Fettouma Ouzegane vient de partir. Lucide jusqu’au bout, elle nous a quittés quelques jours après avoir fêté son 90e anniversaire, entourée de ses proches. Veuve de Chahid , elle était elle même Moudjahida et a connu la prison comme plusieurs de ses soeurs. Agente de liaison de la zone autonome, son nom de guerre était Kaddour.
Mais c’est après l’indépendance au cours des années 80 que nos chemins se sont croisés. Car elle était l’une des chevilles ouvrières de la solidarité des moudjahidate avec les premiers noyaux de féministes contre le Code de la famille. Quand le 28 octobre 1980, quelques dizaines d’étudiantes et de jeunes universitaires entreprennent de protester devant l’APN, c’est aux moudjahidate qu’elles font appel dès les premières interpellations. Et c’est la présence des moudjahidate qui préserve les rassemblements suivants de la répression.
On connait l’anecdote de Mme Zhor Bitat qui vient manifester aux portes d’une assemblée présidée par son époux Rabah Bitat, on connait l’éloquence rare de Meriem Benmihoub Zerdani qui a éclairé avec pédagogie les assemblées féministes du restaurant Amirouche. On se souvientaussi de son sens de la répartie qui a mouché l’officier chargé de la dispersion des manifestantes.
On connait moins le rôle de mouche du coche de Fettouma, qui mobilise ses soeurs moudjahidate, créant pour l’occasion le mouvement de soutien et de solidarité avec la lutte des femmes. Son effort s’est poursuivi lorsque en février 1989, l’AEF est empêchée de tenir son AG constitutive au Cinéma Djurdjura, sur le Boulevard Amirouche. Les 200 participantes sont conviées au salon de Fettouma Place Audin. Un mois plus tard, le 07 mars, la wilaya change de politique et remets à l’Association pour l’émancipation de la femme son agrément. Sa maison restera, des années durant un lieu de réunion pour les associations et les coordinations féminines privées de local.
Nous avions au PST, dont j’étais alors le porte parole, décidé de parrainer Fettouma pour la circonscription d’Alger centre pour les législatives de juin 1991, qui furent annulées. Et c’est Fettouma qui prend la parole pour le droit des femmes à la rencontre gouvernement/partis de l’été 91 ; Ce n’était ni une théoricienne ni une spécialiste des discours, c’était une bagarreuse, qui fonçait sans peur guidée par son instinct sûr de femme aspirant à la dignité de toutes ses sœurs. Telle était Fettouma, bouillonnante, disponible, sincère, entière.
Nous sommes tristes de l’avoir perdue mais comme son fils, ce matin, nous sommes sereins parce qu’elle est partie tranquillement sans souffrance après une vie bien remplie, une vie utile. Nous sommes heureux de l’avoir connue.
Chawki Salhi