Xi Jinping a franchi une nouvelle étape dans le renforcement de son pouvoir. Après avoir fait inscrire, mardi 24 octobre, son nom dans la charte du Parti communiste chinois (PCC) – se plaçant à l’égal de Mao Zedong et de Deng –, il a rompu, en partie, avec les usages en ne nommant pas des successeurs possibles au sein du comité permanent du bureau politique, le cœur du pouvoir en Chine, dévoilé mercredi.
Le secrétaire général du PCC, reconduit dans ses fonctions par le comité central pour un nouveau mandat de cinq ans, a présenté ce comité permanent à la presse, chinoise et internationale, au Palais du peuple, à Pékin, à la mi-journée. En plus de l’actuel numéro deux, Li Keqiang, reconduit dans ses fonctions, il est composé de cinq nouvelles figures, tous des hommes et des cadres confirmés venus du bureau politique. Agés de 60 à 67 ans, donc tous nés dans les années 1950, ils appartiennent à sa génération, ou sont à peine plus jeunes, et seront sans doute appelés à davantage suivre les décisions du numéro un chinois que ne l’ont jamais été leurs prédécesseurs.
Déjà désigné comme « noyau dirigeant du parti » en 2016, un titre hautement symbolique, Xi Jinping a vu mardi sa « philosophie », « la pensée de Xi Jinping du socialisme aux caractéristiques chinoises pour une nouvelle ère », inscrite dans la charte du parti au côté de son nom, un honneur qui lui donne un pouvoir sans précédent depuis le début de l’ère des réformes à la fin des années 1970.
« Trouvaille marketing »
Pour former sa nouvelle équipe, M. Xi, qui a certes dû composer avec d’autres forces politiques au sein du parti et avec les vœux des anciens, n’a pas fait entrer de représentants de la sixième génération de dirigeants, ceux nés dans les années 1960. « Nous ne sommes plus dans l’ère où des successeurs sont nommés, le système du roulement a vécu », explique au Monde le politologue chinois Zhang Ming. Xi Jinping semble installer un nouveau paradigme de gouvernance, avec une personnalisation du pouvoir, mais entièrement au service d’un parti qu’il a voulu renforcer dans son rôle dirigeant et ses prérogatives, quitte à ce qu’il soit moins collectif dans ses prises de décision. Un « système de noyau dirigeant », selon M. Zhang, au détriment du « système de direction collective », et qui rend, selon lui, bien moins pertinent le rôle même d’un comité permanent.
Xi Jinping, un fils de révolutionnaire qui se pose en sauveur du parti et du régime, n’a cependant sans doute pas l’intention d’en être le fossoyeur : « On n’est pas dans une poutinisation du pouvoir, réagit une diplomate occidentale à Pékin. Ce qui se passe actuellement est l’expression de la volonté de ceux qui veulent au sein du régime un pouvoir fort, incarné par le parti. Xi et son rêve chinois sont dans cette optique, une trouvaille marketing qui fonctionne. »
Outre Li Keqiang, qui reste numéro deux du PCC, mais dont le poste de premier ministre ne sera reconduit qu’en mars 2018, le nouveau comité permanent à sept membres, comme le précédent, comporte, par ordre protocolaire, Li Zhanshu, l’ex-bras droit de Xi Jinping, puisqu’il fut durant les cinq dernières années chef de l’Office général du comité central. Puis vient Wang Yang, un politicien qui s’était illustré par ses politiques libérales à Canton avant 2012. M. Wang avait été appelé à rejoindre la direction centrale du gouvernement comme vice-premier ministre et a piloté les efforts d’allégement de la pauvreté.
Ensuite apparaît Wang Huning, le théoricien du régime depuis Jiang Zemin, devenu un proche de Xi Jinping. Zhao Leji, le plus jeune du comité permanent et un allié de Xi Jinping, remplace Wang Qishan à la tête de la Commission disciplinaire centrale du parti, la toute-puissante organisation chargée de lutter contre la corruption. Enfin, Han Zheng, ex-secrétaire du parti de Shanghaï qui a secondé Xi Jinping lorsque celui-ci fut nommé à la tête de la célèbre municipalité avant de rejoindre le comité permanent du parti en 2007.
Ce « casting » respecte la plupart des règles établies, comme celle de l’ancienneté : l’ex-chef de la lutte a anticorruption, Wang Qishan, dont certains spéculaient qu’il serait maintenu au comité permanent malgré ses 69 ans (l’âge limite pour y entrer est de 67), a bien lâché son poste. Les autres « élus » l’ont été selon peu ou prou leur rang d’ancienneté au bureau politique – l’une des règles informelles servant à stabiliser les transitions du pouvoir qui, selon la sinologue américaine Alice Miller, a systématiquement été appliquée dans la Chine post-maoïste.
