Rajoy va dévoiler son plan pour la Catalogne
Le président du gouvernement espagnol va présenter ce samedi les modalités de prise de contrôle temporaire de la région qui réclame son indépendance.
Le gouvernement espagnol a obtenu le soutien de l’opposition pour mettre la Catalogne sous tutelle et convoquer des élections en janvier afin de trouver une issue à la crise née des velléités d’indépendance de la plus riche région d’Espagne. Cette solution est possible en vertu de l’article 155 de la Constitution espagnole de 1978, qui n’a jamais été utilisé et permet à Madrid d’agir ainsi et de suspendre l’autonomie de la région. Les modalités de la prise de contrôle temporaire des institutions catalanes n’ont pas été détaillées. Mariano Rajoy, président du gouvernement, devrait les révéler samedi 21 octobre à l’issue d’un conseil des ministres extraordinaire. Il a affirmé à Bruxelles avoir « tout fait pour ne pas en arriver » là, accusant les séparatistes de ne pas lui avoir laissé le choix.
Le bras de fer politique entre Madrid et le pouvoir exécutif catalan dure depuis des semaines et l’organisation, jugée illégale par la Cour constitutionnelle, d’un référendum d’autodétermination en Catalogne le 1er octobre. Mariano Rajoy avait donné jusqu’à jeudi matin aux autorités catalanes pour renoncer clairement à une proclamation unilatérale d’indépendance sur la base de la victoire du « oui » au référendum. Ce qu’elles n’ont pas fait.
Consulter l’opposition avant de dissoudre
Soucieux de présenter une image consensuelle face à une crise sans précédent, il voulait obtenir l’accord du Parti socialiste (PSOE), principale formation de l’opposition, avant d’ordonner la dissolution du Parlement catalan. Il s’est en outre assuré du soutien des centristes de Ciudadanos.
Le numéro trois du parti conservateur au pouvoir, Fernando Martinez-Maillo, a insisté sur le fait que jusqu’à la dernière minute, il restait « une marge » pour éviter la mise sous tutelle de la Catalogne.
Mais en Catalogne, le ressentiment d’une partie de la population est fort, rendant une marche arrière de M. Puigdemont difficile. Les manifestations se succèdent presque quotidiennement.
Le Sénat, prochaine étape
Le Sénat devrait se prononcer vendredi prochain sur cette mesure de tutelle inédite, a dit une porte-parole de la chambre haute. Une commission spéciale doit être formée pour en débattre et se réunira probablement lundi.
Ensuite, Carles Puigdemont, président de l’exécutif catalan, sera autorisé à faire valoir ses arguments, par écrit ou en personne, et le Sénat, où les conservateurs du Parti populaire (au pouvoir) sont majoritaires, se réunira en séance plénière.
Possibilité d’élections anticipées
Gouvernement et socialistes ont confirmé qu’en tête des priorités figurait l’organisation d’élections en Catalogne, en principe une compétence du président régional, qui serait alors reprise par l’Etat.
Ce calendrier a été fourni par la socialiste Carmen Salvo. Interrogée sur l’antenne de la chaîne de télévision publique TVE, elle a déclaré que la tenue d’élections anticipées en janvier faisait partie des mesures envisagées par Madrid.
Ce que le porte-parole du gouvernement, Inigo Mendez de Vigo, n’a pas démenti. « L’issue logique de ce processus serait la tenue d’élections, organisées conformément à la loi », a-t-il dit lors de son briefing hebdomadaire.
Ces élections anticipées pour renouveler le parlement régional – dominé depuis septembre 2015 par les indépendantistes qui avaient obtenu 47,8 % des suffrages – permettraient de laisser les Catalans s’exprimer.
Le roi soutient l’unité espagnole
Participant à une cérémonie dans la région des Asturies, dans le nord-ouest du pays, le roi Felipe a réaffirmé son attachement à l’unité de l’Espagne dont, a-t-il dit, « la Catalogne est et restera une partie essentielle ». « L’Espagne doit s’opposer à une tentative inacceptable de sécession sur son territoire national qui sera réglée dans le cadre des institutions démocratiques légitimes », a dit le souverain qui avait déjà vivement critiqué le président catalan lors d’une intervention télévisée.
L’Union européenne observe
L’Union européenne juge la situation en Espagne préoccupante mais elle n’a aucune intention d’entrer dans une médiation entre Madrid et Barcelone.
S’exprimant en marge d’un Conseil européen à Bruxelles, auquel Mariano Rajoy participait, la chancelière allemande, Angela Merkel, et le président français, Emmanuel Macron, ont toutefois tous deux exprimé leur soutien à Madrid.
