plus importante pour augmenter la compétitivité extérieure de l’UE. Ceci comprend des exigences sanitaires et phytosanitaires (SPS) comme celles concernant les obstacles techniques au commerce (TBT), des règlements sur les services, les marchés publics, mais aussi les régimes auxquels sont soumis les droits de propriété intellectuelle, les investissements et la concurrence dans les pays tiers. Il faut s’attendre à davantage de concurrence, de flexibilité et de dérégulation.
Adieu au modèle social européen, bienvenue à la mondialisation sauvage pour tous !
Les priorités de Mandelson
– Diminuer les ‘barrières non tarifaires’ aux exportations et investissements de l’UE. Soulignant qu’il faut prendre en compte l’ensemble de l’environnement opératoire des pays tiers, la Commission veut s’assurer que les règlements soient non-discriminatoires et ‘les moins contraignants possibles’ ;
– Améliorer l’accès aux matières premières afin d’assurer une base équitable à la concurrence. L’objectif principal ici est d’éliminer toute taxe à l’exportation et toute autre restriction aux exportations utilisée par des partenaires commerciaux pour s’assurer que leurs matières premières sont utilisées pour leur propre besoin ;
– Assurer la fourniture d’énergie grâce à une amélioration du commerce dans le secteur de l’énergie de pays tiers, l’intérêt principal étant ici d’assurer l’approvisionnement de l’Europe en gaz et en pétrole. Ceci signifie que le marché européen de l’énergie doit être compétitif ;
– Renforcer la présence des entreprises européennes sur des marchés émergents par une installation permanente impliquant une plus grande libéralisation des investissements ;
– L’ouverture des marchés publics – un “énorme potentiel largement sous-exploité” pour les exportateurs européens, déclare la Commission (10-25% du PIB de pays partenaires). Cependant, la façon de procéder dans les pays partenaires « entrave » la participation « équitable » de fournisseurs de l’UE et les « exclut d’importantes opportunités d’exportation » ;
– Réformer l’application des mesures de défense commerciale (anti-dumping) des partenaires commerciaux de l’UE, qui menacent d’annihiler l’accès au marché obtenu par les entreprises européennes ;
– Garantir l’application des droits de propriété intellectuelle (DPI), y compris les indications géographiques.
Aux yeux de la Commission européenne, même un résultat ambitieux au cycle de Doha, actuellement en cours à l’OMC ne serait pas suffisant pour satisfaire les attentes du lobby industriel de l’UE. A la fin du cycle, il faudra reprendre tous les points mentionnés ci-dessus. Néanmoins, comme on peut avoir des doutes quant à la volonté de certains membres de l’OMC d’adopter pareils objectifs, il faut déjà préparer un nouveau et ambitieux programme de négociations bilatérales.
Une nouvelle génération d’accords bilatéraux
Dans ce genre de programme, il faut tout d’abord identifier les critères permettant de sélectionner les pays cibles. Les principaux sont : potentiel du marché (taille du marché, sa croissance et perspectives de bénéfice), niveau de protection contre les intérêts des exportateurs de l’UE, nombre d’accords bilatéraux que ces pays ont déjà établis avec d’autres partenaires commerciaux (établir des relations privilégiées qui excluent l’UE et mettent en place un régime de réglementation commune incompatible avec celui de l’UE). A ces démarches, il faut ajouter : l’accès aux ressources ; l’équilibre entre intérêts offensifs et défensifs ; l’effet sur les systèmes multilatéraux.
Sur cette base la Commission identifie l’ASEAN, la Corée du Sud et le Mercosur (l’Argentine, le Brésil, le Paraguay, l’Uruguay, le Venezuela) en tant que cibles prioritaires, à côté de l’Inde, la Russie et le Conseil de Coopération du Golfe. L’UE a déjà lancé des pourparlers en vue d’accords de libre échange (ALE) avec le Conseil de Coopération du Golfe qui rassemble six pays de la péninsule arabique autour de l’Arabie saoudite. Ses négociations ALE avec le Mercosur, suspendues depuis 2005 à cause de désaccords sur l’agriculture, les biens industriels, les investissements et les services, doivent reprendre sous peu. Par ailleurs, Bruxelles et Delhi envisagent de lancer des pourparlers ALE. L’UE n’a pas encore lancé de négociations avec la Chine, qui représente pourtant un immense marché en croissance constante. La Chine est perçue tout à la fois comme une menace, une opportunité et un partenaire potentiel, et l’UE a formulé sa politique de commerce et d’investissement avec la Chine dans une Communication publiée le 24 octobre 2006.[iii]
Les nouveaux accords bilatéraux auront comme priorité les points suivants :
– Assurer l’accès au marché pour tout le commerce des biens et des services, en cherchant une parité complète avec les autres pays engagés dans des accords bilatéraux.
