Une nouvelle plainte pour viol à l’encontre de Tariq Ramadan a été enregistrée le 27 octobre par le parquet de Paris. Après une première plainte déposée le 20 octobre par Henda Ayari, une enquête préliminaire a été ouverte en début de semaine, des chefs de « viol, agression sexuelle, violences et menaces de mort », et la première plaignante a été entendue par la police judiciaire. D’après nos informations, le parquet de Paris examine actuellement la seconde plainte pour déterminer s’il est compétent pour ces faits qui se seraient déroulés à Lyon – et non dans la capitale.
La seconde plaignante, Christelle [1], devrait être auditionnée dans les prochains jours. Son avocat, Me Éric Morain, affirme que cinq autres femmes ont pris contact avec lui – pour des faits qui pourraient relever du harcèlement sexuel, d’agressions sexuelles ou de viols – et qu’elles songent à porter plainte. Pour trois d’entre elles, les faits dénoncés ne seraient pas prescrits. Parmi ces cinq femmes, Yasmina témoigne ce samedi dans Le Parisien de harcèlement sexuel et de menaces que lui aurait fait subir l’islamologue suisse, âgé de 55 ans. Tariq Ramadan a opposé, par la voix de son avocat Yassine Bouzrou, un démenti formel [2] et a déposé plainte pour « dénonciation calomnieuse » le 24 octobre.
Samedi soir, il a annoncé, sur sa page Facebook, le dépôt, « dans les prochains jours », d’une nouvelle plainte, « puisque mes adversaires ont enclenché la machine à mensonges », écrit-il. Dans ce message, il dénonce « une campagne de calomnie qui fédère assez limpidement [ses] ennemis de toujours ». « Le droit doit maintenant parler, mon avocat est en charge de ce dossier, nous nous attendons à un long et âpre combat. Je suis serein et déterminé », conclut-il. Sollicité samedi après-midi par Mediapart, Tariq Ramadan n’avait pas répondu. Contacté, son avocat nous avait fait savoir qu’il ne « communiquer[ait] pas ».
C’est un récit d’une grande violence qu’a livré la seconde plaignante, Christelle, dans le témoignage détaillé adossé à sa plainte, révélé vendredi par Le Monde [3] et Le Parisien [4]. Cette quadragénaire a fourni à l’appui de ses déclarations des certificats médicaux attestant notamment d’ecchymoses et de blessures, et établis à l’époque des faits. Des faits qui se seraient déroulés dans un hôtel, à Lyon, en 2009, et qui ne seraient donc pas prescrits – s’agissant des viols, le délai de prescription est désormais de 20 ans.
Aujourd’hui âgée de 45 ans, cette Française convertie à l’islam souffre d’un handicap aux jambes. À l’époque, elle portait une attelle à la jambe droite et marchait à l’aide de béquilles. Comme le rapporte Le Monde, elle entretient alors, depuis le 31 décembre 2008, une correspondance avec Tariq Ramadan, auprès duquel elle cherche conseil. Elle relate qu’après plusieurs mois d’échanges d’ordre religieux sur les réseaux sociaux, elle le rencontre pour la première fois à Lyon, en octobre 2009. Le prédicateur suisse lui aurait « donné rendez-vous au bar de l’hôtel Hilton de Lyon, où il était descendu pour une conférence ». Le site Internet du théologien mentionne une invitation, le 9 octobre, à une conférence dans une salle lyonnaise pour présenter son dernier livre.
D’après le récit de Christelle, Tariq Ramadan lui explique ce jour-là vouloir prolonger la discussion à l’abri de regards indiscrets et l’invite à boire un thé dans sa chambre. « Au bout de dix minutes, il m’a dit : “Nous ne pouvons pas rester là, tout le monde nous regarde. Je suis une personne connue et le Maghrébin à l’accueil m’a reconnu et n’arrête pas de nous regarder” », rapporte-t-elle. Une fois dans la chambre, il lui donne « un coup de pied dans [ses] béquilles » et se « jet[te] sur [elle] en disant : “Toi, tu m’as fait attendre, tu vas prendre cher !” », d’après son témoignage.
Selon la plaignante, l’islamologue lui administre alors des gifles au visage, aux bras, aux seins et des coups de poing dans le ventre, puis lui impose une fellation et une sodomie, puis à nouveau des coups et un viol. « Je ne comprenais rien, j’avais les larmes aux yeux. […] J’ai hurlé de douleur en criant stop ! », explique-t-elle. Tariq Ramadan l’aurait ensuite violée avec un objet. « Plus je hurlais et plus il tapait. […] Il m’a traînée par les cheveux dans toute la chambre pour m’amener dans la baignoire de la salle de bain pour m’uriner dessus », indique-t-elle. Ce n’est qu’à l’aube, lorsqu’il était dans la salle de bains, qu’elle aurait réussi à prendre la fuite, Tariq Ramadan ayant, selon elle, suspendu ses vêtements en hauteur pour qu’elle ne puisse pas partir. « Je suis rentrée comme un robot », relate-t-elle.