AFP et Reuters
* Le Monde.fr | 21.10.2017 à 03h06 • Mis à jour le 21.10.2017 à 07h27 :
http://www.lemonde.fr/europe/article/2017/10/21/catalogne-rajoy-va-devoiler-son-plan_5204034_3214.html
La Catalogne vers une mise sous tutelle
Madrid devrait décider, samedi, des modalités de la prise de contrôle des institutions catalanes, voire l’organisation d’élections en Catalogne en janvier.
L’affrontement entre Madrid et Barcelone franchit une nouvelle étape et les espoirs d’une marche arrière, qui permettrait d’éviter un choc annoncé depuis des mois, sont de plus en plus minces, après l’organisation d’un référendum illégal sur l’indépendance de la région, le 1er octobre. Jeudi 19 octobre, à la requête formelle du gouvernement espagnol de « restaurer l’ordre constitutionnel » en Catalogne, le président de la Généralité, Carles Puigdemont, a répondu par la menace de « voter la déclaration formelle d’indépendance » si « le gouvernement de l’Etat persiste à empêcher le dialogue et à continuer la répression ».
Après avoir « constaté le refus du président de la Généralité de Catalogne de répondre à la mise en demeure », le gouvernement espagnol « continuera la procédure prévue dans l’article 155 de la Constitution pour rétablir la légalité dans l’autonomie de la Catalogne », a rapidement répondu la Moncloa, le siège de l’exécutif. Un conseil des ministres extraordinaire a été convoqué samedi 21 octobre, afin de mettre noir sur blanc les mesures que Madrid entend prendre pour « protéger l’intérêt général des Espagnols, parmi eux les citoyens de Catalogne ».
L’article 155 de la Constitution n’a jamais été utilisé. Le législateur n’en a guère développé le contenu, ce qui le rend flou et sujet à interprétations mais peut permettre une ample application. Il stipule simplement que « si une région autonome ne respecte pas les obligations que la Constitution ou d’autres lois lui imposent, ou agit de manière à porter atteinte gravement à l’intérêt général de l’Espagne », le gouvernement, « avec l’approbation de la majorité absolue du Sénat, pourra adopter les mesures nécessaires pour la contraindre au respect de ces obligations ou à la protection de l’intérêt général mentionné ».
« Obtenir l’obéissance »
Avant sa mise en œuvre, plusieurs étapes doivent être franchies. La mise en demeure du président catalan l’enjoignant de rétablir la légalité était la première. La suivante, samedi, consiste à détailler en conseil des ministres ce que Madrid entend faire pour forcer le gouvernement catalan à renoncer à ses plans sécessionnistes. La Commission générale des régions autonomes, ou une commission mixte constituée pour l’occasion, devrait par la suite rédiger un rapport, auquel M. Puigdemont pourra répondre en personne ou par écrit. Le texte serait ensuite soumis au vote du Sénat, où le Parti populaire (PP, droite) dispose d’une majorité absolue qui lui garantirait son approbation. Le PP a aussi le soutien des autres partis dits « constitutionnalistes » – Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) et Ciudadanos (centre) –, ce qui lui permettrait de présenter son action comme une réponse d’Etat, consensuelle, à la crise catalane.
Les délais envisagés par le Sénat reporteraient ainsi l’application de l’article 155 autour du 30 octobre. Mais le gouvernement peut prendre son temps pour explorer une autre porte de sortie, moins radicale, à la crise institutionnelle.
« L’article 155 est davantage prévu pour des différends mineurs avec des régions, explique Javier Tajadura, professeur de droit constitutionnel à l’université du Pays basque (UPV). Il n’est pas prévu pour forcer la convocation d’élections, comme le demande Ciudadanos, car son rôle doit être le rétablissement de l’ordre constitutionnel, ce que ne garantissent pas des élections. Il peut servir à prendre le contrôle du ministère catalan de l’économie, en réponse à l’usage de fonds publics pour l’organisation du référendum illégal, ou encore des Mossos d’Esquadra [la police catalane] dont le chef est mis en examen pour sédition. »
Cet article, précise-t-il, « n’est pas le plus adapté pour l’insurrection en cours en Catalogne » : « L’outil adéquat aurait été l’application de l’état d’urgence ou de l’état de siège car les autorités catalanes ne respectent plus la loi. Elles ignorent les décisions du Tribunal constitutionnel. Le véritable problème à régler, c’est comment obtenir l’obéissance. »
« Actions directes pacifiques »
La question de la capacité de l’Etat à faire respecter la Constitution en Catalogne fait l’objet de débats en Espagne depuis plusieurs mois. L’échec du gouvernement à empêcher le vote sur l’indépendance du 1er octobre a fait monter les pressions sur M. Rajoy, à qui l’aile dure de son électorat demande davantage de fermeté. L’ex-président conservateur du gouvernement espagnol, José Maria Aznar, a ainsi pris pour cible l’actuel gouvernement en assurant, jeudi, que « les sécessionnistes comprennent les silences comme des symptômes de faiblesse ».