– Éliminer les barrières non tarifaires et chercher à atteindre une convergence des règles en vigueur. En plus des questions SPS, OTC et DPI, la DG Commerce veut ouvrir une nouvelle frontière : elle considère qu’il n’y a pas que certaines mesures qui constituent des obstacles, mais aussi la façon dont elles sont appliquées, “sans consultation suffisante”. Il faut donc mettre de l’ordre, notamment par des mécanismes pour éviter les différends. Ceci va dans le sens des engagements à une consultation préalable que cherchent les États-Unis avec leurs partenaires bilatéraux. Dans le cas des EU, quand un pays veut modifier les règles qui régissent l’industrie ou le commerce, il leur faut impliquer leurs partenaires dans le processus de décision. L’UE demande des “consultations, des procédures d’avertissement précoce, l’échange d’informations et la possibilité de faire des commentaires”. La Commission propose également un contrôle plus strict et des mécanismes de résolution des différends accessibles aux grandes entreprises.
– Inclure de nouvelles clauses portant sur les investissements, les DPI et la concurrence.
– Ouvrir les marchés publics. Comme les marchés publics européens sont déjà largement ‘ouverts’, la Commission envisage de réduire l’accès aux pays où cette ouverture n’est pas comparable et d’ainsi les amener à négocier des accords sur les marchés publics.
La Commission suggère également un mécanisme de vérification pour s’assurer que ses partenaires commerciaux fassent preuve d’un engagement équivalent avant d’entamer des négociations, ceci afin d’éviter le risque que des négociations soient bloquées suite à des attentes différentes. Pareille vérification a cours ou s’est déjà appliquée dans les négociations avec l’Inde, les pays de l’ASEAN et la Corée du Sud.
La dimension européenne de la stratégie de commerce extérieur
Afin de soutenir la compétitivité extérieure et de mieux servir les intérêts du monde économique, il convient de prendre en compte des considérations extérieures lorsque l’on détermine des mesures de politique intérieure. La réalisation du marché unique et l’accroissement de la concurrence intérieure sont des facteurs clés, mais à nouveau l’élément déterminant est le cadre régulateur. Selon la nouvelle stratégie de la Commission, les pratiques et les règles internes à la Communauté devraient être en accord plus étroit avec les pratiques et les règles appliquées par les partenaires commerciaux de l’UE, et moins ‘restrictives au commerce’.
Pour la Commission, c’est dès le début du processus de décision qu’il faut prendre la dimension extérieure en compte si l’on veut réduire au minimum les frictions avec les règles de nos partenaires commerciaux. “La coopération internationale en matière de règlements est le bon outil, déclare le Commissaire, cela permet de choisir le système le moins contraignant, de minimiser le coût de régulations du commerce intérieur et la résolution de différends en amont.… Un bon exemple en est le processus de consultation pour la directive REACH où la voix d’industriels extérieurs à l’UE a pu se faire entendre …. Nous devons être prêts à améliorer notre niveau de transparence, d’information préalable, laisser la possibilité de commenter les propositions …”
Si la Commission cite REACH comme exemple positif, les ONG en revanche soutiennent que le dossier REACH est un exemple type de dérive du processus décisionnel européen. L’on sait aujourd’hui que les pressions du secteur chimique ont vidé de sa substance une législation originellement conçue pour protéger la population et l’environnement[iv]. C’est le lobby des industriels européens qui a demandé aux entreprises non-européennes d’intervenir. Il est intéressant de noter que le Parlement européen a trouvé que quelques grandes multinationales exportant des produits chimiques en gros supporteraient les frais[v]. Mais il est clair que les pressions exercées par les multinationales ne pèsent pas encore assez lourd aux yeux de la Commission ; à l’avenir elle invitera des multinationales hors UE à prendre part au processus de décision. La Commission veut être plus transparente (pour les industriels étrangers, pas pour sa propre société civile) et veut écouter les plaintes de grosses entreprises étrangères avant de prendre des décisions qui “affectent le marché” – des décisions par exemple sur l’environnement, la santé, les réglementations sociales. Cela va rendre l’UE encore moins démocratique. Enfin la Commission veut aussi équiper la population pour le changement. Elle est consciente que si elle veut des accords ambitieux au service des intérêts des grandes entreprises européennes, il lui faut offrir quelque chose en retour. Elle est prête à ouvrir des secteurs sensibles de l’économie européenne tout en reconnaissant que cela va entraîner des “transformations qui vont perturber certains dans l’UE”.
