Des milliers de mètres cubes de déchets radioactifs de haute activité et à vie longue1 devraient prochainement être enfouis à 400 mètres sous terre à Bure (Meuse). Fausse solution, l’enfouissement des déchets nucléaires s’est systématiquement heurté à la mobilisation des populations. La manifestation nationale du 24 septembre pourrait de nouveau le confirmer.
Au commencement, les dieux du profit créèrent des centrales nucléaires. Leur leitmotiv ? « Encaissons et après nous, le déluge. » La question du devenir des déchets était, pour eux, complètement subsidiaire. Leur projet s’appuyait sur des théories prétendument scientifiques. Dans les années 1970, on affirmait le plus sérieusement du monde que la dilution des déchets nucléaires dans le milieu aquatique réduirait la dangerosité de la radioactivité et, dans les années 1980, on disait non moins sérieusement que leur confinement dans des milieux secs comme les mines de sel garantirait de toute circulation d’eau pouvant entraîner les radionucléides !
Un fil directeur dans tout ceci : la recherche d’une voie définitive, rapide et peu coûteuse. Car la surveillance des déchets ou une véritable recherche scientifique visant à leur élimination occasionnerait de tels coûts, que l’ensemble de la filière électronucléaire serait économiquement discréditée. En particulier aux yeux des capitalistes des pays en voie de développement, à qui les nôtres vendent leur merveilleuse technologie. Comment relancer une nouvelle génération de centrales et faire accepter son principe aux populations, si on admet publiquement que le problème des déchets n’est pas résolu ni même en passe de l’être ?
Une chose est à savoir : il n’existe pas aujourd’hui de véritable solution pour les déchets radioactifs. On ne sait si on la trouvera un jour et c’est pourquoi la sagesse impose d’arrêter d’en produire. Mais quelles que soient les options choisies en matière énergétique, le pire serait d’enfouir, abandonnant ainsi tout espoir de résoudre le problème des déchets existants.
L’enfouissement, irréversible, est immoral, voire monstrueux, car il constitue un abandon et un pari risqué pour les générations futures. De plus, on veut y recourir le plus vite possible alors que les connaissances en matière de prospection géologique en sont à leurs balbutiements. Certains pays européens, sous la pression capitaliste, ont eux aussi, malheureusement, retenu l’enfouissement comme solution potentielle, mais des décennies de recherche sont, soit en cours, soit envisagées, pour parvenir à des conclusions fiables. En France, alors que le laboratoire de Bure est creusé depuis un peu plus d’un an, l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) et les pouvoirs publics affirment déjà une faisabilité de principe, et n’entendent décréter que quelques années de fausses études complémentaires qui consisteront en fait à préparer le stockage souterrain.
Poubelle nucléaire
La solution de l’enfouissement, réalisable à court terme et sans grande difficulté, est parfaitement démobilisatrice : les déchets enfouis sont perdus pour la science.
Comment éliminer ou surveiller ce qu’on ne peut plus atteindre ? Et même si l’on conserve un accès aux déchets dans les premiers temps, quel intérêt socio-économique y aurait-il à chercher de véritables solutions alors que le trou est fait ? Il conviendrait donc de stopper immédiatement les travaux de Bure et de promouvoir une recherche digne de ce nom, visant à améliorer la résistance des containers ou à rechercher l’éradication des déchets radioactifs, par des solutions connues ou encore inconnues aujourd’hui. Qu’elles soient coûteuses ou non, ces voies sont celles qui doivent être étudiées avec les moyens financiers nécessaires.
En attendant, les déchets existants doivent être stockés près des lieux de production ou déjà nucléarisés, afin de diminuer les risques inhérents à leur transport et à leur manipulation. Cela permettrait aussi de dynamiser leur gestion en incitant pouvoirs publics et scientifiques à concourir à leur réduction, voire à leur élimination. Cette contrainte obligerait en outre à faire le choix de la sagesse en stoppant le programme électronucléaire et en développant les énergies renouvelables qui sont, par définition, inépuisables. Outre sa phénoménale dangerosité, la filière nucléaire est également ruineuse pour l’économie (démantèlement des centrales, gestion des déchets existants).
Ce ne sont malheureusement pas ces considérations de bon sens et de morale qui ont guidé l’action des pouvoirs publics jusqu’alors. À la fin des années 1980, s’appuyant sur le dernier consensus en faveur de l’enfouissement dans des couches géologiques profondes, ils recherchèrent un peu partout en France un site géologique susceptible d’accueillir le futur « centre de stockage souterrain des déchets radioactifs ». Ils y allèrent franchement, ne se doutant pas de ce qui les attendait. Dans leur grand mépris, ils n’imaginaient pas que le peuple borné refuserait d’enterrer les problèmes, et parlerait, lui, du droit des générations futures, qu’il exigerait des crédits pour une véritable recherche scientifique et se mêlerait de ce qui le regardait.
C’est pourtant ce qui se passa : ils durent faire face à une fronde généralisée partout où ils se présentèrent. Cette fronde prit parfois des allures d’émeutes, à tel point que les élus locaux furent obligés de soutenir les dizaines de milliers de leurs électeurs qui refusaient que leur sous-sol soit transformé en poubelle nucléaire. Face à cela, Michel Rocard, alors Premier ministre socialiste, décréta un moratoire et chargea le député PS du Nord, Christian Bataille2, de proposer un projet de loi qui réglerait les choses en douceur.
