Antoine Larrache – Quelles sont les nouvelles ?
Andreu Coll – Puigdemont n’a pas clairement déclaré l’indépendance, il a demandé un dialogue et reporté l’indépendance de deux mois. Leur idée était de gagner du temps, d’impliquer les institutions européennes dans la négociation pour obtenir une espèce de pacte entre les élites, le Parti Populaire se disant prêt à une réforme institutionnelle. Rajoy a répondu, avec le soutien du PSOE, que si la Generalitat ne clarifie pas sa position d’ici jeudi, le gouvernement appliquera l’article 155, qui permet à Madrid de prendre le contrôle de la région.
Est-ce la Generalitat regrette d’avoir été aussi loin dans le conflit ?
Puigdemont a été soumis à une énorme pression : des entreprises ont déplacé leur siège de Catalogne, il y a eu un appel européen à ne pas aller à l’indépendance. Ils croyaient que l’indépendance se ferait par magie. Ils étaient également sous pression des organisations indépendantistes de masse et de la CUP, qui peut faire tomber le gouvernement à tout moment.
En quoi consisterait concrètement la mise en place de l’article 155 ?
Madrid peut prendre le contrôle de la Generalitat. Ils ne peuvent pas la dissoudre directement car une grande partie de l’administration publique en dépend. Leur solution serait de nommer un président qui soit lié directement au PP et au gouvernement central. Il existe une figure symbolique dans toutes les communautés autonomes, le délégué du gouvernement, qui pourrait être nommé président de la Generalitat.
La population ne laissera pas faire, non ?
Oui, ça risque d’être accompagné d’un Etat d’exception car les réactions peuvent être énormes. Ce lundi sont passés devant le juge à Madrid Jordi Sanchez de l’ANC, Jordi Cuixat d’Omnium et le chef de la police Josep Lluis Trapero, qui était accusé de sédition. En effet, le 20 septembre, le jour de l’arrestation des 14 hauts fonctionnaires de Catalogne, la police catalane a été accusé de ne pas avoir dispersé la foule et protégé la Guardia Civil. Un premier jugement a été prise ce lundi, Cuixat et Sanchez sont emprisonnés. Teresa Laplana, la numéro 2 de la police catalane, a dû payer plusieurs dizaines de milliers d’euros pour éviter la mise en détention provisoire.
La population est révoltée par cette procédure. Il y a des rassemblements mardi devant les lieux de travail à midi et devant les mairies le soir.
Le procureur serait aussi en train d’organiser une procédure de destitution de Puigdemont.
Où en sont les mobilisations ?
Il y a eu une assemblée des comités de défense du référendum (ou de la République, selon les endroits) avec deux cents personnes. Mais actuellement, la base qui a organisé le référendum du 3 octobre est démoralisée et désorientée par la politique de Puigdemont. Du côté des syndicats, il y a beaucoup d’attentisme.
Il y a d’énormes conflits énormes en même temps, entre Esquerra Republicana de Catalunya, la CUP et Puigdemont. Il est possible que la Generalitat appelle à des élections pour casser la dynamique populaire. Esquerra ne veut d’une coalition avec PDECAT, le parti de Puigdemont, car il l’a devancé dans les sondages.
Le gouvernement central peut-il être mis en difficulté par les affaires de corruption ?
Le PP est champion mondial de la corruption, mais le PP contrôle l’appareil d’Etat et la hiérarchie de la Justice – celle-ci est nommée par les partis de gouvernement. Il peut donc freiner les procès. De plus, le gouvernement central nomme le Procureur général de l’Etat, le chef hierarchique de tout le corps de procureurs.
Enfin, sa base électorale franquiste est très fidèle, avec 7 ou 8 millions de voix. Seuls les jeunes ont voté pour Ciudadanos, la droite moderne, moins corrompue.
Que font les militantEs d’Anticapitalistes et de Podemos ?
On met en place des mesures de défense contre la répression. Nous sommes très investis dans les CDR. Podemos s’oppose aux mesures répressives, exige un dialogue, mais ne s’engage pas actuellement dans la revendication d’une rupture avec le régime. Il faudrait attaquer le manque d’indépendance du système judiciaire, attaquer le rôle de la monarchie et rompre avec le PSOE, en Castille la Mancha.
Propos recueillis par Antoine Larrache
* Lundi 16 octobre 2017, mise à jour Lundi 16 octobre 2017, 22:14 :
https://npa2009.org/actualite/international/en-catalogne-les-tentatives-de-conciliation-arrivent-leur-limite
Catalogne : une sorte de « manif pour tous » contre l’indépendance
Nous avons réalisé un nouveau point avec Andreu Coll après la manifestation de dimanche à Barcelone. Ce qui l’emportait au lendemain, c’est la crainte de la pression réactionnaire et d’une répression sans précédent contre le mouvement.
