Après une course à l’installation de champs d’éoliennes qui fait d’elle le pays le plus équipé au monde avec 149 GW de capacités fin 2016, la Chine se trouve face à un défi : utiliser cette énergie. Faute d’un réseau électrique adapté, et face à la concurrence du charbon, la Chine impose régulièrement aux entreprises du secteur de mettre leurs éoliennes à l’arrêt.
Au premier trimestre 2017, elle a ainsi gaspillé 13,6 % de son énergie éolienne en raison de quotas insuffisants. En 2016, les pertes s’étaient élevées à 17 % des capacités installées. Résultat : malgré des capacités plus de deux fois supérieures à celles des Etats-Unis, la Chine produit seulement 7 % d’énergie en plus avec ses éoliennes.
Le 13 novembre, l’Administration nationale de l’énergie s’est donné l’objectif de mettre fin aux restrictions imposées aux producteurs d’énergie éolienne d’ici à 2020. Il y a urgence : d’après l’Association chinoise de l’énergie éolienne, les producteurs du secteur ont perdu 18 milliards de yuans (2,4 milliards d’euros) de revenus en 2015 à cause des limites imposées par les autorités locales.
Le problème est particulièrement aigu dans les provinces du nord de la Chine, venteuses et peu vallonnées, où se concentre l’essentiel des capacités éoliennes : au Gansu et au Xinjiang, respectivement 33 % et 29,3 % des capacités de production d’énergies renouvelables ont été négligées au troisième trimestre 2017.
Autre point commun des provinces du Nord : elles sont riches en charbon. En 2015, l’année où la Chine signait l’accord de Paris sur le climat, promettant de faire passer la part des énergies renouvelables à 20 % de sa production d’énergie pour atteindre le pic de ses émissions en 2030 au plus tard, le pays approuvait aussi la construction de 155 centrales à charbon.
Le ministère de l’environnement est revenu sur certaines autorisations, mais la Chine se retrouve aujourd’hui avec des capacités de production d’énergie qui dépassent de 35 % ses besoins. En 2016, le charbon représentait 65 % de la consommation d’énergie chinoise, contre 4 % pour l’éolien et 1 % pour le solaire.
Fin des subventions
Conscient du problème, Pékin a commencé à réagir mi-2016. Le ministère de l’environnement a émis des « alertes rouges » pour cinq provinces chinoises, suspendant immédiatement l’approbation de nouveaux projets éoliens pour les mauvais élèves. En 2016, le rythme des installations a ralenti, les capacités chinoises progressant de 18 %, contre 30,5 % en 2015. Assez pour faire reculer le premier producteur chinois, Xinjiang Goldwind, qui vend surtout ses turbines dans son pays, de la première place mondiale à la troisième.
A plus long terme, Pékin souhaite assainir le marché en évitant les effets d’aubaine provoqués par les subventions. En septembre, l’Administration nationale de l’énergie a lancé un projet pilote de 13 fermes éoliennes : elles ne bénéficieront ni de subventions ni de tarifs préférentiels. En contrepartie, le réseau local aura l’obligation d’acheter 100 % de leur énergie.
Un système similaire à celui de la France, où l’opérateur du réseau électrique est responsable du raccordement des nouveaux projets électriques, sous peine d’amende. Si elle paraît moins alléchante pour les investisseurs, cette formule pourrait résoudre un autre problème : les retards au versement des subventions. Actuellement, l’Etat a plus de deux ans de retard cumulé, et doit 60 milliards de yuans (7,6 milliards d’euros) aux entreprises.
Simon Leplâtre (Shanghaï, correspondance)
* LE MONDE ECONOMIE | 11.12.2017 à 11h49 :
http://www.lemonde.fr/economie/article/2017/12/11/l-eolien-chinois-confronte-a-la-surproduction-et-au-gaspillage_5227944_3234.html
En Chine, l’éolien ne tourne pas rond
La Chine se veut un exemple en matière d’énergie renouvelable, mais les autorités locales, dépendantes du charbon, font de la résistance. Résultat : un quart des turbines sont à l’arrêt.
