Lors des rassemblements du 11 janvier en France, quelques pancartes ont été brandies, revendiquant : « Je suis Raïf Badaoui ». Pour avoir usé d’une liberté de ton, mêlant satire et parfois irrévérence, dans la critique des autorités religieuses de son pays, ce blogueur saoudien a été condamné, en mai 2014, à dix ans de prison et mille coups de fouet pour cybercriminalité et « insulte envers l’islam ». L’Arabie saoudite, qui a publiquement désapprouvé l’« attentat lâche contraire à l’islam » contre Charlie Hebdo, est restée sourde aux pressions internationales pour le libérer. Vendredi 9 janvier, Raïf Badaoui s’est vu administrer les cinquante premiers coups de fouet, sur une place publique de Djedda, sur les bords de la mer Rouge. Son épouse, Ensaf Haidar, exilée au Canada avec leurs trois enfants, a à nouveau réclamé, mardi, la clémence du royaume wahhabite.
M. Badaoui s’était attiré dès 2008 les foudres de la monarchie pour avoir cofondé le forum Internet Réseau saoudien libéral (RLS) afin d’ouvrir le débat sur l’interprétation de l’islam. Plusieurs fois menacé de poursuites pour ses critiques non voilées de fatwa (édits religieux) et des figures religieuses du pays, Raïf Badaoui a été arrêté en juin 2012 pour avoir dénigré la police religieuse. Une fatwa venait de le déclarer « apostat ».
Le crime d’apostasie, passible de la peine de mort, n’a finalement pas été retenu contre lui. Le blogueur a été condamné à sept ans de prison et six cents coups de fouet pour diffusion d’informations contraires à l’ordre public et aux valeurs religieuses. Jugée trop clémente, sa peine a été aggravée en seconde instance. Dans la prison de Briman, à Djedda, Raif Badaoui a été rejoint par Souad Al-Chammari, cofondatrice du RLS, et son avocat, Walid Abou Al-Khair, condamné à quinze ans de prison pour des commentaires sur le Net.
« Inhumain et cruel »
Les cybermilitants sont l’objet d’une sévère répression. Dans le berceau de l’islam wahhabite, qui applique une vision rigoriste de la religion, toute critique contre la famille royale, les institutions religieuses et l’islam est passible de poursuites. La monarchie des Séoud, déstabilisée par les questions de succession posées par la santé déclinante du roi Abdallah, veille tout particulièrement sur Internet. Sous couvert de la loi anti-cybercriminalité de 2007, de nombreux militants ont été condamnés et leurs comptes, fermés.
Lors de la venue à Paris du chef de la diplomatie saoudienne pour le défilé du 11 janvier, les organisations de défense des droits de l’homme n’ont pas manqué de dénoncer l’hypocrisie du royaume. Deux jours plus tôt, Raïf Badaoui était flagellé en public lors de ce que Reporters sans frontières a qualifié de « vendredi de la honte ». Amnesty International et Human Rights Watch ont condamné un acte « inhumain et cruel » contraire au droit international, un « message hideux d’intolérance ». Nombreux dans le monde arabe ont dénoncé sur les réseaux sociaux une pratique digne de l’Etat islamique (EI) que le royaume saoudien entend combattre. Les pressions de Washington et de Bruxelles pour obtenir la grâce du blogueur ne pèsent pas davantage sur la première puissance pétrolière mondiale, qui se sait incontournable pour son rôle dans la coalition internationale contre l’EI en Irak et en Syrie.
Hélène Sallon