Christelle explique ensuite avoir reçu un SMS de Tariq Ramadan « comme s’[ils avaient] passé une super nuit d’amour romantique et tendre ». Le quinquagénaire souhaite la revoir, elle refuse et dit avoir subi ensuite « des mois de harcèlement et de menaces », avoir remarqué « des hommes » qui la « suivaient dans la rue » et dont l’un l’aurait « menacée de mort ». « J’ai dû rester chez une amie pendant presque un mois à partir du 18 novembre 2009. »
Contacté par Mediapart, son avocat, Éric Morain, ne souhaite pas faire davantage de commentaires que ceux formulés auprès du Parisien. « Pour comprendre ce dossier, il faut appréhender l’emprise psychologique et religieuse sous laquelle se trouvaient ces femmes », a-t-il expliqué au quotidien.
Pour l’avocat, le « schéma » de l’agression dénoncée par sa cliente n’est pas sans rappeler celui décrit par la première plaignante, Henda Ayari. Dans un livre, paru en novembre 2016 et dans lequel elle racontait sa rupture avec le salafisme (J’ai choisi d’être libre, Flammarion), cette femme de 40 ans relatait avoir été violée par un homme, sans dévoiler son véritable nom – il apparaissait sous le pseudonyme de « Zoubeyr ». Un an plus tard, alors que les témoignages affluent après l’affaire Weinstein et le lancement des hashtags « Balanceton porc » et « Metoo », elle explique vouloir révéler le nom de son agresseur présumé : Tariq Ramadan.
Cette ancienne salafiste devenue militante féministe et laïque a détaillé à la police judiciaire les circonstances dans lesquelles elle a rencontré le prédicateur : là encore, à la suite d’échanges sur Facebook, après l’avoir sollicité pour des conseils d’ordre religieux. Selon elle, l’islamologue lui avait donné rendez-vous au printemps 2012 dans un hôtel de Paris, où il s’était rendu pour participer au congrès de l’Union des organisations islamiques de France (UOIF). À l’hôtel, il aurait prétexté un hall bondé et bruyant pour lui proposer de poursuivre la conversation dans sa suite. Dans la chambre, il lui aurait « sauté » dessus, l’aurait giflée et violée, avant de lui proposer de l’argent pour prendre un taxi.
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Message posté sur Facebook par Henda Ayari, le 20 octobre 2017
Après le dépôt de sa plainte, Henda Ayari a reçu des messages de soutien, mais aussi de nombreux messages haineux, d’une grande violence. Outre les attaques auxquelles font face nombre de femmes dénonçant des violences sexuelles, la quadragénaire a tour à tour été accusée d’avoir reçu de l’argent pour mettre en cause l’islamologue, de vouloir booster les ventes de son livre. Sur les réseaux sociaux ou dans les commentaires d’articles, certains y voient un complot pour faire tomber Tariq Ramadan et d’autres accusent les « sionistes » ou plus largement les « juifs » d’en être à l’origine. Certains pointent aussi le nom de son avocat – Me Jonas Haddad [5], par ailleurs engagé chez les Républicains (LR) où il a occupé des responsabilités nationales – comme une preuve supplémentaire d’un « complot ». « Certainement un membre de CRIF et LDJ », commente l’un d’eux (lire l’article du Monde qui détaille ce déchaînement antisémite [6]).
Auteure d’une biographie sur Tariq Ramadan (Frère Tariq, Grasset, 2004), Caroline Fourest affirme de son côté, dans un article publié dans Marianne [7], que le récit de Henda Ayari « ressemble énormément à celui de quatre autres femmes » qu’elle a « rencontrées ». Sur Twitter [8], l’essayiste a assuré que ce n’était « qu’un début » et a rebondi sur un troisième témoignage révélé ce samedi, sous-entendant que d’autres dépôts de plaintes pourraient suivre :
Ce troisième témoignage, publié dans Le Parisien [9], est celui de Yasmina, qui avait contacté une première fois le quotidien en 2014. Elle souhaitait alors porter plainte pour « harcèlement sexuel et menaces » contre Tariq Ramadan et redoutait, selon ses mots, des représailles. Elle cherchait un soutien médiatique et avait apporté de nombreux échanges épistolaires avec l’islamologue.
Comme les deux plaignantes, elle avait sollicité l’islamologue en 2013, via son site, pour des conseils juridiques. Jusqu’à la fin de l’année 2015, ils avaient échangé par écrit. « Au début il me donnait des conseils religieux, et puis un jour il a réclamé ma photo, relate-t-elle. Il voulait savoir à quoi ressemblait celle avec laquelle il échangeait. Il m’a trouvée mignonne. À partir de là, tout a dérapé. Entre nous, c’est devenu pornographique. » Tariq Ramadan l’aurait ensuite « fait venir une fois dans un hôtel de province », d’après son témoignage, « mais [elle est] venue accompagnée », précise-t-elle. Elle dit avoir été menacée par la suite : « Il disait qu’il avait des choses compromettantes sur moi. Il s’est servi de son aura dans la communauté et a abusé de mes faiblesses. » Aujourd’hui, elle songe à porter plainte.
MARINE TURCHI