La Chine, championne des énergies renouvelables ? Pékin aimerait, mais les autorités locales font de la résistance. Dans les régions productrices de houille, les gouvernements locaux font tout pour privilégier les centrales à charbon, pourtant la source d’énergie la plus polluante. Quitte à forcer les éoliennes à rester à l’arrêt.
Au premier trimestre cette année, un quart des turbines n’ont pas tourné dans le pays et certaines entreprises du secteur ont reçu l’ordre de mettre à l’arrêt 60 % de leurs moulins. En 2015, 15 % de la capacité chinoise avait déjà été gaspillée. Pourtant, dans le même temps, la Chine installait de quoi produire 33 gigawatts d’énergie éolienne – une augmentation de 29 % en une année. Résultat, malgré une capacité d’énergie éolienne installée (145 gigawatts [GW]) deux fois supérieure à celle des Etats-Unis (75 GW), la Chine produit moins d’énergie à partir du vent (190 térawattheures [TWh] contre 186 TWh).
Gaspillage organisé
Un gaspillage organisé que les producteurs ne veulent plus subir. Fin mars 2016, l’Association chinoise de l’énergie éolienne (ACEE), qui représente les professionnels du secteur, a accusé publiquement les autorités du Gansu, du Xinjiang et du Yunnan, dans l’ouest du pays, d’avoir adopté des mesures nuisant aux producteurs de renouvelables, violant une loi de 2005 sur le développement des énergies propres en Chine. Un sujet si sensible que le secrétaire général de l’association, Qin Haiyan, a refusé la demande d’entretien du Monde.
LA CHINE S’EST POURTANT DONNÉ DES OBJECTIFS ASSEZ AMBITIEUX DE RÉDUCTION DES ÉMISSIONS DE GAZ À EFFET DE SERRE
En décembre 2015, les autorités du Xinjiang ont réduit les quotas d’énergie achetée aux producteurs de solaire, d’éolien et d’hydraulique. Elles leur ont imposé une taxe supplémentaire, avec laquelle elles ont subventionné des centrales thermiques au charbon, dénonce l’association. Au Gansu, le gouvernement a réduit le prix d’achat du KWh éolien de 75 %. Au Yunnan, les autorités ont aussi tenté d’imposer une taxe sur l’éolien et l’hydraulique, pour financer des centrales thermiques. Un plan finalement abandonné face à la mobilisation des producteurs de renouvelables.
D’après l’ACEE, les producteurs d’électricité éolienne ont perdu 18 milliards de yuans (2,4 milliards d’euros) de revenus en 2015 à cause des limites imposées par les autorités locales. Le premier producteur du pays, Xinjiang Goldwind Science and Technology, a perdu à lui seul 500 millions de yuans à cause de ces mesures.
L’éolien n’est pas le seul touché. En 2015, 12 % des capacités de production d’électricité solaire ont également été gaspillées. Au Gansu et au Xinjiang, des provinces largement désertiques du Nord-Ouest chinois, ce sont respectivement un tiers et un quart de la production photovoltaïque qui n’ont pas été distribués.
Les surcapacités sont déjà là
La Chine s’est pourtant donné des objectifs relativement ambitieux de réduction de ses émissions de gaz à effet de serre. Lors de la conférence de Paris sur le climat en décembre 2015, Pékin s’est engagé à faire passer la part des énergies renouvelables à 20 % de sa production d’énergie, pour atteindre le pic de ses émissions « autour de 2030, tout en s’efforçant de l’atteindre au plus tôt ». Tout indique qu’elle y parviendra avant. D’après plusieurs études d’experts, si la Chine n’a pas déjà atteint le pic de ses émissions de CO2, celui-ci aura lieu d’ici à 2025.
Le ralentissement de l’économie est en cause : après une augmentation de la consommation de charbon de 8 % par an entre 2000 et 2013, alors que la croissance chinoise s’envolait, la Chine est maintenant en train d’atterrir. En 2015, la consommation d’électricité n’a augmenté que de 0,5 %, contre encore 4 % l’année précédente.