Or, les conséquences de l’activation de l’article 155 pourraient être plus compliquées à gérer que le référendum contesté. Les organisations indépendantistes sont en effet prêtes à « défendre les institutions », ce qui pourrait se traduire par des occupations des différents ministères catalans ou du Parlement régional.
La Table pour la démocratie, une plate-forme qui regroupe les deux puissantes organisations indépendantistes Assemblée nationale catalane (ANC) et Omnium Cultural – mais aussi de nombreuses organisations culturelles et les principaux syndicats –, a d’ores et déjà convoqué samedi 21 octobre, à Barcelone, une grande manifestation contre la détention préventive pour sédition des présidents de ces deux associations, Jordi Sanchez et Jordi Cuixart, le 16 octobre.
Auparavant, l’ANC et Omnium ont lancé la première des « actions directes pacifiques » qu’elles avaient annoncées en début de semaine, dans le cadre d’une « mobilisation permanente ». Elles ont invité leurs centaines de milliers de sympathisants à retirer de l’argent des cinq principales banques espagnoles, vendredi 20 octobre, « de préférence entre 8 et 9 heures ». La veille, le vice-président de l’ANC, Agusti Alcoberro, avait avancé lors d’un entretien avec le journal Ara la « possibilité de mener des actions qui affectent le grand capital, l’Ibex-35 [le principal indice boursier espagnol] et la stabilité de l’euro », de façon à « montrer que la douleur des Catalans a un prix ».
Sandrine Morel (Barcelone, envoyée spéciale)
* LE MONDE | 20.10.2017 à 10h50 • Mis à jour le 20.10.2017 à 11h09 :
http://www.lemonde.fr/europe/article/2017/10/20/la-catalogne-vers-une-mise-sous-tutelle_5203640_3214.html#BtTF36lgodVa8L2f.99
A Barcelone, « on a hâte que tout ça se termine »
Après trois semaines de crise, la lassitude se fait sentir chez certains habitants de la capitale catalane. Les indépendantistes, eux, ne désarment pas.
Lorsque 10 heures ont sonné ce matin du 19 octobre, et avec elles la fin de l’ultimatum fixé par Madrid au leader indépendantiste catalan, Carles Puigdemont, José Perez a une fois de plus soupiré en fixant la télévision dans son bar-restaurant du centre historique de Barcelone. Le taulier n’a prêté qu’une oreille distraite aux informations qui ont continué de défiler à l’écran – la lettre de Puigdemont, la réponse de Mariano Rajoy, l’inquiétude de l’Union européenne et des milieux économiques… –, comme tous les jours depuis maintenant près de trois semaines.
Car il n’en peut plus de ce « jeu de poker menteur ». Et il n’est pas le seul. « Les gens en ont marre qu’on ne parle plus que de ça », déplore-t-il, accoudé à une table en formica, chemisette noire floquée du nom de son bar et torchon pendu à sa poche.
Ni indépendantiste ni « anti », lui se situe « entre les deux ». Né à Grenade, en Andalousie, il y a cinquante-sept ans, arrivé à Barcelone en 1967 « en plein franquisme », il se sent Espagnol de naissance et Catalan d’adoption. Et ne voit pas pourquoi il devrait choisir. « Mes deux enfants sont catalans, toute ma vie est ici », souligne-t-il, regard las. Il n’a pas voulu voter au référendum le 1er octobre, il l’aurait fait si celui-ci avait été légal, et que la question avait été « plus ouverte ». Lui souhaite que la Catalogne demeure dans l’Espagne, mais qu’elle obtienne plus d’indépendance d’un point de vue économique.
Ce « déchirement », il ne l’a pas vu venir. Ni dans la société ni jusque dans son bar. Petit à petit, l’ambiance chaleureuse et familiale a laissé place au « repli ». « Maintenant, même les habitués mangent et puis s’en vont, pour éviter les discussions qui fâchent, déplore José Perez. Si tu t’occupes d’un client qui est indépendantiste, t’en as forcément un autre en face qui n’est pas d’accord et se crispe. » « Et à la fin, c’est nous qui payons l’addition ! », grince sa femme en passant.
Depuis vingt-six ans qu’il tient son bar, il n’avait « jamais connu ça ». Comment aurait-il pu imaginer « qu’on en arriverait un jour à une telle fracture » ? Il en veut aux politiques d’avoir « joué avec le feu », et à certains médias d’avoir « manipulé l’opinion publique », dit-il. « Ils ont fait monter la pression dans les deux camps, sauf que maintenant ils sont pris à leur propre piège, ajoute-t-il. Jusqu’à présent la majorité des gens étaient comme moi, partagés. Mais maintenant l’intransigeance de Madrid est en train de braquer beaucoup de monde. » Si le bras de fer se poursuit, et si Madrid applique effectivement l’article 155 de la Constitution, il ne cache pas sa crainte qu’on « en arrive à des affrontements dans la rue ».
