La justice espagnole lance un mandat d’arrêt contre Carles Puigdemont
Le président de l’exécutif catalan déchu a dit, vendredi, qu’il n’avait pas l’intention de fuir la justice et qu’il entendait se présenter aux prochaines élections.
La justice espagnole a lancé, vendredi 3 novembre, un mandat d’arrêt européen contre le président catalan destitué Carles Puigdemont et contre quatre de ses « ministres » repliés en Belgique, qui ont refusé de comparaître devant elle.
Une juge d’instruction a lancé le mandat contre chacun des cinq membres du gouvernement destitué, pour « rébellion, sédition, détournement de fonds publics et désobéissance à l’autorité », a annoncé dans un communiqué le tribunal, qui a déjà incarcéré, jeudi, huit autres membres de l’ancien exécutif indépendantiste. Eric Van der Sijpt, porte-parole du parquet fédéral belge, a fait savoir que celui-ci allait « étudier » le mandat d’arrêt : « On va l’étudier, puis il sera donné à un juge d’instruction. »
Bien qu’affaibli, Carles Puigdemont a annoncé, dans un entretien à la chaîne belge RTBF, sa volonté de se présenter aux élections du 21 décembre, et a assuré qu’il n’allait pas fuir la justice. « Je vais aller à la justice, mais à la vraie justice. (…) J’ai dit à mes avocats d’exprimer à la justice belge que je suis complètement disposé à collaborer », a dit, en français, le président de l’exécutif catalan déchu dans un entretien exclusif. La justice espagnole est « bien évidemment politisée », a-t-il dit, selon un extrait dévoilé en amont de la diffusion de l’entretien prévu à 20 heures, heure française.
Un journaliste de la RTBF a également rapporté le souhait de M. Puigdemont de se présenter aux élections du 21 décembre, disant que l’indépendantiste était prêt à mener campagne de l’étranger.
Le « gouvernement légitime de la Catalogne »
Jeudi, la juge Carmen Lamela a décidé — conformément aux réquisitions du procureur — le placement en détention provisoire de huit dirigeants séparatistes, entendus le même jour à l’Audience nationale, la haute cour de justice espagnole, à Madrid. comme avant »
Le président destitué a dès lors « [exigé] la libération » des ministres incarcérés, jeudi soir, et a fustigé les décisions prises contre le « gouvernement légitime de la Catalogne ». « Comme président du gouvernement légitime de Catalogne, j’exige la libération des conseillers [ministres] et du vice-président », Oriol Junqueras, avait-il déclaré lors d’un discours retransmis à la télévision régionale catalane.
Le mandat d’arrêt européen, créé en 2004 pour remplacer les procédures d’extradition entre les pays de l’Union européenne (UE), permet l’arrestation d’une personne dans un autre Etat membre et sa remise, pour l’exercice de poursuites pénales, à l’Etat qui a émis le mandat. Sauf motifs particuliers — qui ne devraient pas pouvoir être invoqués dans le cas de Carles Puigdemont —, un pays ne peut pas refuser de remettre une personne réclamée par un pays de l’UE.
LE MONDE
* LE MONDE | 03.11.2017 à 20h07 • Mis à jour le 03.11.2017 à 21h10 :
http://www.lemonde.fr/europe/article/2017/11/03/carles-puigdemont-veut-se-presenter-aux-elections-de-decembre_5209996_3214.html
Huit anciens ministres catalans en prison
La décision de la justice espagnole pourrait provoquer un sursaut du mouvement séparatiste.
Moins d’une semaine après la déclaration d’indépendance votée le 27 octobre par le Parlement de Catalogne, la justice espagnole a ordonné, jeudi 2 novembre, le placement en détention provisoire de huit ex-ministres régionaux, dont l’ancien vice-président Oriol Junqueras, au terme de leur audition dans le cadre d’une enquête pour « rébellion, sédition et détournement de fonds publics ».
La décision judiciaire risque de changer la donne politique, en provoquant un sursaut du mouvement séparatiste catalan. Dans la soirée, les indépendantistes ont manifesté dans de nombreuses villes de la région pour demander la libération de ceux qu’ils qualifient de « prisonniers politiques ». A Barcelone, près de 20 000 personnes se sont réunies devant le Parlement catalan, selon les chiffres de la police municipale. Et de nouvelles mobilisations sont prévues, dont une grande manifestation à Barcelone, le 12 novembre.
Ces derniers jours, un certain calme semblait revenu en Catalogne. Les indépendantistes, déconcertés par le départ en Belgique de l’ex-président de la Catalogne, Carles Puigdemont, et déçus par son incapacité à rendre effective la « République catalane », se montraient atones face à l’application sans encombre ni résistance de l’article 155 de la Constitution, qui permet la mise sous tutelle des régions rebelles. Surtout, la décision du chef du gouvernement espagnol, Mariano Rajoy, de convoquer des élections régionales le 21 décembre les avait pris à contre-pied. Et la frénésie des dernières semaines s’était muée en un climat de précampagne électorale presque ordinaire, qui a brusquement changé jeudi. L’emprisonnement des anciens dirigeants catalans pourrait transformer les élections régionales, censées ramener la « normalité » dans la région, en double référendum sur l’indépendance et le gouvernement de Mariano Rajoy.
