En 2011, sur la lancée des printemps arabes, le Yémen entre en révolution. La jeunesse, qui ne trouve pas de travail et étouffe sous la dictature militaro-tribale de Saleh, occupe les places. Aux cris de « Saleh dégage », « ni tribus ni militaires, pouvoir civil », elle entraîne les pauvres frappés par la crise, les paysans de Jahachine aux terres volées par les chefs tribaux. Un million de manifestantEs dans un pays de 25 millions d’habitantEs, le plus pauvre du monde arabe. Parmi les figures du mouvement, une femme : Tawakkol Karman.
Un pays déchiré par l’histoire
Une solution démocratique, mais aussi unitaire, semble se dessiner dans ce pays géographiquement déchiré par l’histoire. Car les Houthis du Nord et les régionalistes du Sud rejoignent l’espoir démocratique. Les Houthis au nord, autour de Saada, s’appuyent sur la tradition politico-religieuse du chiisme zaydite. Ils ont dirigé pendant des siècles le nord du Yémen, jusqu’à la proclamation de la République du Yémen du Nord en 1962. Mais le dictateur Saleh, pourtant lui-même issu du chiisme zaydite, marginalise les territoires du Nord, réactive le conflit sunnite-chiite, bombarde les villages houthis.
Les régionalistes du Sud sont issus d’une autre histoire. Celle de la colonisation anglaise au sud du Yémen, qui fit d’Aden une des grandes bases aéronavales de l’Empire, et des nationalistes yéménites du Sud des révolutionnaires anti-impérialistes. En 1967, ils fondent la République démocratique et populaire du Yémen. Elle durera jusqu’en 1990, victime des purges intérieures et de l’effondrement du bloc stalinien.
Le nord et le sud ne s’unifient donc qu’en 1990 sous la houlette de Saleh. Mais la dictature marginalise les anciennes élites du parti socialiste yéménite, bloque tout développement au sud, accapare les bénéfices des champs pétroliers. Contre Saleh, c’est toute la société yéménite qui reprend espoir en 2011.
« Transition négociée »
Bientôt des secteurs de l’armée, mais aussi les Frères musulmans du parti Al-islah, intégrés de longue date au pouvoir et à la bourgeoisie commerçante et tribale, prennent parti pour le départ de Saleh.
Tout changer pour ne rien changer. C’est sur eux que s’appuyent les USA et l’Arabie saoudite pour une « transition négociée » qui préserve l’essentiel. Le départ de Saleh, avec maintien de son appareil dans l’armée, la transmission du pouvoir à son vice-ministre Hadi, à la suite d’une élection à un seul candidat !
Ce nouveau pouvoir, dénoncé par les révolutionnaires, laisse filer la crise, poursuit le pillage du pétrole par Total, refuse d’intégrer Houthis et régionalistes du Sud. Profitant de la hausse du prix du gaz et de l’impopularité de Hadi, les Houthis marchent en 2014 sur la capitale Sanaa, nouant au passage alliance avec l’ancien dictateur Saleh et ses soutiens militaires qui les bombardaient hier. À l’occasion de ce retournement, Saleh rentre de nouveau dans le jeu du pouvoir.
Intervention militaire saoudienne
Aden prise, c’est le détroit de Bab-el-Mandeb, qui contrôle l’accès au canal de Suez et le commerce maritime entre l’Asie et l’Europe, qui est menacé. Avec l’échec de la solution pacifique américano-saoudienne pour confisquer la révolution, place à la solution militaire en 2015 avec l’opération Tempête de fermeté. Une opération saoudienne, soutenue par le renseignement et les ventes d’armes étatsuniennes et françaises, qui a de nombreux avantages pour le nouveau pouvoir de Mohamed Ben Salman, le prince héritier saoudien. Oubliée la crise économique qui frappe la jeunesse saoudienne, réaffirmé le rôle irremplaçable de l’Arabie saoudite comme gendarme du monde arabe, en réactivant le conflit chiite-sunnite, au moment où les USA de Obama signent l’accord sur le nucléaire avec l’Iran chiite.
Mais l’Arabie saoudite s’enlise au Yémen. Ses bombardements font plus de 8 000 morts, 58 000 blessés. Deux millions d’enfants souffrent de malnutrition. Le choléra explose avec un million de cas. En décembre, Saleh l’ancien dictateur pense être assez fort pour rompre avec les Houthis et négocier un nouvel accord avec les Saoudiens, qui consacrerait son retour et sa victoire. Son échec signera sa mort. La paix états-unienne a le visage de la barbarie.
Franck Cantaloup