Envers et contre tout
Cette loi, dite loi Bataille, adoptée le 30 décembre 1991 par une touchante majorité de gauche et de droite, tirait les leçons des échecs des capitalistes : il fallait avancer masqué pour désamorcer les critiques. Désormais, on ne parlerait donc plus de « centres de stockage souterrain », mais de « laboratoires d’études ». Comment s’élever contre cette supercherie de langage sans être tenu pour obscurantiste ? De plus, outre le stockage souterrain, la loi faisait mine de définir deux voies de recherche alternatives : la réduction des déchets par transmutation3, ou l’amélioration des conditionnements en surface. En réalité, ces deux autres voies n’étaient que des alibis et s’avèrent aujourd’hui de simples compléments à l’enfouissement. Enfin, cerise sur le gâteau, la loi proposait un « accompagnement financier » de 60 millions de francs par an aux départements qui se porteraient candidats.
Il n’en fallait pas plus pour que les élus des départements de la Vienne, du Gard, de la Meuse et de la Haute-Marne, se laissent complaisamment abuser, en jurant aux populations qu’il ne s’agissait que de « recherche et rien d’autre ». Entre 1993 et la fin 1998, ils engrangèrent les subsides officiels et quelques autres, plus opaques. Mais en 1998, la fronde des viticulteurs du Gard eut raison de la vénalité des élus du département qui durent abandonner. Dans la Vienne, les granits étaient de tellement mauvaise qualité que l’Andra, chargée des travaux de reconnaissance préliminaire, fut discréditée alors même qu’elle soutenait que le site convenait parfaitement.
Seules les argiles du site de Meuse-Haute-Marne parurent faire l’affaire : à peine 400 000 habitants dans les deux départements réunis, une faible culture revendicative, des élus aux abois prêts à toutes les compromissions pour trouver des ressources qui compenseraient le déclin économique et démographique de leur secteur. Autant de bonnes raisons pour choisir ces sites. En juillet 1999, Dominique Voynet, alors ministre de l’Environnement, signa, au grand dam des Verts locaux, le décret autorisant la construction du laboratoire de Bure (Meuse), malgré une enquête publique ayant recueilli plus de 6 000 avis négatifs, et une pétition ayant rassemblé plus de 60 000 signatures contre le projet.
Souffle d’espoir
Comme la loi prévoyait plusieurs « laboratoires », le gouvernement rechercha un deuxième site dans les granits du Massif Central et des départements normands et bretons. Aguerris par leur combat, les opposants de Bure, constitués en collectifs de citoyens et d’élus, eurent tôt fait de prévenir les populations et les élus locaux des quinze sites retenus. Et c’est une véritable opposition nationale qui se leva de nouveau. Des dizaines de milliers de personnes participèrent à de multiples manifestations dans toute la France. En Mayenne, les émissaires du gouvernement, retranchés dans leur minibus, furent reconduits à la frontière du département, à 5 kilomètres/heure, encadrés par des milliers de manifestants et par des tracteurs. Leur promenade dura de 22 h à 5 h du matin... Dans un site du Lot-Cantal, un collectif de défense né à Glénat, un petit village de 200 âmes, compta 7 000 adhérents quinze jours seulement après sa création.
La lutte a payé et des contacts solides sont désormais noués entre toutes ces régions. Aujourd’hui, seul le site de Meuse-Haute-Marne est retenu mais tous les ingrédients sont réunis pour réussir une super manifestation le 24 septembre prochain à Bar-le-Duc. Localement, 40 000 signatures ont déjà été recueillies pour exiger un référendum sur l’enfouissement. Elles seront remises au conseil général lors de cette manifestation. Il y a quelques années, certains membres du cabinet Jospin avaient déclaré cyniquement, lors d’une rencontre avec des opposants, que si le site de la Meuse avait été choisi, c’était bien parce qu’il y avait peu de risques de faire descendre 15 000 personnes dans ce département. Chiche !
Notes
1. Les déchets radioactifs sont classés en trois grandes catégories :
– déchets A, de faible activité, à vie courte (quelques siècles), d’un volume de 1 400 000 m3 ;
– déchets B, d’activité moyenne, à vie longue (20 000 ans environ), d’un volume de 102 000 m3 ;
– déchets C, de haute activité, à vie longue (de centaines de milliers à plusieurs millions d’années), d’un volume de 6 400 m3.
Les déchets C concentrent 95% de la radioactivité issue du nucléaire. Seuls les déchets B et C seront enfouis à Bure. La décision politique concernant le mode de gestion des déchets nucléaires doit être prise officiellement en 2006.
2. Les liens de Christian Bataille avec le lobby nucléaire sont connus et reconnus par l’intéressé.
3. La transmutation est une technique qui vise à réduire la durée de vie et la toxicité des déchets radioactifs. Elle ne fonctionne malheureusement que pour une infime quantité de ceux-ci.
Ensemble, manifestons le 24 septembre à Bar-le-Duc (Meuse), contre l’enfouissement des déchets nucléaires.
Soyons-en conscients : nous avons à faire aux pires rebuts jamais produits par l’humanité, d’une dangerosité sans précédent, sans comparaison possible avec d’autres déchets. L’aveuglement capitaliste met ainsi en danger la vie même, la nôtre et celles des générations futures. Va-t-on aggraver la situation en souillant la terre pour satisfaire aux intérêts d’un des plus puissants lobbies en France ?
C’est ce qu’il faut combattre en étant présent à Bar-le-Duc le 24 septembre.
POUR EN SAVOIR PLUS :
« http://www.stopbure.com » ou « http://www.burestop.org ».
Ou contact LCR Meuse : « claude.kaiser stopbure.com ».
Départs groupés pour la manifestation du 24, tracts et affiches : « http://www.sortirdunucleaire.fr ».