Nous vivons les derniers jours de la campagne électorale et nous entrons dans la semaine des élections imposées par le gouvernement espagnol depuis son coup d’État. La répression a été forte, et le mouvement républicain se doit de se préparer rapidement à la résistance pacifique et à la désobéissance civile. Qui de mieux pour parler de tout cela qu’un disciple de Lluís Maria Xirinacs, membre fondateur de la Crida a la Solidaritat [1] et actuellement numéro 1 de la liste électorale de la CUP sur la circonscription de Barcelone ? Le candidat de la CUP souligne que la transition « de la loi [espagnole] à la loi [catalane] » n’a pas pu se faire, comme certains l’avaient pronostiqué, qu’avec le sourire cela ne suffit pas, que le nouveau gouvernement devra négocier en parlant du point de départ et pas du point d’arrivée, que plusieurs structures de l’État catalan n’ont pas été préparées avec réalisme, que la position des Comuns relève plus du cynisme que de l’ignorance, et qu’il faudra faire des pas en avant et des pas en arrière dans cette nouvelle phase vers la consolidation de la République.
Pere Cardús : Vous êtes un disciple de Xirinacs.
Carles Riera : Intellectuellement, dans le camp de l’indépendantisme, je me reconnais dans deux personnes : Lluís Maria Xirinacs et Aureli Argemí.
– On ne sait si Xirinacs aurait commencé à écrire une nouvelle « trahison des chefs » après le 27 octobre…
– Je dirais, pas encore. Mais peut-être aurait-il commencé à en rédiger l’ébauche pour parer à toute éventualité. Mais je crois que non. Il faut reconnaître que le gouvernement de la Generalitat, avec l’implication de Junts pel Sí, a rendu possibles le 1er octobre et la proclamation de la République le 27 octobre. Ce n’est pas rien. Ce sont deux étapes très importantes. Ouah ! Ce sont parmi les principales – pour ne pas dire les plus importantes – étapes proposées par cette législature. Tout le monde a reconnu son mérite. Ce qui s’est passé le 28 octobre, la non mise en place de la République, je n’appellerais pas ça une trahison. Je dirais faiblesse, manque de préparation, manque de détermination… En fin de compte. Fragilité… Mais il est vrai que Xirinacs aurait commencé à prendre des notes pour éventuellement faire un quatrième volume.
– Sa proposition de résistance pacifique et de désobéissance civile est-elle aujourd’hui plus nécessaire que jamais ?
– En fait, la violence révolutionnaire est légitime. Même les Nations unies la reconnaissent dans des situations déterminées. Elle est absolument légitime. De même Gandhi, qui disait qu’avant la soumission, la violence était meilleure. Lui, a opté pour la non-violence. Mais, avant de se rendre ou de se soumettre, mieux vaut la violence, disait Gandhi.
– Je fais partie de cette école qu’a ouvert ici Lluís Maria Xirinacs – dont il fut l’un des fondateurs – de stricte obédience gandhienne. Elle a son origine avec Gandhi et elle a d’importants antécédents. Elle a également une bonne référence dans l’Afrique du Sud de Mandela et dans de nombreux autres pays. La résistance pacifique et la désobéissance non violente ont une longue tradition et des racines dans les luttes populaires dans le monde. Il est vrai que les luttes armées sont les plus visibles et les plus frappantes. Mais en général, les gens se défendent de manière non violente. En effet, je viens de cette tradition, avec Xirinacs en premier, et avec la Crida plus tard. Avec tout le respect pour les peuples et les nations qui optent pour des méthodes de lutte qu’ils considèrent justes et légitimes en tout temps. Mais, en fait, je pense que cette proposition de résistance pacifique et de désobéissance civile est plus valable que jamais en Catalogne. Le mouvement républicain en Catalogne a vu que la stratégie de résistance non violente est la plus appropriée maintenant. Cela ne veut pas dire que l’État espagnol n’agit pas violemment. Mais cela implique que, avec le temps, cette violence se retournera contre lui.