Barcelone en suspens
Pour l’heure, les rues de Barcelone demeurent étrangement calmes, jeudi 19 octobre, comme suspendues à l’attente d’un dénouement qui n’aura finalement toujours pas lieu. Une pluie battante et ininterrompue mouille les pavés, rendant les places quasi désertes. « Comme si la météo accompagnait notre humeur… », remarquent certains. Aux balcons, drapeaux catalans et espagnols détrempés continuent de se toiser.
Ce matin, trois badauds favorables à l’unité de l’Espagne manifestent sur la place Sant Jaume où siège le gouvernement catalan pour demander sa démission, sans presque personne pour les regarder.
Il faut pousser la porte des cafés pour comprendre que, derrière le calme apparent, la situation est sur toutes les lèvres, dans les groupes de collègues et d’amis, à la « une » des journaux ouverts sur les comptoirs…
Au campus de l’université Pompeu Fabra, dans le quartier populaire Pueblo Nuevo, des étudiants, des enseignants et des personnalités politiques favorables à l’indépendance sont venus serrer les rangs. Dans un auditorium plein à craquer, ils appellent à déclarer sans plus tarder la République catalane, et demandent la libération des deux présidents d’organisations indépendantistes qui ont été incarcérés lundi. Les visages sont graves lors de la minute de silence et de l’hymne catalan, Els Segadors (« Les Faucheurs »), entonné le poing levé.
Etudiante en journalisme au visage juvénile, Laura Cercos, 19 ans, est partagée entre « l’excitation de vivre un moment historique » et « inquiète » face à une situation des plus incertaines. Ce matin, elle a immédiatement écrit à sa mère pour lui demander si elle avait la lettre de Puigdemont à Rajoy. Sur son portable, elle montre les nombreux messages qu’elles se sont envoyés.
« Plus qu’une question de temps »
Médecin de 63 ans, Odette Viñas est elle aussi suspendue à son téléphone depuis ce matin pour voir comment évolue la situation, envoyer des articles, suivre les appels à la mobilisation qui s’organisent au jour le jour sur les réseaux sociaux… « On ne parle que de ça », dit cette Catalane qui n’a raté aucune manifestation pour défendre l’indépendance. Elle montre son téléphone : 52 messages Whatsapp non lus, en l’espace de deux heures.
Jeudi soir, elle fait partie des quelque 200 manifestants qui ont bravé les trombes de pluie pour venir se réunir devant le siège de la délégation du gouvernement espagnol, aux cris de « Dehors les forces d’occupation ! » et « Indé-Indé-Indépendance ! ». Un rassemblement à l’appel des comités de défense pour la République, plate-forme de volontaires et de militants indépendantistes soutenue notamment par la Candidature d’unité populaire (CUP), parti d’extrême gauche allié de Puigdemont.
Qu’importe leur petit nombre ce soir. Pas question pour eux de baisser les bras, « surtout pas maintenant », insiste Odette Viñas, les cheveux et l’anorak trempés. Bien sûr qu’elle aurait préféré « une nouvelle plus réjouissante » ce matin, comme l’annonce de la mise en place effective de l’indépendance, qu’elle n’en peut plus d’attendre. Il lui tarde, aussi, de retrouver le sommeil qu’elle a perdu depuis la semaine qui a précédé le référendum du 1er octobre – « c’est tellement de stress chaque jour ». Aujourd’hui, l’espoir le dispute à l’inquiétude : « On n’a aucune idée de comment ça va évoluer », reconnaît-elle.
Mais celle qui milite pour l’indépendance de sa région depuis 2009 veut croire que ce n’est « plus qu’une question de temps ». Que Puigdemont sait ce qu’il fait, « qu’il joue la montre pour que Madrid montre son vrai visage ». Mais qu’il finira par proclamer l’indépendance ces jours prochains. « On ne va pas lâcher maintenant alors que c’est le combat d’une vie, et même de plusieurs générations », insiste-t-elle en évoquant son arrière-grand-père, anarchiste catalan qui défendait déjà le droit à l’autodétermination. Samedi, elle battra à nouveau le pavé lors d’une grande manifestation appelée par les organisations indépendantistes, qu’elle espère aussi importante que les précédentes pour faire face à Madrid.
Derrière son bar, José Perez, lui, n’attend qu’une chose : « Que tout ça se termine. Et vite. Qu’on puisse retourner à notre travail, retrouver notre tranquillité. » Avant qu’il soit « trop tard ».