Wang Huning a sans doute un grand rôle dans la formulation du rêve chinois de Xi Jinping, mais il fut aussi actif sous ses prédécesseurs. Enfin, le premier ministre Li Keqiang ainsi que Wang Yang restent bien placés dans l’ordre protocolaire en tant que représentants de la filière politique de la Ligue de la jeunesse, plus libérale, ce qui perpétue la tradition de composer, pour le secrétaire général, avec la principale faction rivale. Le peu d’espace politique laissé au premier ministre lors des cinq années écoulées laisse toutefois présager qu’il en sera de même dans la « nouvelle ère ».
En revanche, Xi Jinping a dynamité les règles de succession. Aucun responsable politique de la sixième génération ne figure au comité permanent. Le modèle de succession en œuvre jusqu’ici aurait imposé qu’un duo de politicien de cette génération émerge et soit coopté au comité permanent. Le duo autrefois pressenti, formé par deux des plus jeunes membres du bureau politique, Sun Zhengcai (ex-premier secrétaire de Chongqing) et Hu Chunhua (premier secrétaire de Canton) est devenu caduc quand le premier a été arrêté pour corruption juste avant le 19e congrès.
« Coup de force »
M. Xi semble avoir préféré donner à son remplaçant putatif et protégé, Chen Min’er, tout juste admis au bureau politique, plus de temps. Certains observateurs estiment que le numéro un chinois souhaite éviter qu’un dauphin potentiel soit soumis à trop de pression avant d’avoir fait ses preuves et soit éventuellement remis en cause dans sa légitimité à accéder au poste suprême, comme lui-même l’a indirectement été par Bo Xilai avant 2012. M. Bo et toute une clique de hauts dirigeants purgés, dont tout dernièrement Sun Zhengcai, sont aujourd’hui ouvertement accusés d’avoir fomenté « un coup de force » avant l’accession au pouvoir de Xi Jinping en 2012.
Parmi les nouveaux entrants au comité permanent, seuls trois, Wang Yang, Wang Huning et Zhao Leji, peuvent éventuellement être reconduits lors du 20e congrès de 2022, mais pour un seul quinquennat. La question de l’après-2022 est donc désormais entièrement ouverte. Un scénario pourrait être que Xi Jinping reste secrétaire général du parti pour un troisième mandat au-delà de la limite d’âge, mais que la présidence du pays (limitée à deux mandats), incombe à un autre dirigeant. Ou alors qu’un nouveau poste de président du parti soit taillé à sa mesure, le temps qu’un successeur fasse ses premières armes.
Brice Pedroletti (Pékin, correspondant)
Le Parti Communiste Chinois
COMITÉ PERMANENT DU BUREAU POLITIQUE
7 membres désignés par le bureau politique pour cinq ans
LE BUREAU POLITIQUE
25 membres désignés par le comité central du Parti communiste
COMITÉ CENTRAL
207 membres permanents
DÉLÉGUÉS DU CONGRÈS
2 280 délégués se réunissent tous les cinq ans au Palais du peuple de Pékin lors du congrès et désignent les membres du comité central
89 MILLIONS D’ADHÉRENTS
La nouvelle équipe dirigeante
1 - Xi Jinping
Né en 1953
Secrétaire général, désigné le 25 octobre pour un nouveau mandat de cinq ans
2 - Li Keqiang
Né en 1955
Premier ministre depuis 2013
3 - Li Zhanshu
Né en 1950
Directeur de l’office général du comité central sous le premier mandat de Xi, il l’a accompagné dans tous ses déplacements à l’étranger. Il devrait être désigné à la tête du Parlement
4 - Wang Yang
Né en 1955
L’ancien chef du parti dans la province méridionale du Guangdong accède enfin aux plus hautes sphères du pouvoir. Issu d’une famille modeste, il est vu par les observateurs comme un réformiste
5 - Wang Huning
Né en 1955
Principal théoricien du pouvoir, il a commencé sa carrière comme professeur de sciences politiques à la prestigieuse université de Fudan, à Shanghaï, en 1980. Il sera chargé de l’idéologie, de la propagande et de l’organisation du parti
6 - Zhao Leji
Né en 1957
Cet ex-responsable du parti dans les provinces du Qinghai et du Shaanxi est un proche de Xi. Celui qui supervisait la direction du personnel au sein du PCC est désormais chargé de la lutte anticorruption
7 - Han Zheng
Né en 1954
Depuis novembre 2012, il est secrétaire général du parti de la municipalité de Shanghaï où il a effectué toute sa carrière. Il devrait accéder à la fonction de vice-premier ministre en mars 2018
* LE MONDE | 25.10.2017 à 11h08 • Mis à jour le 25.10.2017 à 15h02 :
http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2017/10/25/xi-jinping-s-entoure-de-fideles-pour-un-pouvoir-sans-partage_5205628_3216.htm
Wang Huning, la tête pensante du régime sort de l’ombre
Cet ancien professeur en sciences politiques, francophone, est un partisan du néo-autoritarisme à la chinoise.