– Les Catalans sont-ils prêts à supporter la violence de l’Espagne ?
– La CUP a une très grande confiance dans le peuple de Catalogne. Nous avons confiance dans les deux millions de personnes qui ont voté le 1er octobre dans des conditions de répression énormes et avec un risque très élevé de blessures. Nous avons confiance aussi avec ceux qui se sont organisés pour défendre les urnes, les bulletins et les collèges électoraux. Et dans les personnes qui se sont mobilisées pour les grèves du 3 octobre et du 8 novembre. Beaucoup d’entre elles ont fait un pas en avant qu’elles n’avaient jamais fait. Et ceci n’a pas été fait par des militants rompus aux luttes sociales, mais par les citoyens. Nous croyons dans la force et la conviction des gens. A Bruxelles, nous avons vu à nouveau la capacité mobilisatrice du mouvement républicain. Et ceci est notre force principale. Quand ce sont les gens qui poussent, les choses avancent plutôt bien. C’est lorsque tu dois agir dans les institutions que les choses se bloquent et que tu trouves cela difficile. Il faudrait réussir à ce que le parlement dispose d’une majorité suffisante pour à nouveau transférer aux actions institutionnelles ce que les gens disent.
– Je ne vous le demandais pas pour la capacité mobilisatrice et le moment des sourires mais pour la forte violence avec des morts possibles dans la rue. Parce que c’est bien de cela dont ils nous ont parlé il y a quelques semaines…
– Ces dernières années, un message s’est consolidé et il passait plutôt bien car le mouvement était pluriel et transversal. C’était cette double idée de la Révolution des Sourires et de la transition « de la loi à la loi ». Il a été démontré que ce n’est pas le cas. La transition de la loi à la loi, ça na rien donné. La Révolution des Sourires a été, est et sera très importante, mais nous devons aussi commencer à montrer nos dents. Nous devons sourire, mais nous devons également lever les poings. Toujours dans une stratégie non violente, mais commençons à montrer nos dents. Vous m’avez questionné sur la trahison. Et je vous ai dit que nous ne pouvons pas parler de trahison. Je pense que Junts pel Sí et le gouvernement étaient des otages, conscients ou naïfs, de ces pensées magiques. Une pensée fondée sur l’idée d’un État espagnol plus démocratique et dialoguant démocratiquement, d’une Union européenne moins « démophobique » et moins conservatrice, accrochée au statu quo. Certes, ils ont prévu des outils pour mettre en œuvre la République. Et les structures de l’État et tout l’ensemble. Mais ce sont des outils conçus pour pouvoir les appliquer dans un contexte de trêve relative. Avec du conflit, avec de l’hostilité, avec des exigences-concessions, mais avec moins de violence et avec un accord certain d’un dialogue international. Quelque chose qui n’a pas eu lieu. Il y avait une mauvaise stratégie et un manque de détermination. Et un manque de confiance dans la participation de la population…
– Paternalisme ?
– Un certain paternalisme. Le 1er octobre, tout le monde a été dépassé. Le gouvernement de la Generalitat et les entités souverainistes aussi. Personne ne s’attendait à ce qu’il se passe ce qu’il s’est passé. Que plus de deux millions de personnes votent, que des centaines de milliers de personnes défendent les collèges électoraux de cette façon, que la police réprime à ce niveau-là, qu’une grève avec une telle force se produise le 3 octobre. Sûrement, le gouvernement de la Generalitat et Junts pel Sí s’attendaient à un processus vers l’indépendance qui ne change pas le statu quo. A partir du 1er et du 3 octobre, il y a eu un déplacement de l’hégémonie culturelle dans le champ politique vers des positions non seulement indépendantistes, mais avec une radicalité démocratique et sociale. Et émerge alors la possibilité qu’une partie importante de la population veuille réaliser l’indépendance pour changer beaucoup de choses. Ceci a pu gêner quelques secteurs de Junts pel Sí et du gouvernement.
