Un mois avant la COP21, en octobre 2015, nous publions sur ce même blog un texte appelant à un « ouragan citoyen pour éviter le chaos climatique que préparent, en toute connaissance de cause, les Etats ». Deux ans plus tard, les circonstances sont bien-entendu différentes. Entre temps l’Accord de Paris a été signé et ratifié par suffisamment de pays pour qu’il entre en vigueur. Néanmoins, à l’issue de la COP23, l’enjeu reste le même : résorber le fossé entre les engagements de réduction d’émissions de gaz à effet de serre (GES) annoncés en 2015, et le niveau qu’ils devraient atteindre pour contenir le réchauffement climatique mondial en deçà des 2 °C.
Ce fossé entre le réel, les 3°C ou plus, et le souhaitable, les 2°C ou moins, n’est pas nouveau. Nous en avions connaissance dès avant la COP21. Il n’est pas conjoncturel puisqu’il est alimenté par une globalisation économique et financière gloutonne en ressources naturelles. Il n’est pas involontaire puisque les Etats et les décideurs disposent, depuis de nombreuses années, de toutes les données nécessaires. Ce fossé entre le réel et le souhaitable est le fruit de choix délibérés de décideurs politiques et économiques qui, jusqu’ici, ont reporté à plus tard la mise en œuvre de politiques climatiques plus ambitieuses.
Urgence climatique : écart entre le réel et le souhaitable (donées PNUE retravaillées par Le Monde)
Déni climatique
Face à ce déni climatique, les Etats ont daigné accepter l’organisation d’« un dialogue facilitateur » en 2018 pour remettre ce sujet sur la table. Lors de la COP 23, ils n’ont malheureusement donné aucune garantie sérieuse pour que ce dialogue de Talanoa, ainsi renommé par la présidence fidjienne, s’acquitte de cette tâche urgente. Le texte final de la COP23 ne fait « qu’accueillir avec reconnaissance » la tenue de ce dialogue tout au long de l’année 2018, mais il ne lui fixe aucun objectif précis et contraignant si ce n’est d’être « constructif et tourné vers les solutions ».
Mesurons-en précisément les conséquences. L’alerte des scientifiques est claire : les émissions mondiales de GES doivent commencer à décroître d’ici à 2020. Or, compte tenu de la faiblesse des politiques climatiques actuelles, les émissions de CO2 sont reparties à la hausse en 2017 et rien ne permet d’affirmer désormais que la COP24 et ce fameux dialogue de Talanoa puissent contribuer à inverser durablement, et dans des proportions suffisantes, cette tendance. Selon les propres calculs de l’ONU basés sur les engagements pris par les Etats en 2015, un record d’émissions mondiales pourrait être battu chaque année d’ici à 2030 pour atteindre 56,2 Gt éq. CO2 en 2030 (voir ici). Deux ans après la COP21, les Etats n’ont pris aucun engagement et n’ont donné aucune garantie pour que ce scénario catastrophe ne se produise pas.
Procrastination climatique généralisée
Il est aisé de se tourner vers Donald Trump et sa décision de retirer son pays de l’Accord de Paris ou vers le refus de la Chine de réduire ses émissions bien avant 2030. Mais cela ne saurait masquer la responsabilité de l’UE qui, sous couvert de leadership climatique, mène en fait une contre-révolution énergétique en Europe : objectifs climat pour 2030 peu ambitieux, refus de remettre à plat le marché carbone européen qui dysfonctionne, financement et constructions d’infrastructures gazières inutiles, etc. Et la France ? Derrière le slogan #MakeThePlanetGreatAgain s’entasse déjà une longue liste de décisions contradictoires avec l’impératif climatique et, tout aussi important, le refus, jusqu’ici, de mener bataille à Bruxelles, laissant les lobbys de l’énergie français peser de tout leurs poids.
Longue liste de décisions contradictoires à l’impératif climatique
Emmanuel Macron et Nicolas Hulot vont-ils enfin se décider à mener bataille à Bruxelles pour que l’UE se donne des objectifs bien plus ambitieux que les 40% de réduction d’émissions de GES et les 27% d’efficacité énergétique et d’énergies renouvelables pour 2030 ? Rien n’est moins sûr quand on voit qu’Emmanuel Macron s’est empressé de saluer le mauvais compromis sur le marché carbone européen lors de son discours lors de la COP23 à Bonn, tout en restreignant les défis de la transition énergétique en Europe à la construction de nouvelles infrastructures d’interconnexion et de stockage de l’énergie. Sans minimiser ces enjeux, on est bien loin d’une ambition européenne digne de ce nom. Dans le même temps, Nicolas Hulot ne semble pas décider à faire de Bruxelles un axe stratégique de sa politique énergétique : l’axe 20 de son plan climat ne porte aucun objectif en la matière.