Camille Bordenet (Barcelone, envoyée spéciale)
* LE MONDE | 20.10.2017 à 07h04 • Mis à jour le 20.10.2017 à 11h20 :
http://www.lemonde.fr/europe/article/2017/10/20/catalogne-a-barcelone-on-a-hate-que-tout-ca-se-termine_5203571_3214.html
Puigdemont ne clarifie pas sa position malgré l’expiration de l’ultimatum de Madrid
Le gouvernement espagnol estime qu’il n’a pas eu de réponse à sa demande sur l’indépendance de la Catalogne et compte poursuivre la suspension de l’autonomie de la région.
Le président de la Catalogne, Carles Puigdemont, avait jusqu’à 10 heures, jeudi 19 octobre, pour répondre à la mise en demeure du gouvernement espagnol qui lui a demandé de clarifier s’il a ou non déclaré unilatéralement l’indépendance et, le cas échéant, de la révoquer, sous peine d’activer l’article 155 de la Constitution. Celui-ci permet la mise sous tutelle d’une région qui met en danger « l’intérêt général ».
Sa réponse est arrivée à 9 h 50. Dans une courte lettre, M. Puigdemont estime que c’est « le peuple de Catalogne qui, le 1er octobre, a décidé l’indépendance », en référence au référendum contesté organisé par la Généralité, le gouvernement catalan. Il laisse entendre qu’il n’a pas déclaré l’indépendance lors de la séance du Parlement régional du 10 octobre, en disant simplement qu’il a « laissé en suspens les effets de ce mandat populaire ». Il conclut :
« Si le gouvernement de l’Etat persiste à empêcher le dialogue et à continuer la répression, le Parlement de Catalogne pourra procéder, s’il l’estime opportun, au vote de la déclaration formelle d’indépendance, ce qu’il n’a pas fait le 10 octobre ».
L’article 155 enclenché samedi
Ce courrier ambigu n’est pas la réponse – oui ou non – que le gouvernement espagnol attendait. Reste à savoir, dans cette guerre des nerfs entre Madrid et Barcelone, où chacun cherche à la fois à gagner du temps et à se dédouaner des responsabilités de l’application de l’article 155, quels seront les prochains mouvements. « L’Etat de droit ne peut pas accepter de chantages », a réagi le chef de file de Ciudadanos, Albert Rivera. De son côté, le gouvernement estime qu’il n’a pas eu de réponse à sa demande et compte poursuivre l’application de l’article 155. Un conseil des ministres extraordinaire doit avoir lieu samedi pour enclencher ce processus.
Après avoir tenu une réunion avec le secrétaire général du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE), Pedro Sanchez, le chef de l’exécutif, Mariano Rajoy, a convoqué, mercredi après-midi, Albert Rivera au palais de la Moncloa, le siège du gouvernement. Les trois partis « constitutionnalistes » ont ouvert un canal de communication permanent pour préparer une réponse commune.
Le ministre des affaires étrangères, Alfonso Dastis, a annulé son voyage en Ukraine pour revenir en urgence à Madrid « du fait de l’expiration du délai donné au président Puigdemont », tandis qu’au Parlement la vice-présidente du gouvernement, Soraya Saenz de Santamaria, lançait mercredi un dernier avertissement à la Généralité. « Si la mise en demeure n’a pas de réponse, M. Puigdemont déclenchera l’application de l’article 155 », avait-t-elle déclaré à la Chambre basse. Et de préciser que les objectifs seront de « rétablir le statut d’autonomie, garantir les droits de tous les Catalans, tranquilliser tous les citoyens de Catalogne (…) et préserver la reprise économique, parce que la politique de certains dirigeants conduit la Catalogne au bord de la récession ».
En fin de soirée, les indépendantistes ont lancé leurs propres mises en garde. Si l’article 155 est appliqué, « la suspension de la déclaration de l’indépendance sera levée », a ainsi répondu, dans la soirée, Marta Pascal, porte-parole du PDeCAT, la formation de M. Puigdemont.
« Victimisme »
Le président du gouvernement espagnol, Mariano Rajoy, a cherché jusque-là à éviter et à retarder au maximum l’application de mesures exceptionnelles en Catalogne, malgré les pressions de l’aile dure de sa formation, le Parti populaire (PP, droite), et de Ciudadanos. La crainte est que la prise de contrôle de ministères et des compétences régionales par l’Etat ne déclenche une réaction de grande ampleur de la rue.