En accédant au Comité permanent, où il va superviser le département de propagande du parti, Wang Huning accède à une place prééminente dans la hiérarchie du pouvoir communiste. Une consécration pour celui qu’on a surnommé le « Kissinger chinois » ou « conseiller en chef de Zhongnanhai », le lieu du pouvoir communiste à Pékin, non loin de la Cité interdite. Wang Huning est l’un des théoriciens du pouvoir chinois depuis Jiang Zemin, qui l’a fait monter à Pékin en 1995, alors qu’il était doyen de la faculté de droit de l’université de Fudan à Shanghaï. Il rejoint alors le Centre de recherche de la politique centrale, le think tank du pouvoir central, dont il dirigera le département d’études politiques. Entré en 2002 au Comité central, il sera ensuite l’auteur du concept de développement scientifique de Hu Jintao et sert, selon sa biographie par la Brookings Institution, de lien entre l’équipe de Hu Jintao et l’ancien président Jiang Zemin et son éminence grise, Zeng Qinghong, tous deux très influents.
M. Wang a fait des études de français – langue qu’il parle couramment – puis de politique internationale et de droit. Devenu professeur, il effectuera plusieurs séjours comme chercheur invité aux Etats-Unis à la fin des années 1980, notamment à Berkeley, en Californie. C’est durant ces voyages qu’il dresse le constat que Washington est le grand rival auquel Pékin ne cesse de se mesurer. En 1991, il publie un livre, Les Etats-Unis contre les Etats-Unis, où il détaille ses six mois passés sur le sol américain à tenter de comprendre la première puissance mondiale, ses forces et ses failles.
« Plume » de Xi Jinping
La responsabilité d’un intellectuel chinois, juge-t-il à ce moment, est à la fois de comprendre pourquoi la Chine, une civilisation vieille de plus de 2 000 ans, a pu sombrer dans le déclin et pourquoi les Etats-Unis, jeune pays de 200 ans, a pu devenir la première puissance mondiale. « Je considère, écrit-il, qu’un intellectuel vivant au XXe siècle a le devoir d’étudier ces deux phénomènes. Tout intellectuel chinois doit le faire, c’est un moyen de mieux connaître le monde et soi-même et d’explorer le chemin de la Chine vers la puissance et la prospérité. » Voilà posé les bases de cette fameuse renaissance chinoise tant vantée par le sécrétaire général du PCC, Xi Jinping.
Dans les années 1980, il s’intéresse au système juridique. Dans un texte de 1986, il attribue ainsi les abus de la Révolution culturelle à l’absence de séparation entre la police, le parquet et la justice – un avis très partagé dans cette période d’ouverture politique. Mais il se fait vite remarquer ensuite pour sa défense d’un pouvoir centralisateur fort, capable d’« être efficace dans la redistribution des ressources » et de « promouvoir une croissance économique rapide », comme il l’écrit en mars 1988 dans un article pour le Journal de l’université Fudan (« Analyse sur les formes de gouvernement pendant le processus de modernisation »). M. Wang devient à ce titre un représentant de l’école de pensée néo-autoritaire. C’est cette théorie qu’il faut comprendre, écrit le sinologue Jude Blanchette dans un article récent intitulé « Le rêve néo-autoritaire de Wang Huning » pour « comprendre la phase ultra-conservatrice dans laquelle se trouve aujourd’hui la Chine ». Devenu proche conseiller et « plume » de Xi Jinping, il l’accompagne lors de nombreux voyages à l’étranger.
François Bougon et Brice Pedroletti (Pékin, correspondant)
* LE MONDE | 25.10.2017 à 11h21 :
http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2017/10/25/wang-huning-la-tete-pensante-du-regime-sort-de-l-ombre_5205652_3216.html