La Commission va donc ouvrir l’EU, mais elle cherche à mettre en place des périodes de transition, des garde-fous, etc. Elle promet d’équiper certains pour faire face au changement en développant des politiques actives en matière d’enseignement et de marché du travail grâce au Fonds Européen d’Ajustement à la Mondialisation. Aucune mesure n’est prévue pour ceux qui ne trouvent pas de travail, alors que de plus en plus d’économistes commencent à se soucier de la croissance du chômage, des travailleurs en dessous du revenu minimal et de l’absence de redistribution des richesses. Pour les consommateurs, la Commission promet des mesures qui garantiront que l’effet positif de l’ouverture commerciale et des diminutions de prix (grâce à des tarifs réduits) ne soient pas ‘détournés par des intérêts particuliers’.
2. Critique : ‘Une Europe compétitive’ – le programme des grandes entreprises
La vision qu’a Mandelson d’une ‘Europe compétitive’ va dans deux directions : vers les rapports de l’UE avec d’autres pays à l’extérieur et vers le type d’Europe que nous nous fabriquons à l’intérieur. Vers l’extérieur, la politique de Mandelson marque un nouveau départ dans les rapports de l’UE avec d’autres pays, dans une veine désormais ouvertement intéressée. Plus question de beaux discours sur la justice commerciale ou la mondialisation au service des plus pauvres. Tout ce que promet Mandelson c’est “une plus grande concentration sur l’ouverture des marchés et des règles plus strictes dans des domaines commerciaux qui représentent un enjeu économique important.”
En pratique, cela signifie lancer une nouvelle génération d’accords commerciaux avec des pays comme le Brésil, la Chine, l’Inde et la Corée – c’est-à-dire précisément les marchés que l’industrie européenne doit conquérir si elle veut prospérer. ‘Volontarisme’ est ici le terme qui caractérise l’activité de Mandelson – il s’agit d’utiliser les négociations bilatérales pour obliger de nouveaux marchés à s’ouvrir, le but avoué étant que les entreprises européennes gagnent le droit d’exploiter ces nouvelles opportunités et les ressources naturelles des PVD.
L’axe central de cette nouvelle vision, c’est l’accès aux services ainsi que les marchés publics et industriels des économies émergentes, ceci malgré les difficultés que cela entraîne pour le développement de ces pays plus pauvres et la misère provoquée par la faillite d’entreprises locales suite à une concurrence déloyale. Le relent le plus évident de l’époque coloniale, c’est l’exigence d’un accès illimité aux ressources naturelles. Mandelson a écouté les appels du lobby industriel européen en décidant que l’accès aux ressources des pays en développement serait une “priorité” et en promettant de s’opposer à toute tentative de la part de ces derniers pour défendre leur droit à utiliser ces ressources pour leurs propres besoins.
Cette charité bien ordonnée s’étend d’ailleurs aux sources d’énergie, puisque Mandelson réclame une “politique cohérente” permettant d’assurer à l’Europe un accès aux réserves de gaz et de pétrole de la planète. De plus, un ensemble d’accords d’investissement permettra aux multinationales de lancer leur production dans des économies à bas salaire libres de réglementation ou d’exigences de performance qui pourraient écorner leurs marges bénéficiaires. Dans le même temps, de nouvelles règles concernant la propriété intellectuelle empêcheront des entreprises locales de copier les modèles technologiques dont elles pourraient avoir besoin dans le cadre du développement de leur pays.
