Amertume et déception dans les rangs de la gauche antilibérale
LEMONDE.FR | 09.12.06 | 23h11 •
Quel gâchis !" Les mots de Gaël, militant d’un collectif antilibéral à Toulouse, suffisent à résumer l’ambiance. Samedi 9 décembre, dans un gymnase de l’Ile Saint-Denis, un millier de militants des collectifs antilibéraux se sont retrouvés pour se mettre d’accord sur un candidat pour l’élection présidentielle de 2007. Des trois candidats en lice, c’est la communiste Marie George-Buffet qui arrive en tête des scrutins organisés dans les collectifs. Devant l’élue parisienne, Clémentine Autain, et le cofondateur de la Fondation Copernic, Yves Salesse.
Mais pour choisir le candidat, c’est la règle du double consensus qui a été retenue : les collectifs et les organisations politiques qui les composent doient parvenir à se mettre d’accord sur un nom. Et dans les allés du Centre Sportif de l’Ile des Vannes, la solution semble difficile à trouver. Au banc des accusés : « le Parti communiste, il a retrouvé ses vieilles pratiques », dénonce un militant lyonnais, « ils ont bourré les urnes, à leur manière ». Plusieurs militants racontent comment, le jour du vote, ils ont vu arriver en nombre dans leurs collectifs des adhérents du PCF qui n’y avaient, auparavant, jamais mis les pieds. « Dans un collectif en Haute-Garonne qui compte d’habitude 30 personnes, ils sont arrivés à 25 de plus. Pas difficile de faire basculer le rapport de force en faveur de Buffet », raconte Gaël. Dans les Bouches-du Rhône, dans le Jura, dans la Loire, à Paris, les mêmes histoires se répètent et se racontent, de délégation en délégation. La salle est d’ailleurs à l’image de cette fracture : une moitié de délégués sont opposés à la candidature Buffet, l’autre moitié y tient farouchement.
Résultat : les militants des collectifs et des autres forces politiques (minorité de la LCR, gauche des Verts, Alternatifs, etc.) menacent de ne pas participer à la campagne de Mme Buffet... et de laisser le PCF mener une campagne qui n’aurait d’unitaire que le nom.
« ÇA VA ÉCLATER, SI ÇA CONTINUE »
Dans certains collectifs la situation est plus nuancée. « Dans mon collectif », raconte un militant du 19e arrondissement, « les cadres du Parti ont fait venir plein de vieux adhérents pour voter Buffet mais ils ont dû affronter les autres militants du PC, qui défendent la candidature unitaire depuis toujours ». Car au sein du PCF, les mêmes tensions se font sentir. « Ce n’est pas juste ce qu’on fait les camarades, confie un secrétaire de section anonyme, il aurait fallu jouer le jeu unitaire jusqu’au bout, pas passer en force. Dans ces conditions, on sera nombreux à ne pas faire la campagne de Marie-George, tant pis ». « En interne, ça va éclater, si ça continue » confirme une militante du Rhône. A la tribune, un communiste des quartiers nord de Marseille interpelle la secrétaire générale du PCF : « Marie-George, j’apprécie ton discours, mais quelle est ta solution pour sortir la tête haute ? »
Les militants communistes fidèles à la ligne de la direction parlent de « mauvais procès » : « ils refusent simplement de soutenir Marie-George, c’est injuste. Si quelqu’un d’autre était arrivé premier, nous, on l’aurait soutenu », explique un jeune communiste de Rennes. A l’extérieur, devant un verre de café, les militants tentent de convaincre : « de toute façon Marie-George est la plus rassembleuse », insiste Cyril, de Clermont-Ferrand. Olivier, membre de la LCR dans la même ville, ironise : « Tu plaisantes ? Si Buffet a été désigné c’est parce qu’on a vu pousser des collectifs du jour au lendemain, avec seulement des communistes, pour soutenir sa candidature ». Et de citer en exemple un collectif d’un village des Bouches-du-Rhône, créé fin octobre, et dont la seule réunion a consisté à faire voter les adhérents communistes locaux pour soutenir la candidature de la secrétaire générale de leur Parti.
« NI OLIVIER, NI MARIE-GEORGE »
Dans les collectifs, si l’amertume est grande vis-à-vis de la direction du Parti communiste, l’autre parti de la gauche radicale, la LCR, n’est pas épargné. « Si Olivier Besancenot était là, on n’aurait pas tous ces ennuis », se plaint un militant lyonnais, « ça obligerait le PCF à faire des concessions ». « En faisant cavalier seul, la direction de la ’Ligue’ fait un mauvais calcul » estime un minoritaire du parti trotskiste,« elle nous empêche de faire jeu égal avec le PC, empêche de faire émerger une vraie candidature unitaire, et jette les communistes dans les bras du PS pour un accord pour les législatives ». En marge de la réunion, un représentant de la majorité de la LCR, observe froidement la réunion. « La situation actuelle conforte la direction, qui estime qu’il ne faut jamais faire confiance au PCF », enrage un militant du Xe arrondissement parisien. « Mais ils ne se rendent pas compte qu’une moitié de l’organisation ne fera pas la campagne de Besancenot, de toute façon ! ».