Malgré les limites de l’Accord de Paris...
Nous payons aujourd’hui le prix des limites intrinsèques de l’Accord de Paris qui n’a pas été doté de dispositifs suffisants pour imposer aux États de revenir sur une trajectoire inférieure à 2 °C. Ce refus de toute contrainte internationale conduit à des engagements volontaires (bottom up) déconnectés des objectifs globaux de réduction d’émissions, qu’un traité basé sur un droit non contraignant, qui incite plutôt qu’il ne régule ou sanctionne (soft law), ne permet pas de rendre plus ambitieux. Malheureusement, l’Accord de Paris ne permet pas d’imposer aux Etats qu’ils lèvent les sérieuses menaces qui pèsent sur l’avenir et le contenu des politiques climatiques. L’Accord de Paris ne suffit pas pour qu’enfin, après 25 ans de négociations, les émissions mondiales de GES commencent à diminuer. Ce n’est pas nouveau. Mais il faut en être conscient.
Conserver une chance raisonnable de contenir le réchauffement climatique en dessous des 2°C implique d’arrêter de perdre du temps. A commencer par laisser croire à la population que l’Accord de Paris nous met sur la bonne voie et qu’il suffit d’attendre encore pour qu’enfin le réchauffement climatique puisse être maîtrisé. Les 3°C entérinés par les engagements des Etats lors de la COP21 n’étaient pas « un bon point de départ pour aller plus loin », comme l’affirmaient alors les architectes de l’accord de Paris, mais au contraire étaient « le point de départ pour de nouveaux et plus nombreux crimes climatiques dans le futur ». Il est plus que temps d’inverser cette tendance.
… ne cédons pas au climato-fatalisme !
Il ne faut pas pour autant céder au climato-fatalisme : ce n’est pas l’objectif des 2°C (ou celui des 1,5°C) qu’il faut enterrer, pas plus que le processus onusien, mais bien les décisions politiques et économiques qui nous en éloignent de manière irréversible. Puisons le souffle éthique et politique nécessaire pour mettre fin à l’inertie climatique des États là où il se trouve : des mobilisations contre le charbon en Allemagne (Ende Gelaende) à celles des populations indigènes pour la préservation de leurs terres, en passant par toutes les expériences citoyennes en matière de transition énergétique, la société est bien souvent en avance sur les États et les gouvernements. Ces derniers n’ont donc plus aucune excuse : Emmanuel Macron et Nicolas Hulot n’ont plus aucune excuse quand ils prennent des décisions contraires à l’impératif climatique. Entre MakethePlanetGreatAgain et BusinessAsUsual, ils doivent arrêter de tergiverser et mettre fin à toutes les mesures qui ne sont pas climato-compatibles.
Il s’agit donc de trouver les voies juridiques, politiques, sociales pour empêcher des régressions aux effets irréversibles et mener à bien une transition énergétique qu’Emmanuel Macron ne cesse de repousser à plus tard. Le sommet “One Planet Summit” qu’il organise le 12 décembre à Paris doit-être l’occasion de faire en sorte qu’il n’y ait plus un seul euro d’argent public qui transite par la CDC, la BPI, la BEI ou la Banque mondiale pour financer des infrastructures liées aux énergies fossiles. Alors que les Paradise papers ont montré que les pratiques d’évasion fiscale sont au cœur du système économique et des pratiques des multinationales liées aux hydrocarbures fossiles, il nous faut exiger du gouvernement une réponse appropriée et qu’il revienne notamment sur sa décision de saborder la taxe européenne sur les transactions financières et de réduire à portion congrue la taxe française.
A nous de faire l’impossible pour que l’impensable ne se produise pas.
Bien sûr que les États, les villes, les communautés, les mouvements sociaux qui avaient entamé la transition, vont poursuivre leurs alternatives et leurs résistances. Et les amplifier si possible. Mais nous savons aussi que des réglementations politiques sont nécessaires et urgentes pour assurer la pérennité de ces transitions et transformer profondément les soubassements énergétiques de cette machine à réchauffer la planète qu’est l’économie mondiale. La main invisible des marchés n’est pas plus verte qu’elle n’est naturellement sociale ou juste.
Les mobilisations des semaines à venir, à commencer par la journée du 2 décembre contre l’évasion fiscale qui grève la capacité des pouvoirs publics à financer des politiques climatiques ambitieuses, celle du 12 décembre contre le financement des énergies fossiles et fissiles, et le Tour Alternatiba de 2018, devront être entendues : « il n’est pas trop tard pour enterrer les politiques climaticides et accélérer la transition énergétique en France et en Europe ».
