Bonsoir à toutes et tous. Durant les 12 minutes qui m’ont été accordées, je voudrais vous présenter les activités du Forum populaire Asie-Europe. Cette question est importante pour donner toute sa dimension internationale aux actions des mouvements et acteurs sociaux, en particulier en Europe.
Les liens de solidarité entre mouvements européens et mouvements asiatiques sont malheureusement moins développés qu’en ce qui concerne la zone méditerranéenne, l’Afrique ou l’Amérique latine. La tenue, en janvier prochain, du Forum social mondial en Inde contribuera certainement à renforcer ces liens. Mais jusqu’à aujourd’hui, le Forum populaire Asie-Europe est l’un des rares réseaux militants qui construit un pont entre les deux extrémités du continent eurasiatique. Or, l’Union européenne intervient en Asie, et cela nous concerne donc.
Le premier Forum populaire Asie-Europe s’est réuni en 1996, à l’initiative d’organisations de la société civile et en réponse à la création d’ASEM. ASEM est le sigle anglais des rencontres officielles Asie-Europe. Tous les deux ans, les chefs d’Etat et de gouvernements de l’Union européenne rencontrent de façon assez informelle les représentants de la plupart des Etats d’Asie orientale. Quatre rencontres se sont déjà tenues à Bangkok, à Londres, à Séoul et à Copenhague. A ces quatre occasions, le Forum populaire Asie-Europe s’est lui aussi réuni. La prochaine rencontre se tiendra à l’automne 2004 au Viêt-Nam et nous attendons l’autorisation du gouvernement vietnamien pour pouvoir organiser cette fois encore notre propre forum.
Les premiers objectifs poursuivis par l’Union européenne sont économiques, avec en particulier l’ouverture des marchés asiatiques. Elle pousse à toujours plus de libéralisation et de privatisations en Asie, elle cherche à doter l’Organisation mondiale du commerce de nouveaux champs d’intervention. Le Forum populaire Asie-Europe s’est en conséquence tout d’abord attaqué au paradigme néolibéral dont se réclame l’Union européenne. Il exige des gouvernements qu’ils prennent en compte les effets sociaux de ces politiques néolibérales. Il s’attache à favoriser le développement d’initiatives populaires, la définition d’alternatives et des moyens qui permettront de résoudre les problèmes sociaux.
La présence européenne en Asie orientale est plus faible que celle des Etats-Unis ou du Japon. Or, cette partie du monde est considérée comme très importante, au vu de ses capacités de croissance économique. Pensez en particulier au marché d’investissement que représente la Chine ! Les rencontres intergouvernementales Asie-Europe visent ainsi à renforcer la présence des multinationales européennes dans cette région, face à l’hégémonie des Etats-Unis et du Japon.
L’un des aspects les plus préoccupants, après le 11 septembre 2001, concerne la position européenne sur la lutte contre le terrorisme, qui a de sérieuses implications pour la défense des droits démocratiques et humains, en Europe même et en Asie.
En Europe, les demandeurs d’asile et les réfugiés font les frais de cette nouvelle politique. Les Etats membres de l’Union adoptent des lois et des mesures spéciales tournées exclusivement contre les étrangers. En Asie, les membres de l’ASEAN se sont mis d’accord pour collaborer plus étroitement avec les Etats-Unis. Lors de la dernière rencontre ASEM, Europe-Asie, à Copenhague, une déclaration a été adoptée sur la Coopération contre le terrorisme international. Ce nouveau système de sécurité « globale » renforce les régimes autoritaires en Asie, il les légitimise et remets en question les avancées démocratiques de la période précédente.
Lors du Forum régional de Brunei entre les pays de l’ASEAN et les Etats-Unis, les Philippines, la Malaisie et l’Indonésie sont devenus les premiers co-signataires d’un « pacte anti-terroriste ». Un centre régional anti-terroriste, géré conjointement par la Malaisie et les Etats-Unis, doit être établi. En 2002, Washington a fourni 16 millions de dollars à la police indonésienne. Aux Philippines, où les bases US avaient été fermées il y a une décennie, des troupes US sont revenues dans le Sud du pays, à Mindanao, sous couvert de combattre le groupe Abbu Sayyef.
