Chronique. Diriez-vous que vous êtes plutôt « pour les OGM » ? Ou plutôt que vous êtes « contre les OGM » ? Une grande majorité des Français – et très probablement des Européens – appartiennent à cette seconde catégorie. Les plantes génétiquement modifiées, ce serait le mal. Ce serait intrinsèquement mauvais.
Aucun débat de société impliquant une matière première scientifique n’a été plus mal posé que celui des cultures transgéniques. Sur ce sujet, les opinions se forgent en fonction d’une technique – la transgénèse ou toute autre méthode d’ingénierie du vivant – et non en fonction de toute la variété d’objectifs potentiellement poursuivis et atteints grâce à cette technique. En bref, être « pour ou contre les OGM », c’est un peu comme être pour ou contre la roue – sans que l’on sache exactement à quoi elle servira, à qui elle profitera, qui en sera le propriétaire, etc.
Aperçu des amalgames qui polluent ce débat
Une étude publiée en septembre dans la revue Plant Biotechnology Journal, et passée inaperçue, offre un aperçu des amalgames qui polluent ce débat. Les auteurs, conduits par Olivier Lemaire et Jean-Michel Hily, chercheurs à l’Institut national de la recherche agronomique (INRA), mènent depuis plusieurs années des travaux visant à développer une vigne transgénique, résistante au court-noué.
Cette maladie virale est transmise aux plants par un petit ver du sol (Xiphinema index), lorsqu’il pique leurs racines ; elle entraîne un dépérissement des vignes pouvant conduire à leur mort. A l’heure actuelle, les moyens mis en œuvre pour lutter contre le court-noué sont l’utilisation de pesticides ciblant le nématode vecteur du virus, ou l’arrachage de la vigne et la mise en jachère des terres touchées.
Dans leur article, les chercheurs présentent les résultats d’une analyse métagénomique de l’environnement racinaire des plants. Celle-ci indique que les deux transgènes introduits dans le génome des plants n’ont pas eu d’impact sur les bactéries et les virus du sol. En gros, ils n’ont rien changé qui puisse être détecté.
Et alors ? Pour comprendre tout le sel de ces résultats, il faut remonter au 15 août 2010. Ce jour-là, au petit matin, une cinquantaine de militants des Faucheurs volontaires d’OGM s’introduisaient sur le site expérimental de l’INRA de Colmar (Haut-Rhin) et détruisaient les essais menés hors confinement. Leurs arguments étaient divers, mais les Faucheurs redoutaient surtout la transmission des deux transgènes aux micro-organismes du sol [1].
Trois lettres frappées d’un sceau d’infamie
En analysant leurs vignes expérimentales conservées sous serre, qui n’ont pas été détruites, les auteurs répondent donc aujourd’hui à cette objection. Après six ans d’essai, aucun changement significatif n’a pu être relevé. D’autres questions – légitimes – avaient aussi été posées : retrouvait-on dans le raisin des traces de la construction génétique introduite dans la vigne ? Non : son absence avait été contrôlée expérimentalement dans les grains.
Et les industriels ? Avaient-ils été associés au projet ? Risquaient-ils de déposer des titres de propriété intellectuelle sur la fameuse vigne ? Non : depuis 2005, le projet est exclusivement financé sur fonds publics, et conduit par des chercheurs d’organismes de recherche là encore publics…
Ces nouveaux résultats publiés suffiront-ils à convaincre du rapport bénéfices-risques favorable de ces recherches ? Probablement pas. Les trois lettres « OGM » sont aujourd’hui frappées d’un tel sceau d’infamie que le niveau de preuve d’innocuité exigé des chercheurs français en biotechnologies végétales atteint des sommets parfois extravagants.
De fait, si les critères de sûreté requis des recherches en cours à l’INRA de Colmar étaient par exemple réclamés de l’ensemble des pratiques agricoles (aucun résidu détectable dans la production agricole finale, aucune altération significative de la microbiologie des sols), il est à peu près certain que la quasi-totalité des formes d’agriculture, conventionnelle comme biologique, seraient impossibles.
Exigence d’« impact zéro »
S’agissant des biotechnologies, cette exigence d’« impact zéro » n’est pas limitée aux Faucheurs volontaires ou à certains mouvements environnementalistes : elle forme une sorte de consensus social et colonise même l’interprétation du droit. Relaxant les Faucheurs dans le volet pénal de l’affaire en mai 2014, la cour d’appel de Colmar a par exemple estimé « illégal » l’arrêté ministériel autorisant l’essai en cours à l’INRA, pointant « une erreur manifeste d’appréciation des risques » [2]…
Aujourd’hui, pourtant, tous les effets indésirables associés à des cultures transgéniques sont liés à la nature du trait apporté aux plantes par la transgénèse, et non à la transgénèse elle-même. C’est l’effet recherché qui pose problème, et non la manière dont il a été obtenu.
Ainsi, le soja et le maïs de type « Roundup Ready », qui forment la grande majorité des plantes génétiquement modifiées actuellement en culture, sont transformés pour tolérer le désormais célèbre glyphosate, l’ingrédient actif du Roundup : elles sont accusées d’accroître le recours à ce produit phytosanitaire problématique, de favoriser les pratiques agronomiques les plus néfastes pour l’environnement, de détruire l’emploi agricole, d’éroder la biodiversité et, de surcroît, d’échouer à augmenter les rendements – comme cela était promis par les sociétés qui les commercialisent.
Mais tout cela ne dit rien du potentiel de la transgénèse elle-même, ou des nouvelles techniques d’ingénierie du génome. Selon ce qu’on leur fera faire, ces technologies peuvent tout aussi bien amoindrir l’impact environnemental des systèmes agricoles, lutter contre des maladies transmises par des insectes, voire permettre la production de légumes plus sains. Ou, tout simplement, aider les viticulteurs à lutter contre le court-noué.
Stéphane Foucart