Le président catalan destitué, Carles Puigdemont, a saisi la balle au bond. Dans une allocution depuis la Belgique, retransmise sur la chaîne publique catalane TV3, il a déclaré : « En tant que président légitime, j’exige la libération des ministres régionaux. » Politiquement, la première conséquence devrait être la formation d’une coalition électorale entre les forces indépendantistes, qui inclurait dans les listes électorales les noms des inculpés incarcérés. Mais ce ne sera peut-être pas la seule.
Faire « trembler l’Etat »
La maire de Barcelone, Ada Colau, soutenue par Podemos, visiblement débordée par la colère, a dénoncé « la pire attaque contre la Catalogne en démocratie » et demandé à M. Rajoy de « faire les pas nécessaires » pour que les dirigeants indépendantistes catalans soient libérés. Le secrétaire général de Podem, la branche catalane de Podemos, Albano Dante-Fachin, a demandé « une réponse collective » qui fasse « trembler l’Etat ». Les arrestations pourraient ainsi provoquer un rapprochement entre la formation d’Ada Colau et les indépendantistes. « Nous ne voulons pas l’indépendance de la Catalogne, mais aujourd’hui nous disons : liberté pour les prisonniers politiques », a lancé Pablo Iglesias, sur Twitter. La Candidature d’unité populaire (CUP, extrême gauche révolutionnaire) appelle à « la grève générale » et à « une mobilisation massive et continue ».
Les partis non indépendantistes font profil bas. Les socialistes ont évité de commenter la décision de justice, même si plusieurs voix l’ont jugée « disproportionnée ». La candidate de Ciudadanos, Ines Arrimadas, a déclaré « respecter les décisions judiciaires ». « Les juges appliquent les lois, a-t-elle dit, et nous faisons de la politique. » Le secrétaire chargé de la communication du Parti populaire, Pablo Casado, explique qu’il s’interdit de « se féliciter de la décision de la juge », en mettant en avant la « séparation des pouvoirs ».
« Ces élections paraissaient une invitation au calme et à la réflexion. Après cinq ans de processus souverainiste (…), nous avions récupéré une certaine paix sociale, écrit le quotidien catalan La Vanguardia dans son éditorial du 3 novembre. Cette paix a été balayée de nouveau. » « La fermeté de la justice, paradoxalement, favorise la cause indépendantiste dans sa logique victimiste », estime aussi le quotidien El Pais dans son éditorial, tout en soulignant que « les seuls responsables du fait que la justice participe, inévitablement, à la campagne électorale catalane du 21 décembre sont ceux qui ont présumément commis des délits d’une extrême gravité. »
Dans son ordonnance, la juge d’instruction de l’Audience nationale, haut tribunal chargé des affaires sensibles, telles que le crime organisé ou le terrorisme, détaille tous les épisodes durant lesquels les inculpés « ont désobéi de manière successive, systématique et frontale à chacune des décisions du Tribunal constitutionnel ». Suivant les réquisitions du parquet, elle décrit une « stratégie de tout le mouvement séparatiste, parfaitement organisé et avec une répartition des rôles entre les autorités gouvernementales, parlementaires et les associations indépendantistes [ANC et Omnium Cultural] », dont le but serait d’« encourager des actes d’insurrection publique, de désobéissance et de résistance collective à l’autorité de l’Etat ».
« Gouvernement en exil »
L’ancien ministre catalan des entreprises, Santi Vila, qui avait démissionné la veille de la déclaration d’indépendance – le seul prévenu à avoir accepté de répondre aux questions du parquet et de la juge d’instruction –, a évité la prison, moyennant une caution de 50 000 euros.
Pour les autres, la magistrate justifie la détention préventive sans possibilité de caution du fait de « risques de réitération » et de « fuite », car les peines encourues sont longues : vingt-cinq ans pour rébellion, quinze ans pour sédition et huit ans pour malversation, et que « plusieurs inculpés se sont déjà déplacés dans d’autres pays pour fuir leurs responsabilités pénales ».
M. Puigdemont et quatre de ses ex-ministres régionaux, partis lundi en Belgique pour mettre en scène un « gouvernement en exil », ne se sont effectivement pas présentés devant la juge. Vendredi 3 novembre, elle devait se prononcer sur les recommandations du parquet d’envoyer un mandat d’arrêt européen en Belgique pour interpeller M. Puigdemont et ses ministres. Ce qui serait le scénario idéal pour « internationaliser » le conflit catalan, comme le souhaitent les indépendantistes.
Sandrine Morel (Madrid, correspondance)
* LE MONDE | 03.11.2017 à 11h43 :
http://www.lemonde.fr/europe/article/2017/11/03/huit-anciens-ministres-catalans-en-prison_5209643_3214.html