« Ceux qui désirent le plus que soit appliqué l’article 155, ce sont les membres les plus radicaux du gouvernement de la Généralité, la CUP [Candidature d’unité populaire, extrême gauche révolutionnaire] et [les associations indépendantistes] l’ANC [Assemblée nationale catalane], et Omnium Cultural, explique au Monde le délégué du gouvernement espagnol en Catalogne, Enric Millo. Ils ont besoin, pour nourrir le victimisme, que soient prises des décisions extraordinaires qu’ils espèrent montrer au monde comme une réponse disproportionnée. C’est pourquoi, si nous devons appliquer cet article, nous le ferons avec intelligence, sérénité, proportionnalité et prudence. »
Le 18 octobre, le gouvernement a expliqué aux journalistes que si la Généralité convoquait des élections régionales anticipées, la mise sous tutelle de la région serait suspendue, offrant ainsi une voie de sortie à M. Puigdemont. Or la procédure parlementaire de l’article 155 est suffisamment longue pour que cette issue à la crise catalane reste sur la table durant plusieurs jours, voire semaines.
Cependant, la réponse de la Gauche républicaine de Catalogne (ERC), partenaire de gouvernement de M. Puigdemont n’a pas tardé : « Des élections régionales seraient une trahison du mandat de l’indépendance. » La possibilité de convoquer des élections constituantes fait en revanche partie du programme des indépendantistes. Mais celles-ci sont prévues une fois la République catalane instituée formellement et la loi de transition, votée en septembre, appliquée, de façon à être organisées sans contrôle de Madrid ni des organes de surveillance électoraux espagnols. Ce qui serait inacceptable pour Madrid.
La question est aussi de savoir combien de temps peut encore durer l’incertitude sans provoquer des conséquences graves sur l’économie espagnole. La Société civile catalane (SCC), la principale association anti-indépendance, a assuré mercredi qu’elle entend organiser des « mobilisations civiques d’envergure » si l’indépendance est formellement déclarée.
« Actions directes pacifiques »
En face, les deux puissantes associations ANC et Omnium Cultural, dont les dirigeants, accusés de « sédition » ont été envoyés en prison lundi 16 octobre, ont annoncé la multiplication d’« actions directes pacifiques » visant à « démontrer la force de la citoyenneté », tout en maintenant un caractère « pacifique, démocratique et civique ».
« M. Puigdemont ne veut pas mettre par écrit qu’il n’y a pas eu de déclaration unilatérale d’indépendance et pourtant, cela suffirait pour remettre les choses à plat, assure Enric Millo. Il ne serait plus nécessaire de recourir à l’article 155. Ce serait une opportunité pour trouver une solution négociée, participer à la commission parlementaire de modernisation du système d’autonomie, qui a été agréé avec le Parti socialiste, aborder la question du financement régional. Parfois un retrait à temps est une grande victoire, car le contraire peut être un suicide politique. »
Sandrine Morel (Madrid, correspondance)
* LE MONDE | 19.10.2017 à 07h59 • Mis à jour le 19.10.2017 à 11h30 :
http://www.lemonde.fr/europe/article/2017/10/19/catalogne-l-ultimatum-de-madrid-aux-independantistes-expire-ce-matin_5203073_3214.html#7ZVddB5h8QRz1af1.99
Manifestation en Catalogne : « Il s’agit de défendre notre liberté »
L’arrestation de deux leaders catalans remobilise le camp indépendantiste. Près de 200 000 personnes se sont rassemblées mardi dans le centre de Barcelone.
Des milliers de catalans sont venus protester sur l’avenue Diagonal de Barcelone, le 17 octobre, contre la détention des « deux Jordis » par la justice espagnole.
Lorsqu’elle est partie de chez elle pour aller travailler, mardi 17 octobre, Laia, Barcelonaise de 35 ans, employée d’une multinationale, a glissé une bougie dans son sac à main. Celle qu’elle a brandie au rassemblement organisé le soir même en soutien aux deux leaders indépendantistes incarcérés la veille, les présidents des associations Assemblée nationale catalane (ANC), Jordi Sanchez, et Omnium Cultural, Jordi Cuixart. « Il ne s’agit plus seulement de défendre l’indépendance, mais de défendre notre liberté », dit la jeune femme aux grands yeux bleus, au milieu de la foule dense rassemblée place Juan-Carlos-Ier à Barcelone :
« On a mis en prison deux personnes qui représentent la voix du peuple. »
C’est justement aussi pour « montrer au monde entier ce qu’on vit ici » qu’elle a tenu à venir ce soir.
Les indépendantistes étaient sonnés par la suspension de l’indépendance à peine proclamée par Carles Puigdemont, le 10 octobre. Après plusieurs jours de calme, le placement en détention préventive de « los Jordis », mis en examen pour « sédition » par l’Audience nationale, le haut tribunal espagnol chargé notamment des affaires de terrorisme et de crime organisé, a provoqué chez eux un sursaut. Près de 200 000 personnes se sont rassemblées dans le centre de Barcelone, selon la police municipale, avec bougies et pancartes demandant la « liberté immédiate » des dirigeants séparatistes. Sur l’estrade, place Juan-Carlos-Ier, les vice-présidents de l’ANC et d’Omnium Cultural, qui ont pris leur relève, les qualifient de « prisonniers politiques et [d’]otages du royaume d’Espagne ».