Antoine Larrache – Quel est le sens politique de la manifestation ?
Andreu Coll – La manifestation de dimanche était terrible, il y avait 300 000 personnes. Une partie venait de l’extérieur de la Catalogne, mais la très grande majorité venait d’ici. C’est une très mauvaise nouvelle car cela renforce le bloc réactionnaire et prépare l’opinion publique pour les mesures répressives qui vont arriver cette semaine.
L’article 1551 n’est pas applicable sans mettre en place un système de répression exceptionnellement fort. Ils vont donc devoir appliquer l’article 116, ce qui veut dire l’état d’urgence, l’état d’exception ou de siège. Ils ont besoin du PSOE pour faire passer ça au parlement de Madrid.
Le deuxième est le plus probable, il nécessite une majorité absolue au Parlement de Madrid. Cela permettrait des arrestations de 10 jours avant de passer devant un juge, des écoutes, perquisitions de locaux et domiciles sans ordre de juges, la suspension des droits de manifestation, grève et, même, de réunion. L’État de siège reste très improbable parce qu’il nécessite une majorité des deux tiers au Parlement… mais il permettrait l’intervention de l’armée et des couvre feux.
Le discours du roi était sans doute adressé à eux pour les discipliner.
Tous les partis qui votent pour l’autodétermination ou l’indépendance vont être attaqués, d’abord les parlementaires et ensuite les directions des organisations. Ils risquent de faire comme en Euskadi, avec le prétexte de l’ETA, pour interdire les partis. Ça dépend de ce qui se passe demain.
Il n’y aura pas de vote, ce sera un discours de Puigdemont, qu’il va essayer de faire le plus mou possible, mais ce sera une déclaration d’indépendance quand même. Donc il est possible que l’État d’exception s’applique dès jeudi ou vendredi…
Quel était la composition de la manifestation de dimanche ?
A la manifestation, il y avait des « antinationalistes », des gens de centre gauche, mais aussi tous les partis fascistes. Il y a eu des incidents avec les fachos, qui ont essayé d’agresser des journalistes. Il y a eu des incidents aux métros, ils se sont arrêtés en bas des immeubles où il y avait des drapeaux, pour menacer les gens. Mais c’est caché par les médias officiels.
Le nombre de présents montre que la droite a peur – rappelons qu’après 68, la manifestation de la droite était énorme – mais aussi qu’il n’y a pas une majorité claire pour l’indépendance, beaucoup de gens manifestaient pour la première fois. Il existe un bloc réactionnaire en Catalogne, c’est clair.
Que va-t-il se passer demain pour modifier la situation ?
Pour l’instant il n’y a pas d’appel à la grève ce mardi, cela va dépendre des événements. Les syndicats sont divisés, il y avait beaucoup de membres du monde du travail à la manifestation de dimanche. Ça ressemblait un peu à la « manif pour tous », avec un mélange de droite dure, de droite mole et de gens dépolitisés, avec un niveau culturel très bas.
Puigdemont prendra la parole à la télévision, il sera bien obligé de dire quelque chose, de faire une proclamation solennelle. On est déjà occupé par les forces policières, donc la scission est une forme de suicide politique pour le gouvernement de la Generalitat : l’élite de la Guardia Civil contrôle déjà les ports, les aéroports, les infrastructures basiques… Il peut y avoir une montée hyper réactionnaire, face à une grève ou une manifestation forte.
Propos recueillis par Antoine Larrache
1. L’article 155 de la Constitution offre les pleins pouvoirs au gouvernement espagnol sur une communauté autonome, comme la Catalogne. L’article autorise en effet l’exécutif national à « prendre les mesures nécessaires pour la contraindre à respecter ces obligations ou pour protéger l’intérêt général ». Pour cela, le gouvernement « pourra donner des instructions à toutes les autorités des communautés autonomes ». Cet article peut être utilisé « si une communauté autonome ne remplit pas les obligations que la Constitution ou d’autres lois lui imposent ou si elle agit de façon à porter gravement atteinte à l’intérêt général de l’Espagne », selon le texte. En bref, l’article 155 permettrait au gouvernement de suspendre l’autonomie de la Catalogne, d’interdire aux dirigeants indépendantistes de continuer d’agir et de prendre contrôle des institutions locales, dont la police, les Mossos d’Esquadra. (France TV Info)
* Mardi 10 octobre 2017, mise à jour Mardi 10 octobre 2017, 00:15 :
https://npa2009.org/actualite/international/catalogne-une-sorte-de-manif-pour-tous-contre-lindependance