L’Accord de Paris ne suffit pas.
Le BusinessAsUsual des Etats ne faiblit pas.
Le cynisme des lobbys industriels est toujours là.
A nous de faire l’impossible pour que l’impensable ne se produise pas.
Maxime Combes, économiste et membre d’Attac France
* MEDIAPART. BLOG : SORTONS DE L’ÂGE DES FOSSILES ! 20 NOV. 2017 :
https://blogs.mediapart.fr/maxime-combes/blog/201117/face-lurgence-climatique-et-linertie-des-etats-place-au-sursaut-citoyen
Urgence climatique : faut-il enterrer l’objectif des 2°C ?
A l’enthousiasme exagéré autour de l’Accord de Paris va-t-il se substituer un pessimisme généralisé sur l’impossibilité de maintenir le réchauffement climatique en deçà des 2°C ? Comme nous l’expliquons, ce n’est pourtant pas l’objectif des 2°C qu’il faut enterrer mais les nombreuses décisions politiques et économiques des Etats et des entreprises qui ne sont pas à la hauteur du défi climatique.
« La bataille des 2°C est presque perdue » titre Le Monde. « Limiter à 2°C le réchauffement climatique est extrêmement improbable » surenchérit France Info. Tandis qu’Europe 1 ou Libération reprennent l’adjectif de « catastrophique » utilisé par l’ONU pour caractériser l’écart entre les engagements que les Etats ont mis sur la table et ce qu’il faudrait faire pour rester en deçà des 2°C. Reconnaissons que le huitième Emission Gap Report du Programme des Nations-Unies pour l’environnement, présenté ce 31 octobre à Genève, n’est pas passé inaperçu, notamment en raison des termes alarmistes utilisés par son directeur Erik Solheim.
A juste titre...
Il suffit d’un graphique pour prendre conscience du problème : l’écart (gap) entre les engagements de réduction d’émissions de gaz à effet de serre (GES) annoncés en 2015, en amont de la COP21, et le niveau qu’ils devraient atteindre pour maintenir le réchauffement climatique mondial en deçà des 2°C fixés par l’article 2 de l’Accord de Paris, est gigantesque. A supposer que les Etats fassent tout parfaitement, à compter de 2030, en matière de réduction d’émission, les calculs des scientifiques montrent en effet que les engagements des Etats pour la période 2020-2030 ne représentent qu’un tiers de ce qu’il faudrait faire.
C’est peu.
[voir graphique ci-dessus]
Urgence climatique : écart entre le réel et le souhaitable
Graphiquement, c’est frappant.
Mathématiquement, c’est indiscutable : au rythme actuel, ce sont entre 11 et 13 gigatonnes de CO2 équivalent (GtCO2e) qui seront relâchés en trop dans l’atmosphère en 2030 pour rester en deçà des 2°C (sur un total d’environ 55 gigatonnes). Et bien plus pour rester en deçà des 1,5°C.
Rien de neuf pourtant : on connaît les données du problème depuis longtemps, dès avant la COP21.
Cet écart entre « le réel » et « le souhaitable » n’est pas nouveau. Pas plus que les études de l’ONU et du PNUE qui en font la démonstration. A J-30 de la COP21, l’ONU publiait déjà une étude – [1] – montrant la gravité de cet écart.
Dès la PreCOP de novembre 2015, réunion de « haut niveau » en présence de Laurent Fabius et de ministres du monde entier, j’avais affirmé [2], au nom de la coalition d’ONG Climate Justice Now, que cet écart entre les 3°C ou plus, le réel, et les 2°C au moins, le souhaitable, n’était pas « un bon point de départ pour aller plus loin », comme l’affirmaient alors les architectes de l’accord de Paris, mais que c’était « le point de départ pour de nouveaux et plus nombreux crimes climatiques dans le futur, aux quatre coins de la planète ». Une gravité inlassablement martelée depuis, appelant les Etats à revoir leurs engagements à la hausse pour résorber cet écart injustifiable.
Que s’est-il passé lors de la COP21 ? Depuis ?
Logiquement, il était attendu de la COP21 qu’elle serve à résorber cet écart entre le réel et le souhaitable, c’est-à-dire que les Etats se partagent l’effort supplémentaire nécessaire pour satisfaire les objectifs globaux qu’ils allaient assigner à la communauté internationale. Il n’en a rien été. Cette tâche, importante s’il en est, a été reportée à plus tard. Un peu comme si vous décidiez de commencer par nettoyer les rebords de votre marmite quand celle-ci commence à déborder plutôt que réduire fortement la puissance du feu de la cuisinière, pour éviter la catastrophe.