Aller jusqu’au bout
Moins nombreux que lors des précédentes manifestations, comme celle organisée le jour de la grève générale, le 3 octobre, où l’affluence avait été estimée à 700 000 personnes par la police municipale, les manifestants présents semblaient en revanche plus décidés à aller jusqu’au bout. Quitte à sortir de l’Union européenne. « Nous ne voulons plus de l’Europe si elle ne nous aide pas : c’est la même qui nous a abandonnés en 1936 », au début de la guerre civile, dit ainsi José Maria Martinez, retraité de 65 ans. Quitte, aussi, à affronter la police espagnole.
« Notre seule possibilité est de gagner la “bataille de la narration”, pour obtenir le soutien de la communauté internationale, affirme José Maria Bosch, responsable de marketing pour une plate-forme d’art contemporain, âgé de 62 ans. Nous sommes une colonie. Et je sais que le pouvoir ne s’abandonne jamais sans violence. Donc je suis prêt à la subir », explique-t-il sans ciller :
« Certains sont ici pour des raisons culturelles, d’autres pour une question économique, mais, pour ma part, ce qui me motive, c’est la possibilité de construire un nouveau pays, une république, lavée de toute corruption, plus juste et démocratique. Et je suis prêt à tout pour défendre cet idéal. »
« Il faut mettre en évidence, face à l’Europe, le fait que l’Espagne est un pays antidémocratique », assure, quant à lui, Joan Rosell, électricien de 34 ans. Il s’interrompt pour cinq minutes de recueillement, jusqu’à ce qu’un cri retentisse : « Visca Catalunya lliure ! » (« Vive la Catalogne libre ! ») Les manifestants y répondent en chœur : « Visca ! »
Dans la journée, le porte-parole du gouvernement catalan, Jordi Turull, a été clair :
« La reddition ne fait pas partie des plans de ce gouvernement [régional]. »
La députée de la Candidature d’unité populaire (CUP), Mireia Boya, a avancé que « des discussions sont en cours » entre sa formation d’extrême gauche révolutionnaire et la coalition au pouvoir, Ensemble pour le oui (Junts pel Si), et que la proclamation aurait lieu « dans les prochains jours », avant que l’article 155 de la Constitution, qui permet la mise sous tutelle de la région, n’entre en vigueur.
« Aujourd’hui, la question qu’on se pose surtout, c’est : mais où est l’Europe ? On se sent complètement abandonnés », explique Maite, psychologue, drapée dans son estelada (« l’étoilée », le drapeau des indépendantistes), une pancarte réclamant la liberté des « prisonniers politiques » à la main. Son mari, Xavier, demande qu’on leur « permette d’organiser un nouveau référendum, légal ».
Suspendue par le Tribunal constitutionnel, la loi de référendum catalane a été annulée définitivement plus tôt dans la journée, à l’unanimité. Selon l’arrêt, très sévère, en approuvant cette loi, le Parlement « s’est placé complètement en marge du droit, est entré dans une inacceptable voie de fait » et a laissé les citoyens « à la merci d’un pouvoir qui dit ne reconnaître aucune limite ».
Avant 22 heures, tandis que la foule se disperse dans le calme, certains font durer le recueillement. Place de Catalogne, Marta Millan, institutrice de 31 ans, dépose sa bougie parmi les autres, qui forment des cercles au sol au-dessus des affiches « Help Catalonia », « Save Europe », « Libertat Jordi ». La fin de soirée a des airs de veillée d’armes.
Sandrine Morel et Camille Bordenet (Barcelone, envoyées spéciales)
* LE MONDE | 18.10.2017 à 09h55 • Mis à jour le 18.10.2017 à 11h41 :
http://www.lemonde.fr/europe/article/2017/10/18/manifestation-en-catalogne-il-s-agit-de-defendre-notre-liberte_5202485_3214.html
Les entreprises catalanes craignent d’être boycottées
Sur les réseaux sociaux, des campagnes appelant à éviter les produits catalans et proposant des alternatives « espagnoles » se multiplient.
Les consommateurs espagnols ont-ils commencé à boycotter les entreprises catalanes ? Difficile à dire et impossible à chiffrer. Mais sur les réseaux sociaux, des campagnes appelant à éviter les produits catalans et proposant des alternatives « espagnoles » se multiplient. Reste à savoir si les consignes sont vraiment suivies.
Le secteur agroalimentaire, l’un des piliers de l’économie catalane, pourrait être l’un des plus touchés, car il est le plus immédiatement accessible aux réactions épidermiques de ceux qui veulent protester contre les velléités indépendantistes de Barcelone.