Les militants « non-encartés » sont les plus déçus. « Pour le première fois de ma vie, malgré son orientation sectaire, je voterais Arlette Laguiller pour donner une leçon à Besancenot et Buffet pour avoir cassé cette dynamique formidable » lance Olivier, enseignant à Saint-Etienne. « Si l’aventure s’arrête là, je ne vote ni Olivier, ni Marie-George, je préfère m’abstenir », estime également Gaël. « On peut faire plus de 50 % au référendum contre la constitution européenne, et aux présidentielles il y aurait 5 % à se partage entre Buffet et Besancenot ? On passe à côté de quelque chose, c’est grave, les appareils des partis ne se rendent pas compte. », s’enflamme Jean, qui a voté pour Yves Salesse dans son collectif girondin. « On a l’impression d’être pris pour des guignols, on n’est pas venus pour faire la campagne d’un parti, quel qu’il soit », témoigne Pierre, de Rouen. Marion et Fabien, de Lyon, « n’y croient plus vraiment », après toutes ces tergiversations. Et comme beaucoup d’autres, il ne savent pas quoi faire si la démarche unitaire se termine par un flop. En l’absence d’accord, certains tentent d’imaginer une campagne commune pour les législatives, mais sans trop y croire : l’échec annoncé d’une candidature unitaire pourrait créer une fracture durable... et difficile à oublier.
Réunion houleuse des anitlibéraux, en vue d’une candidature unique
Le point sur la réunion nationale, samedi 9.12 à 20h00
LEMONDE.FR avec AFP et Reuters | 09.12.06 | 20h16 •
Plus de 1 000 délégués de 750 collectifs unitaires antilibéraux tentaient samedi 9 décembre, lors d’une réunion houleuse à l’Ile Saint-Denis, de se trouver un candidat unique à la présidentielle. Le mouvement est menacé d’éclatement, le PCF étant accusé de vouloir imposer Marie-George Buffet.
Les participants ont jusqu’à dimanche pour départager trois postulants : la numéro un du PCF, l’élue de Paris Clémentine Autain et le président de la fondation Copernic, Yves Salesse. Le leader altermondialiste José Bové a lui jeté l’éponge fin novembre, accusant le PCF de vouloir faire passer en force sa numéro 1.
Selon les derniers décomptes donnés samedi, portant sur 569 Collectifs rassemblant au total 16 000 militants, Mme Buffet arrive en tête, « près de 55 % des collectifs » l’ayant mise en « première place ». Un décompte qui ne satisfait pas les autres sensibilités, qui militent pour le « consensus » et soulignent que les collectifs n’ont pas tous le même poids, d’autant que certains sont des créations « récentes » du seul PCF.
S’appuyant néanmoins sur ce premier résultat, la secrétaire nationale du PCF s’estime gagnante : « Les militants des collectifs locaux ont travaillé et donné près de 60 % à ma candidature, c’est la démocratie ». Selon elle, la règle du « double consensus » (entre organisations qui composent le mouvement d’une part et militants d’autre part) fixée au départ ne peut plus fonctionner : « Entre les organisations, il n’y a de consensus sur personne, il faut maintenant savoir comment sortir de ce piège ».
« IL FAUT Y ALLER MAINTENANT »
Devant le risque d’éclatement, Mme Buffet a promis de mener une campagne « unitaire » avec les autres sensibilités, affirmant « se battre pour qu’elles ne quittent pas le rassemblement ». Un responsable du petit parti Mars, Eric Coquerel, rétorque : si le PCF impose son numéro un « dans les collectifs, il n’y aura plus que des militants communistes et tout le reste sera parti ». Il propose de rechercher « d’ici un mois, une autre solution », suggestion rejetée par Mme Buffet, pour qui « le temps presse, il faut y aller maintenant ». Clémentine Autain, refusant qu’on « remette en cause la méthode » de consensus « en cours de route », met en garde : « Si quelqu’un veut passer en force, il s’excluera du rassemblement ».
Les adversaires de la chef de file communiste estiment qu’un « dirigeant de premier plan d’un parti n’est pas en mesure de représenter le rassemblement dans sa diversité ». « La candidature de Marie-George Buffet serait vécue comme celle du PCF », souligne ainsi Christian Picquet, chef de file de la minorité de la LCR engagée dans le mouvement.
« Nous ne sommes pas là pour des querelles dérisoires, pour mettre en avant telle ou telle candidature, nous avons le devoir de réussir », a affirmé de son côté Yves Salesse, suscitant des ovations de la salle, pourtant largement remplie de militants communistes, scandant « unité unité, tous ensemble ». « Ou nous gagnons ensemble, ou nous serons tous perdants », a prévenu Claude Debons, coordinateur du mouvement, alors que Mme Buffet plafonne à 3 % dans les sondages.
Une « commission de synthèse » devait se réunir à huis clos samedi soir pour tenter de trouver un accord, selon les organisateurs, et une décision devrait être prise dimanche.