Logiquement bis, ce qui n’avait pas été fait lors de la COP21 aurait du être fait depuis ou, a minima, être en cours de négociation. Il n’en a rien été non plus. Pas plus lors du processus de ratification de l’Accord de Paris, entré en vigueur il y a tout juste un an, que lors de la COP22 à Marrakech en 2016 ou lors des réunions préparatoires à la COP23 – qui se tient à Bonn du 6 au 17 novembre – il n’a été question de combler ce fossé. Plus catastrophiste qu’à l’accoutumée, la communication du PNUE va-t-elle contribuer à faire bouger les lignes lors de la COP23 ? Rien n’est moins sûr tant son ordre du jour est principalement technique, portant sur la mise en œuvre des différents dispositifs prévus dans le cadre de l’Accord de Paris.
Alors faut-il enterrer l’objectif des 2°C ?
Frappés par l’étude et le graphique publiés par le PNUE, certains commentateurs attentifs aux enjeux climatiques n’y vont pas par quatre chemins : « On ne va pas se mentir, c’est mort » affirme ainsi le chercheur François Gemenne. Ce n’est pourtant pas ce qu’affirme le PNUE qui trace une ligne de crête, exigeante mais praticable, pour combler l’écart d’ici à 2030 et faire en sorte que « les objectifs de l’Accord de Paris puissent encore être atteints ». Avec plus de 70% des émissions de GES liées à la combustion des énergies fossiles et à l’industrie du ciment, les premières cibles sont claires : sortir du charbon aussi vite que possible en arrêtant d’investir dans les énergies fossiles.
Sans rentrer dans le détail des politiques publiques internationales et nationales qui devraient être menées – nous les avons longuement développées dans le livre Sortons de l’âge des Fossiles et nous y reviendrons dans les jours prochains – il nous semble qu’il ne faut pas se tromper d’interprétation : le PNUE ne dit pas qu’il faut enterrer l’objectif des 2°C.
Que dit le PNUE alors ? Qu’il est « inacceptable », terme du communiqué du PNUE, de ne pas s’atteler dès aujourd’hui à tout faire pour « respecter la promesse que nous avons faite à nos enfants de protéger leur avenir ».
C’est le manque d’ambition climatique des Etats qu’il faut enterrer.
Disons-le autrement : ce n’est pas l’objectif des 2°C qu’il faut enterrer mais les décisions politiques et économiques qui ne sont pas à la hauteur des enjeux.
Voici quelques exemples d’une liste non exhaustive de décisions récentes qui n’auraient jamais du être prises :
• quand une commission d’experts conclut que le CETA n’est pas climato-compatible, il est « inacceptable » qu’Emmanuel Macron et le gouvernement entérinent sa mise en application provisoire ;
• quand on annonce vouloir mettre fin à l’exploration et l’exploitation des énergies fossiles sur le territoire national comme le prétend Nicolas Hulot avec sa loi sur les hydrocarbures, il est « inacceptable » de multiplier les exemptions pour préserver les intérêts des industriels et de refuser de limiter les importations d’énergies fossiles ;
• quand on affirme que les dérèglements climatiques sont une priorité gouvernementale, il est « inacceptable » de supprimer le Fonds Vert français qui doit soutenir les efforts de la Polynésie et de la Nouvelle Calédonie, à peine un mois après Irma et seulement quelques jours avant la COP23 ;
• quand on prétend assumer un rôle moteur dans la lutte contre le réchauffement climatique, il est « inacceptable » de revoir ses ambitions à la baisse comme vient de le faire l’Union européenne, avec la bénédiction du gouvernement français ;
etc.
Alors, oui, il est temps d’enterrer des politiques et des réflexes du siècle passé qui conduisent à un réchauffement climatique insupportable. Mais n’enterrons pas le seul article de l’Accord de Paris qui lui donnait un peu d’ambition : la barre des 2°C doit rester l’horizon indépassable des objectifs de politique climatique nationale et internationale. Demain, et c’est une bataille que nous devons mener aujourd’hui, les Etats, les multinationales et autres acteurs économiques qui contreviennent à cet objectif doivent même pouvoir être sanctionnés pour cela. L’Accord de Paris ne le permet pas. Trouvons d’autres moyens pour qu’il en soit ainsi. Ce devrait être un des enjeux de la COP23 : si les politiques menées par les Etats sont actuellement « inacceptables » comme l’affirme le PNUE, alors elles doivent pouvoir être sanctionnées.
Maxime Combes
* MEDIAPART. BLOG : SORTONS DE L’ÂGE DES FOSSILES ! 3 NOV. 2017 :
https://blogs.mediapart.fr/maxime-combes/blog/031117/urgence-climatique-faut-il-enterrer-lobjectif-des-2-c