Lors d’une rencontre récente à Bangkok où se sont retrouvés des représentants de la société civile asiatique, le Forum populaire Asie-Europe a lancé un cri d’alarme face au processus de remilitarisation en Asie. Ainsi qu’un cri d’alarme face au développement de multinationales asiatiques dont les pratiques en matière d’emploi font naître de nouvelles formes de précarité du travail. Des entreprises sud-coréennes au Viêt-nam ne paient les travailleurs que 30 dollars par mois ! La privatisation de services essentiels, comme la distribution d’eau, la santé ou l’éducation, sert aujourd’hui à dégager des fonds pour répondre aux exigences de Washington en matière de sécurité. La situation en Birmanie s’avère aussi toujours plus préoccupante.
Une question fondamentale se pose à la société civile : quels types de relations de solidarité peuvent se développer entre nos deux régions, à l’heure des campagnes anti-terroristes, de la montée de l’extrême droite et des fondamentalismes (de toutes religions !) ? De sérieuses questions se posent quant à la redéfinition des partenariats Nord-Sud. Les liens de solidarité au sein des sociétés civiles asiatiques évoluent aussi. En Asie, les organisations de la société civile cherchent à répondre aux évolutions sociales et à l’affirmation d’identités multiples.
Dans ce contexte tout particulièrement, le Forum populaire Asie-Europe doit se renforcer, ainsi plus généralement que les liens entre mouvements européens et asiatiques. C’est particulièrement vrai pour l’Espagne, l’Italie, le Portugal, qui ne sont pour l’instant pas représentés dans notre forum. Au sein du Forum Asie-Europe, le groupe de travail pour un accès juste à l’eau opère, ainsi que d’autres sur la question des migrants ou du dialogue interreligieux et interculturel. Mais tout cela doit être renforcé. Nous espérons que le développement des forums sociaux en Europe et Asie contribuera à ce renforcement.
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Sept ans après son lancement, l’avenir du processus ASEM est en question. L’Organisation mondiale du commerce était un élément clef de la politique de l’Union européenne ; elle est en crise ouverte après Cancun. L’Union européenne cherche aussi à réintégrer le jeu diplomatique et stratégique en Orient ; mais les Etats-Unis ne sont pas prêts à partager la puissance. L’élargissement de l’Union va exiger des instances européennes beaucoup de moyens ; pourront-elles encore donner de l’importance à l’Asie ? Or, en Asie même, les relations géostratégiques se compliquent. Les Etats indien et chinois prétendent jouer le rôle de nouvelles puissances, au moins à l’échelon régional.
L’avenir du processus ASEM sera probablement discuté à l’occasion de la réunion qui se tiendra dans un an au Viêt-Nam, un pays qui ressent tout particulièrement l’impact de la nouvelle situation internationale.
L’Union européenne prétend proposer à l’Asie un « partenariat constructif ». Nous nous attachons aux réalités plutôt qu’aux déclarations d’intention. La réalité, côté français puisque nous sommes en France, ce sont les multinationales françaises de l’Environnement qui contribuent à privatiser la gestion de l’eau en Asie. C’est cette agro-industrie bien française qui, à force de dumping à l’exportation, détruit les paysanneries du tiers monde et nie le droit à la souveraineté alimentaire, à la sécurité alimentaire. La réalité, c’est encore le trust pétrolier français TotalFinaElf qui impose sa loi, nous pouvons dire sa dictature, de l’Afrique à la Birmanie, et ne rechigne jamais à traiter avec un régime militaire pour peu qu’il garantisse ses profits.
Cette réalité-là de la politique française et européenne, nous la combattons. Nous voulons la combattre avec vous.