C’était il y a un an et demi. Le 9 mai 2016, Mediapart et France Inter dévoilaient huit premiers témoignages de femmes visant toutes le député écologiste, alors vice-président de l’Assemblée nationale, Denis Baupin. Parmi elles, quatre le faisaient à visage découvert, prenant le risque de la violence de l’exposition médiatique et de la défense, parfois brutale, de celui qu’elles accusaient d’agression ou de harcèlement sexuels : Isabelle Attard, Elen Debost, Annie Lahmer et Sandrine Rousseau. Cette dernière publie aujourd’hui Parler, aux éditions Flammarion, un récit à la fois intime et politique de « l’affaire Baupin », dans lequel elle révèle les soubresauts personnels et publics qu’ont provoqués ces révélations.
Surtout, l’écologiste raconte comment la société est aujourd’hui « presque sourde » à la parole des femmes victimes de violences. « Les femmes parlent, mais elles parlent dans le vide. Personne n’entend », écrit Sandrine Rousseau. Les chiffres de la justice sont à ce titre édifiants : 90 % des plaintes déposées sont classées sans suite et 90 % des plaintes retenues aboutissent à un non-lieu.
L’affaire Baupin a elle aussi tourné court au plan pénal : l’enquête préliminaire ouverte en mai 2016 a débouché en mars 2017 à un classement sans suite pour cause de prescription. Le parquet de Paris a cependant pris soin de préciser dans son communiqué : « À l’issue de l’ensemble des investigations, il apparaît que les faits dénoncés, aux termes de déclarations mesurées, constantes et corroborées par des témoignages, sont pour certains d’entre eux susceptibles d’être qualifiés pénalement. Ils sont cependant prescrits. »
Mais Sandrine Rousseau reste convaincue que l’affaire Baupin a permis d’ouvrir une brèche dans le mur du silence médiatique et judiciaire sur les violences sexuelles. « Quelle que soit l’histoire qui s’écrira à partir de ce jour, peu importe, nous avons réussi », écrit, dans Parler, celle qui vient d’abandonner sa fonction de secrétaire nationale adjointe d’Europe Écologie-Les Verts pour se consacrer à l’association qu’elle lance pour encourager les femmes à déposer plainte.
Son ressenti est confirmé par Laure Ignace, juriste à l’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT), qui explique qu’après le déclenchement de l’affaire Baupin, sa structure a été submergée d’appels de femmes victimes. Un surcroît spectaculaire de signalements qui ne s’est pas démenti depuis. Selon elle, la réception médiatique a aussi beaucoup évolué.
Mais la parole des femmes est encore parfois balayée : ce fut notamment le cas samedi 30 septembre dans l’émission « On n’est pas couché », sur France 2, où les chroniqueurs et Laurent Ruquier ont suscité une vive indignation en brutalisant Sandrine Rousseau, venue présenter son livre, et en remettant en cause son récit sans le moindre élément matériel. La secrétaire d’État à l’égalité entre les femmes et les hommes Marlène Schiappa a saisi le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA).
Lénaïg Bredoux
Sandrine Rousseau, Parler
Éditions Flammarion, 2017
19 euros