La première remarque est qu’il s’agit d’une vision qui repose sur un échec. L’UE a tenté à maintes reprises d’imposer ce modèle dans les négociations multilatérales de l’OMC et s’est posée en véritable moteur du cycle de Doha (lancé en 2001).
En fait, lorsque l’on y prête attention, on s’aperçoit que les efforts de l’Europe au sein de négociations commerciales multilatérales ont été systématiquement frustrés.
L’Europe avait échoué une première fois à introduire un accord multilatéral sur les investissements dans le cadre de l’OCDE en 1998, puis à la Conférence Ministérielle de l’OMC à Cancún en 2003. Les négociations sur les marchés publics ont également échoué à Cancún, tandis que les efforts visant à ouvrir les marchés étrangers des services à des entreprises européennes sont restés bien en-deçà des attentes européennes. L’interdiction proposée par l’UE sur les taxes à l’exportation, taxes qui limitent l’accès des multinationales aux ressources naturelles des PVD, n’a même pas été retenue dans l’agenda des négociations. Et maintenant ce qui reste du rêve européen de Doha gît en lambeaux ; les pourparlers sont suspendus sans perspective de reprise.
Comment la vision de Mandelson a-t-elle pu se faire contrer de façon aussi spectaculaire ? Il y a à cela deux raisons principales : une extérieure et une intérieure.
La première est que les pays en développement ne sont plus disposés à se soumettre aussi facilement aux ambitions néocoloniales de la communauté des industriels européens. Des pays comme le Brésil, la Chine et l’Inde ont fait savoir sans ambiguïté qu’ils n’étaient pas disposés à se laisser manipuler dans des pourparlers commerciaux à l’échelle mondiale, et même certaines anciennes colonies africaines refusent d’accepter bien sagement les accords de partenariats économiques avec l’Europe (APE).
L’autre zone de résistance se situe en Europe même – et c’est là que se manifeste la seconde dimension de la vision de Mandelson. La tentative d’élargir l’accès au marché ouvert aux entreprises de l’UE via les négociations de l’OMC s’est heurtée à une résistance organisée au modèle néolibéral, et ceci en Europe même. En termes simples, l’UE n’a pas pu offrir à ses partenaires commerciaux l’ouverture des marchés que Mandelson voudrait tellement voir se matérialiser en Europe, et n’a donc pas pu exiger de leur part les concessions commerciales tant souhaitées par les entreprises européennes.
Ainsi, c’est sur le front intérieur que Mandelson veut redoubler ses efforts ; c’est là aussi que nous percevons le mieux la menace qu’il représente. Tous les groupes européens qui s’opposent au modèle du libre échange au nom de droits sociaux, de la défense de l’environnement ou du droit au développement doivent être jugulés en se concentrant sur la “compétitivité”, le nouveau nom de code pour l’agenda néolibéral. Tout qui se soucie d’agriculture soutenable, de droits des travailleurs, de changement climatique ou du modèle social européen est de facto un obstacle à la vision de Mandelson. Ces défenseurs d’un avenir solidaire sont une menace pour la capacité de l’Europe à se mesurer au Japon et aux États-Unis aujourd’hui et à l’Inde et la Chine demain.
L’illustration la plus claire de l’impact de cette politique sur l’Europe se trouve dans les plans élaborés par Mandelson pour éroder les standards et règlements européens. L’objectif de dérégulation est une partie clé de son agenda pour l’Europe, décrit par euphémisme comme “une approche ouverte et flexible à l’établissement de règles”. Minimiser les inconvénients pour l’industrie, même au risque de la santé publique, des droits des travailleurs et de l’environnement, telle est la clé de la vision mandelsonienne – et la menace la plus immédiate pour les citoyens.
Dans ses interventions récentes, Mandelson a fait comprendre ce qui n’était pas encore explicite dans la déclaration prospective : cette attaque contre le modèle social repose sur une “convergence régulatrice” avec les États-Unis. A la place du modèle européen proposant des critères sociaux élevés acquis grâce à la pression populaire et des luttes acharnées, Mandelson nous façonne l’avenir selon les lignes tracées par les États-Unis où les intérêts des grosses entreprises sont protégés et les besoins des gens refoulés. Et ceci pourquoi ? “Plus nos règles et nos pratiques seront cohérentes avec notre partenaire principal, mieux ce sera pour l’économie européenne.”