– Si c’est comme vous le dites, cela pourrait-il être l’une des préoccupations de l’Europe ?
– C’est clair. Son souci n’est pas seulement que puisse se multiplier le phénomène pro-indépendance, que l’on peut finalement compter sur les doigts de la main. Sûrement, le souci est que dans un territoire européen plus de deux millions de personnes fassent une révolution démocratique. Ils craignent que tant de personnes puissent penser et être disposées à défendre que, si les lois sont injustes ou inadéquates, alors l’État espagnol, les juges, les procureurs et la police puissent être désobéis… C’est cela qui préoccupe les pouvoirs de l’Union européenne. S’ils ont déjà essayé de l’écraser en Grèce, il est évident qu’ils l’essaieront aussi ici. La violence de l’État et cette peur de la révolution démocratique expliquent la paralysie de l’Europe au lendemain du référendum. Et cela explique aussi les pressions qui ont été faites sur Puigdemont pour arrêter la déclaration d’indépendance.
– Je vois que vous ne tenez pas compte des raisons techniques dans la décision du 27 octobre, comme par exemple le contrôle des finances pour payer la masse salariale des policiers, des médecins, etc. Quel contrôle effectif serait possible sans cela ?
– Bien sûr. Si vous voulez devenir indépendant, vous devez avoir la majorité. Nous l’avons. Juste, mais tant que nous avons compté, nous avons été majoritaires. Nous devons également avoir le contrôle du territoire. Et nous ne l’avons pas. Et nous avons besoin d’un soutien international ; pour l’instant nous en avons très peu. Des trois jambes dont nous avons besoin, deux sont faibles. Le contrôle du territoire se fera-t-il par les mécanismes habituels de l’usage de la force sans armée, police ou milice ? Comment allons-nous contrôler le territoire ? Nous entrons dans un domaine un peu inconnu. Comment le contrôle du territoire peut-il se faire sans avoir recours à la violence ? Nous devons penser aux conseils municipaux, aux CDR et au mouvement social qui a la capacité de contrôler efficacement le territoire. Le 8 novembre était un essai de ce type de contrôle. Mais c’est une inconnue évidente. Et nous devons avoir accès à une économie qui nous permette de faire fonctionner le pays. Et si on nous ferme la banque, nous n’avons que deux moyens : accéder au financement international, ce qui est complexe, ou ouvrir des procédures de collecte fiscale de façon unilatérale. Pour ce deuxième moyen, il faut une structure et la détermination des personnes à commencer à payer des impôts dans cette nouvelle banque. Mettre en œuvre la République avec ce que nous devons faire en ce moment est difficile. C’est un défi très compliqué. Mais il n’y a pas d’autre alternative que d’essayer.
– Cela signifie-t-il qu’il n’y a pas eu de travail réalisé en termes de capacité économique et financière ? Les dix-huit mois devaient le faire, n’est-ce pas ?
– Ce sont les doutes que nous avons sur la préparation qui a été faite. De cela, nous en avons discuté quand s’est approché le 10 octobre et nous aurions dû proclamer l’indépendance au parlement. C’est vrai que le 10 le monde entier nous est tombé sur la tête. Nous avions cru que le président Puigdemont allait déclarer l’indépendance. Et deux heures avant, il nous a dit qu’il ne le ferait pas, pour toutes les raisons que nous connaissons déjà. Mais des jours auparavant, nous avions déjà commencé à voir des absences, des fragilités et des faiblesses. La préparation des structures étatiques était inégale. Et ce n’était pas solide dans tous les aspects. Et la capacité à assumer le financement de la première période a été faite sur la prévision d’un scénario complètement irréel. Nous l’avons dénoncé et nous avons discuté avec le gouvernement et Junts pel Sí. Mais il était nécessaire de continuer à aller de l’avant. Et il y avait un engagement à réaliser, le mandat référendaire. Il fallait faire confiance aux gens et arriver au but. Pourquoi certaines structures étatiques n’ont-elles pas été préparées de manière suffisante ou réaliste ? Eh bien peut-être parce qu’au sein du gouvernement, tout le monde ne faisait pas face à ce moment-là avec la même conviction et la même détermination. Il existe des inégalités dans les structures de l’État préparées en fonction de qui elles dépendaient.