Cela n’a pas empêché l’approbation de 155 projets de centrales à charbon en 2015, trois fois plus qu’en 2014. Si tous les projets en cours sont terminés, la Chine aura 200 GW de capacités en trop en 2020, d’après Yuan Jiahai, professeur à l’université North China Electric Power, à Pékin, cité par le magazine chinois Caixin. Un gaspillage qu’il estime à 700 milliards de yuans (95 milliards d’euros). De fait, les surcapacités sont déjà là : en 2015, la Chine n’aurait utilisé ses centrales à charbon qu’à 50 % de leur capacité, d’après un rapport publié en mars par les ONG Greenpeace, CoalSwarm et Sierra Club.
Et, là où Pékin pouvait auparavant s’opposer à des projets de construction jugés inutiles, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Depuis septembre 2014, le ministère de l’environnement a délégué aux autorités locales le pouvoir d’approuver les projets polluants. Celles-ci sont censées être plus à même d’évaluer les réalités du terrain. Pékin regrette-t-il d’avoir lâché trop de lest ? En mars, cette année, le gouvernement central a annoncé un moratoire sur la construction de nouvelles centrales au charbon jusqu’en 2017.
LE RÉSEAU ÉLECTRIQUE CHINOIS N’EST PAS À LA HAUTEUR DES AMBITIONS DU PAYS EN MATIÈRE DE RENOUVELABLES
Pourquoi préférer le charbon ? Parce que, comme ailleurs, l’éolien pose le problème de son irrégularité. Mais aussi parce qu’en Chine construire des centrales fait tourner l’économie. D’abord en faisant marcher le secteur du bâtiment. Ensuite, en créant de la demande pour le charbon local. Les provinces citées par l’association de l’énergie éolienne sont toutes de grandes productrices de charbon. On pourrait ajouter à la liste le Shanxi, le Heilongjiang et la Mongolie-Intérieure, premières régions charbonnières du pays, elles aussi concernées par des mesures de restriction. « Les mines locales ont du mal à vendre leur charbon, donc pourquoi ne pas l’utiliser pour produire plus d’électricité ? Du point de vue des autorités, cela fait sens », explique Yang Fuqiang, expert en énergies pour l’ONG Natural Resources Defense Council.
« Pas raccordées au réseau »
« Cela s’inscrit dans une démarche lancée il y a quelques années consistant à coupler extraction minière et production d’énergie dans les mêmes entreprises », poursuit-il. Pour rationaliser les coûts, les producteurs chinois de charbon ont été poussés à créer des filiales en charge de la production d’énergie. Une politique qui a permis à Shenhua Group, le leader chinois du charbon, de continuer à faire des profits, quand la plupart des autres acteurs du secteur ont enregistré des pertes en 2015.
Les restrictions ne sont qu’une source de gaspillage de plus, qui vient s’ajouter à des problèmes connus. D’après une étude de la revue Nature Energy publiée le 23 mai, deux autres facteurs expliquent la différence de productivité énergétique entre la Chine et les Etats-Unis. Le parc éolien américain est équipé de turbines de meilleure qualité, plus efficaces. Surtout, le réseau électrique chinois n’est pas à la hauteur des ambitions du pays en matière de renouvelables. « Des développeurs attirés par les subventions se sont dépêchés de construire des éoliennes, mais elles ne sont toujours pas raccordées au réseau », déplore Yang Fuqiang.
Pour le chercheur, l’amélioration du réseau chinois prendra encore plusieurs années pour relier les centres de production d’énergies renouvelables, dans les vastes provinces peu peuplées, avec les centres de consommation, sur la côte est du pays. L’urgence est au changement des mentalités : « Pour l’instant, les autorités locales ont gardé les habitudes d’une Chine en croissance : charbon d’abord, renouvelables ensuite. Il faut inverser ces habitudes. »
De nouvelles règles adoptées par Pékin vont dans ce sens. En mars, l’Administration nationale de l’énergie a imposé des quotas d’utilisation d’énergie renouvelable pour chaque province. Reste à savoir s’ils seront respectés… Officiellement, les fournisseurs d’électricité chinois sont déjà obligés d’acheter la totalité de l’électricité produite.
Simon Leplâtre (Shanghaï, correpondance)
* LE MONDE | 17.06.2016 à 12h03 • Mis à jour le 17.06.2016 à 13h21 :
http://www.lemonde.fr/planete/article/2016/06/17/en-chine-l-eolien-ne-tourne-pas-rond_4952622_3244.html