3. Défis pour la société civile et les syndicats en Europe
Il est facile de dégager les valeurs qui sous-tendent la nouvelle stratégie européenne. Jusqu’à présent un discours de promotion du développement avait caché des objectifs défendant résolument les entreprises privées. Désormais l’UE laisse clairement apparaître à quel point les directives et projets intérieurs élaborés par la Commission et soutenus par le Conseil des Ministres sont liés aux objectifs extérieurs de la Commission, et inversement.
A ce jour, les mesures commerciales ne figurent pas parmi les priorités de beaucoup de mouvements, syndicats et ONG en Europe. La plupart se sont concentrés sur des problèmes comme l’adoption de la directive sur les services (qui crée un marché unique des services en Europe), le processus pour une convention de l’UE et la précarité croissante des emplois en Europe.
Pourtant, aujourd’hui, différents groupes de la société civile européenne souhaitent entamer un débat afin de mieux comprendre les conséquences des mesures proposées par Mandelson. On trouve parmi eux des mouvements sociaux, des syndicats, des associations travaillant sur des thèmes comme l’agriculture, les droits des travailleurs, l’intérêt des consommateurs, le développement, l’environnement, les droits des femmes, la responsabilité des entreprises, le changement climatique, les droits des immigrés, la militarisation, etc.
Les politiques commerciales ne peuvent plus être traitées de façon parcellaire, sous un angle ou sous un autre. Il faut les comprendre dans le cadre de la façon dont l’UE impose son agenda néolibéral en Europe et ailleurs.
Pour le réseau Seattle to Brussels, les questions qu’il nous faut aborder sont les suivantes :
– Comprenons-nous la portée des mesures proposées ?
– Quelles sont les conséquences de la libéralisation du commerce sur le nombre et la qualité des emplois offerts non seulement dans les PVD mais aussi en Europe ?
– Quel est le rapport entre l’augmentation des flux migratoires et ces mesures commerciales ?
– Quel est le modèle de gouvernance proposé quand les entreprises d’Europe et d’ailleurs peuvent influencer les mesures prises en dehors de tout débat public ?
– Quel est le lien entre le changement climatique et les mesures commerciales ?
– Pourquoi les consommateurs ne bénéficient-ils pas du modèle proposé ?
– Quels sont les coûts sociaux, environnementaux et culturels de la course à davantage de compétitivité et de la poursuite effrénée de la croissance ?
Nous voudrions inviter toutes les forces progressistes en Europe et ailleurs dans le monde, tous nos amis dans des réseaux de paysans, d’ouvriers, de consommateurs, de femmes, de défense de l’environnement et des services publics, à nous rejoindre et à contribuer à notre analyse de la politique commerciale de l’UE et de ses attaques contre la majorité des populations et contre l’environnement.
Nous invitons ces forces à préparer un espace qui nous permette de lancer un débat à l’échelle européenne dès le printemps 2007 et voir comment nous pouvons combiner nos efforts pour faire pièce à ces objectifs et proposer des alternatives basées sur les droits humains, la solidarité et une activité économique soutenable.
N’hésitez pas à nous contacter !
Alexandra Strickner, astrickner iatp.org
Charly Poppe, charly.poppe foeeurope.org
Marc Maes, marc.maes@11.be
Notes
[i] http://ec.europa.eu/trade/issues/sectoral/competitiveness/global_europe_fr.htm
[ii] Conférence Churchill, Bureau Fédéral des Affaires Étrangères, Berlin, 18 septembre 2006,
http://europa.eu/rapid/pressReleasesAction.do?reference=SPEECH/06/507&type=HTML&aged=0&language=EN&guiLanguage=en
[iii] http://ec.europa.eu/trade/issues/bilateral/countries/china/global_europe_china_fr.htm
[iv] Corporate Power over EU Trade Policy : Good for business, bad for the world, Seattle to Brussels Network 2006, p. 38 ;
http://www.s2bnetwork.org/download/Corporate_power_over_EU_Trade_policy
[v] WWF Response to “EU Trading Partners” statement, 9 June 2006, Brussels