– Il semble évident que ce n’est pas une bataille qui se gagne seulement avec de la démocratie, non ?
– La démocratie finit par s’imposer. À court, moyen ou long terme. Mais elle finit toujours par s’imposer. Et je suis convaincu que nous y parviendrons. Nous avons un mouvement de masse républicain. Et cela est un fait très puissant. Nous avons une majorité de conseils municipaux alignés avec ce mouvement. Jeudi prochain, nous pouvons revalider la majorité parlementaire républicaine. Nous avons des éléments très importants ; mais il est vrai que l’État espagnol continue d’avoir le monopole de la force, du pouvoir judiciaire, de la police, du contrôle de la banque… et tout cela n’est pas une blague. Cela nous conduit à un certain isolement international. Cela nous fait dire que nous nous dirigeons vers un scénario d’un certain nombre d’années.
– Combien d’années ?
– Cela peut prendre trois, quatre ou cinq ans, je ne sais pas. Durant quelques années pourrait continuer notre stratégie de la gestion du conflit et la désobéissance à l’État espagnol. Il sera nécessaire de résister à la répression que cela pourra entraîner. Et commencer à construire l’institutionnalité républicaine, à développer le processus constituant et à légiférer avec la logique républicaine. Nous entrons dans une logique où nous allons faire un pas en arrière, deux en avant, un en arrière, quatre en avant. En utilisant la terminologie de Gramsci, nous aimons dire que nous avons atteint l’hégémonie dans la culture politique : l’indépendance, la radicalité démocratique, un bond en avant dans les droits. Nous avons également réussi à faire du projet républicain un facteur d’intégration clair dans la construction d’un pays pour tous.
– Vous le dites au passé ?
– L’unionisme [L’idéologie de l’Espagne une et indivisible. NdT] a voulu casser ce projet. Et il est vrai qu’il y a eu une certaine fracture d’identité que nous ne voulions pas. Il faut maintenant générer un discours républicain un peu moins identitaire, très civique et très social. Tout cela doit être dit, expliqué et, surtout, le faire. Et sans oublier que nous sommes dans une situation de répression et de conflit de la part de l’État espagnol. Nous avons réussi à déplacer l’hégémonie, en termes gramsciens, et maintenant nous devons entrer dans la guerre de positions. Nous devons aller de l’avant, gagner du territoire, le contrôler et aller de l’avant à nouveau. Cela impliquera une répression importante à certains moments. Nous le savons. Nous en sommes conscients Mais nous avons une grande confiance dans la population de ce pays. Et nous sommes prêts à en assumer l’entière responsabilité avec toutes les conséquences.
– Carles Puigdemont doit-il revenir en Catalogne et doit-il continuer à être le président ?
– S’il doit revenir ou non, quand et comment, c’est une décision souveraine de sa part. Toute décision qu’il prendra, nous la respecterons. Je tiens à souligner que nous avons beaucoup de respect et une grande solidarité avec le gouvernement que nous avons en exil et en prison. Parce que nous avons eu de grandes divergences et controverses, mais nous avons aussi eu des convergences très importantes. Chacun a fait sa part de sacrifice et d’effort et a assumé ses contradictions. Et ils ont assumé et assument en ce moment les plus grands sacrifices de la répression. Par conséquent, tout notre respect et notre solidarité. Espérons que l’actuel président légitime de la République puisse revenir normalement. Ne pas pouvoir le faire est un signe supplémentaire de l’anomalie démocratique absolue de ces élections du 21 décembre. Ce sont des élections convoquées dans un contexte de coup d’État.
– Le président devrait-il continuer à l’être ?