Cibles de ces attaques, des sociétés comme Idilia Foods, laquelle fabrique des grands classiques du petit-déjeuner espagnol, comme le cacao en poudre Cola Cao ou la pâte à tartiner Nocilla, et qui déménage à Valence, ou Casa Tarradellas, un géant de la pizza grande surface qui, pour l’instant, reste à Gurb, au nord de Barcelone. L’entreprise familiale de pâtes alimentaires Pastas Gallo, fondée en 1946, va déménager son siège social près de Cordoue (Andalousie) où elle possède déjà une usine.
Produit emblématique, le cava, vin mousseux produit en Catalogne, craint aussi les retombées de l’affrontement entre Barcelone et Madrid. Codorniu, l’un de ses grands producteurs et l’un des plus anciens de Catalogne, vient d’annoncer le transfert de son siège social à Haro, dans la communauté autonome de La Rioja (nord de l’Espagne). « Il est incompréhensible que les entreprises catalanes aient à payer le prix de la situation politique et soient mises sous pression », a déclaré sa PDG, Maria del Mar Raventos. Dans un communiqué, Codorniu s’est plaint des « commentaires que nous n’avons jamais faits, mais qui nous ont été attribués, et qui ont terni notre image » et qui l’accusaient d’être proche des indépendantistes.
« Bon pour personne »
Freixenet, l’autre grand du secteur, soupèse lui aussi son départ. José Luis Bonet, son président, qui est également le président de la Chambre de commerce espagnole, soumettra à son conseil d’administration une proposition de transfert du siège de la société hors de Catalogne. Il a reconnu qu’il y avait des « réactions » parmi les consommateurs, « une nouvelle démonstration de l’anomalie dans laquelle se trouve en ce moment la Catalogne », mais elles n’auraient pas affecté ses ventes.
Les attaques ont parfois été plus directes. Xavier Gabriel, fondateur de la Bruixa d’Or (« la sorcière d’or »), le leader en Espagne de la vente de billets de loterie sur Internet, a décidé de quitter le petit village pyrénéen de Sort (dans la province catalane de Lérida) et de transférer son siège social dans la région de Navarre, après une campagne d’injures sur Twitter, qui l’avait accusé entre autres d’être le père d’une députée de la Candidature d’unité populaire (CUP), la formation indépendantiste radicale qui demande la sécession immédiate de l’Espagne. « J’aime la Catalogne, je me sens espagnole. Je ne suis pas favorable à l’indépendance », a dû répondre la « sorcière », toujours sur Twitter.
« C’est arrivé chaque fois qu’il y a eu un conflit entre la Catalogne et le gouvernement [de Madrid], et ça recommence, a déclaré, résigné, Jordi Mora, président de la fédération des PME de Majorque. Cette fois, on ne sait pas combien de temps ça peut durer. »
Les producteurs des autres régions sont inquiets et rappellent que boycotter les produits catalans peut avoir des conséquences graves pour l’économie espagnole. « Nous pouvons comprendre l’indignation des gens, mais le boycottage n’est bon pour personne », déclarait, au quotidien régional Hoy, Javier Peinado, secrétaire général de la Fédération des entreprises d’Estrémadure. « Cela va finir par nuire à tout le monde », soulignait-il en rappelant que les pizzas de Casa Tarradellas se font avec de la sauce tomate produite dans sa région.
Depuis le référendum du 1er octobre, pas moins de 691 entreprises ont transféré leur siège social hors de Catalogne en raison de la crise politique, selon le dernier décompte du registre du commerce catalan. La tendance s’est accélérée après le discours ambigu du président Carles Puigdemont, le 10 octobre, qui annonçait l’indépendance avant de la suspendre. Dernier en date à annoncer son départ, le géant de l’édition hispanophone, Planeta, qui installe son siège social à Madrid.
Il ne reste plus, en Catalogne, qu’un seul groupe – la société pharmaceutique Grifols – coté à l’Ibex 35, l’indice des valeurs vedettes de la Bourse de Madrid, contre sept avant le scrutin.
Dans ce climat de grande incertitude, le gouvernement espagnol s’attend à un léger ralentissement de la demande intérieure. Dans un document envoyé à Bruxelles, mardi 17 octobre, il a abaissé à 2,3 %, contre 2,6 % précédemment, sa prévision de croissance du PIB pour 2018.
Les déclarations des membres de l’exécutif sont on ne peut moins rassurantes. Le ministre de l’économie, Luis de Guindos, a de nouveau parlé, jeudi 19 octobre, lors d’une séance au Parlement, du « suicide économique » de la Catalogne si elle déclarait l’indépendance.
Isabelle Piquer (Madrid, correspondance)
* LE MONDE | 20.10.2017 à 10h49 • Mis à jour le 20.10.2017 à 15h01 :
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