L’avortement est un sujet dont on pouvait penser qu’il ne faisait plus guère débat dans un pays comme l’Allemagne. Une affaire récente est venue rappeler qu’il n’en était rien. Au départ, le jugement prononcé par le tribunal de Giessen (Hesse), le 24 novembre, contre Kristina Hänel, une médecin généraliste accusée d’avoir indiqué, sur le site de son cabinet, qu’elle réalisait des interruptions volontaires de grossesse, en y ajoutant des informations sur le sujet. Une infraction à l’article 219a du code pénal, a estimé le tribunal. Selon cet article, « toute personne qui, en public ou par ses écrits, (…) propose ou promeut ses services ou ceux d’un tiers pour effectuer ou encourager un avortement (…) est passible d’une peine de privation de liberté allant jusqu’à deux ans ou d’une contravention ». Pour Mme Hänel, l’amende fut de 6 000 euros.
Encore inconnue du grand public il y a quelques mois, la sexagénaire est en passe de devenir une icône outre-Rhin. Pour l’hebdomadaire Die Zeit, elle est même « la nouvelle championne des droits des femmes en Allemagne ». Il faut dire qu’elle ne s’est pas contentée de faire appel de sa condamnation. Mardi 12 décembre, elle s’est ainsi rendue au Bundestag, à Berlin, pour y déposer les 150 434 signatures recueillies par sa pétition lancée sur le site change.org et qui réclame l’abrogation de l’article 219a. Un article dont la pétition rappelle qu’il a été ajouté au code pénal en... 1933, l’année de l’arrivée d’Hitler au pouvoir, mais qu’il a « été à peine modifié depuis cette époque ».
« Relique de l’époque nazie »
Aura-t-elle gain de cause ? Certes, Mme Hänel a d’ores et déjà reçu de nombreux soutiens. Au Bundestag, plusieurs députés issus de Die Linke (gauche radicale), des Verts, du Parti social-démocrate (SPD) et du Parti libéral démocrate (FDP) ont annoncé qu’ils souhaitaient inscrire le sujet à l’ordre du jour dès janvier 2018. Parallèlement, le gouvernement de Berlin a indiqué qu’il déposerait une proposition de loi au Bundesrat, l’assemblée des Länder, pour réclamer l’abrogation de l’article 219a, qualifié par l’écologiste Dirk Behrendt, le ministre de la justice de la capitale allemande, de « relique de l’époque nazie ». Une initiative déjà soutenue par quatre autres gouvernements régionaux, ceux du Brandebourg (SPD), de Thuringe (Die Linke) et des villes-Länder de Brême (SPD) et Hambourg (SPD).
Mais le projet est loin de faire l’unanimité. Dans son programme, le parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD), qui compte 92 députés au Bundestag (sur 709), promet de « tout faire pour lutter contre les tentatives visant à banaliser l’avortement ». L’une de ses vice-présidentes, Beatrix von Storch, a fait de la lutte contre l’avortement l’un de ses principaux chevaux de bataille.
De son côté, l’Union chrétienne-démocrate (CDU), le parti de la chancelière Angela Merkel, se montre très réservée à l’idée d’abroger l’article 219a du code pénal. « Les discussions entre les groupes [Die Linke, Verts, SPD et FDP] n’ont pas produit d’arguments convaincants contre l’article 219a », estime Annette Widmann-Mauz, secrétaire d’Etat à la santé et présidente de la Frauen Union, l’organisation représentant les femmes membres de la CDU-CSU.
Prudence
De l’avis de certains observateurs, la situation politique singulière dans laquelle se trouve l’Allemagne aujourd’hui pourrait jouer en faveur des partisans de l’abrogation du paragraphe 219a. Comme ce fut le cas, en juin, pour la loi sur le mariage pour tous, le SPD pourrait en effet se coaliser avec les autres partis de gauche pour faire voter un texte auquel sont opposés les conservateurs.
A l’époque, les sociaux-démocrates avaient en effet estimé que l’approche de la fin de la législature les autorisait à se désolidariser de la CDU-CSU. Ils pourraient faire de même dans les prochaines semaines à propos de l’article 219a. A moins que la perspective d’une nouvelle « grande coalition » avec les conservateurs, qui doit faire l’objet de nouveaux pourparlers à partir du 7 janvier 2018, ne les incite au contraire à la prudence, et donc à ne pas monter au front pour supprimer un article du code pénal dont leurs potentiels futurs alliés ne souhaitent pas l’abrogation.
Thomas Wieder (Berlin, correspondant)