– À partir du 22 décembre, il ne s’agit pas de parler de noms mais plutôt d’un programme politique et d’un agenda. Par conséquent, nous ne voulons pas entrer dans ce casse-tête qu’ont JuntsxCat et Esquerra pour voir qui devrait être président. Ce n’est pas que nous nous défaussons ; nous pensons que maintenant ce n’est pas nécessaire. L’objectif est d’obtenir une majorité républicaine au parlement. Nous voudrions aussi qu’il y ait une majorité plus déplacée vers la gauche pour pouvoir légiférer en faveur des classes populaires. Il nous semble que c’est le meilleur moyen de réparer des blessures et de faire une République intégratrice. Quand arrivera le temps d’investir et de former le gouvernement, la clé sera l’engagement pour la République, pour la désobéissance à l’État, au 155, et pour un processus constituant.
– Comment cela peut-il être fait dans ce contexte ?
– D’abord, en déployant la loi juridique de transition. Il est également nécessaire de restaurer les décrets et les lois principalement pour la protection sociale, environnementale ou d’équité que la Cour constitutionnelle a toujours suspendus à la demande du gouvernement espagnol. Il faut faire acte de souveraineté avec tous ces décrets et lois contre les expulsions, le logement, l’égalité des hommes et des femmes, contre la pauvreté énergétique… Ils doivent être restaurés. Et nous devons commencer à légiférer avec la logique républicaine. Et c’est là où nous proposons une opportunité aux Comuns et aux socialistes : écoutez, si vous voulez légiférer ici pour servir une économie sociale et au service des classes populaires, dans le cadre statutaire et constitutionnel, nous ne pourrons pas le faire. Cela ne peut se faire que dans le cadre républicain. Parce que, sinon, nous serons où nous en étions. Ils nous diront que nous empiétons sur les pouvoirs de l’État espagnol ou que nous attaquons l’unité du marché ou les intérêts des sociétés de l’Ibex35 [Le CAC40 en Espagne. NdT].
– Le point de départ est-il plus important que les objectifs finaux en ce moment ?
– Si nous voulons vraiment arriver à bon port, il faudra le faire dans le cadre de la République. C’est le point de départ. La consolidation de la République sera faite quand nous le pourrons. Quand nous le pourrons ! Parce que tout cela se fera dans un contexte de répression très forte. Cette fois nous ne négocierons pas sur les objectifs, mais sur le point de départ. La République dès le début, la loi de transition, le processus constituant et la désobéissance au 155. Si tel est l’engagement, nous n’investirons pas seuls le président pour prendre en charge ce programme. Nous serons disposés à participer en assumant n’importe quelle responsabilité et toutes ses conséquences. Dans un tel gouvernement, le président Puigdemont ou le vice-président Junqueras seraient les bienvenus, bien sûr ! Il ne manquerait plus que ça !
– La CUP est-elle plus proche de Junts per Catalunya que de la gauche d’obédience espagnole ?
– Si vous évoquez le Parti socialiste comme la gauche d’obédience espagnole, sans aucun doute.
– Si j’avais fait référence au Parti socialiste, je n’aurais pas utilisé le mot « gauche »…
– Vous m’interrogez sur Podem et les Comuns, donc. Du point de vue républicain et du projet de rupture démocratique avec l’État espagnol, oui. Si nous parlons de la volonté de matérialiser la République dans les termes dont nous avons parlé jusqu’à présent, il est clair que nous sommes plus proches de Puigdemont et d’Esquerra Republicana que de Podem et des Comuns. J’insiste : dans la perspective de mettre en œuvre le mandat du 1er-Octobre et pas de retourner à la machinerie du statut [d’autonomie]. En ce sens, nous sommes plus proches d’Esquerra Republicana et de Puigdemont. Et je souligne Puigdemont. Autre chose est le PDECat. Mais nous avons aussi l’objectif d’influencer autant que possible pour que le futur parlement soit majoritairement républicain et qu’il y ait un virage vers la gauche, ce qui nous permettra de légiférer en termes républicains avec sensibilité sociale. Du point de vue social, avec les Comuns, il y a beaucoup de convergences. Pour cette raison, nous leur demandons de se joindre à la révolte démocratique de rupture avec le régime de 78. Nous ne perdons cet espoir [qu’ils le fassent].
– L’impossibilité de promouvoir une telle politique sociale dans le cadre de l’autonomie constitutionnelle est un fait démontré. La position des Comuns relève-t-elle de l’ignorance ou du cynisme ?
– Je pense que c’est plutôt du cynisme. Quand il y a eu la crise du régime de 78, avec la crise économique, l’explosion de la corruption et la crise de la monarchie, certains secteurs des oligarchies de l’État ont décidé de sauver le régime avant la chute du PP et du PSOE. Et ils l’ont fait par deux canaux. Avec Ciudadanos à droite et Podemos à gauche. Il semble clair que, même si Podemos est né du 15-M et d’une volonté de changement et de transformation républicaine de l’État espagnol, il est sûr que certains secteurs de l’establishment y ont vu l’opportunité de sauver le régime en compensant la chute du PSOE. Et il y a des groupes patronaux et médiatiques qui se tiennent derrière Ciudadanos et Podemos. Au moins, en leur aplanissant le terrain et en leur donnant espaces et opportunités. Podemos s’est toujours mû dans ce dilemme : être une force « régénérationniste » de l’État par la gauche ou être une force qui rompe avec le régime du 78 comme il l’avait annoncé à l’origine.
– A-t-il commencé à le résoudre ?
– Il semble que le virage vers le « régénérationnisme » ou le réformisme est clair. Il se déporte maintenant sur le terrain de la monarchie, de la Constitution et du Statut [d’autonomie] et se veut la force de gauche de ce statu quo. C’est inquiétant. La fracture intervenue dans Podem Catalunya, nous dirions, est précisément pour cette raison. Albano-Dante Fachin représente le discours des origines et, malheureusement, Domènech et compagnie représentent le discours de réadaptation. Il s’agit d’un cynisme certain. Ils savent parfaitement qu’un référendum négocié est impossible. Le dictateur [Franco] a laissé tout verrouillé et bien verrouillé. La réforme constitutionnelle de type fédéral ou confédéral est une possibilité complètement virtuelle. Ils [Podemos] savent bien que c’est non viable. Il s’agit bien de cynisme. Ils confortent l’État et le statu quo.
– Au début, votre participation à la Crida a été remarquée. Avec Jordi Sànchez et Àngel Colom, vous en étiez les visages les plus connus. Et maintenant Sànchez est en prison. Que pensez-vous de cela ?
– Je suis très ému de parler de cela. Parce que sa situation me peine beaucoup. Avec tous les adhérents de la Crida, bien que nous ayons eu des trajectoires très différentes et que nous ayons pu avoir des divergences politiques, il y a quelque chose qui nous maintient unis et amis. Quand je vois Jordi, nous nous sentons comme des camarades. Indépendamment des différences politiques. Quand nous nous sommes rencontrés récemment, nous les adhérents de la Crida pour défendre les Jordis, c’est comme si c’était hier. Cela me touche et cela m’affecte d’en parler. Jordi est une personne aimée et respectée. Et ça me peine qu’il soit en prison. Lui, Jordi Cuixart, Oriol Junqueras et Joaquim Forn. Sa situation me peine, celle de tous les emprisonnés. Mais avec Jordi Sànchez, la relation est spéciale. Pour la CUP, c’est évident, et personnellement je ferai tout ce qui est nécessaire à tout moment pour qu’ils sortent de prison le plus tôt possible. Je n’ai pas encore pu aller le voir en détention. Nous avons échangé des messages par l’intermédiaire d’une tierce personne. Que nous puissions nous retrouver au parlement bientôt !
Propos recueillis par Pere Cardús, 16 décembre 2017