Prudent, François Hollande n’avait promis aucune augmentation de l’aide publique au développement (APD). Emmanuel Macron a fait l’inverse en s’engageant, dès le début de son mandat, à accroître très fortement l’effort de solidarité en faveur des pays les plus pauvres. « [Cela] supposera des efforts, nous les ferons. Parce que ces efforts, c’est la contribution française à la réussite de tout un continent », a-t-il répété, fin novembre 2017, devant les étudiants de l’université de Ouagadougou.
Augmenter l’aide de quelque 6 milliards d’euros, pour atteindre 15 milliards en 2022, représenterait une hausse sans précédent même si, rapporté à la richesse nationale, cet effort ne permettrait à la France que de rattraper le terrain cédé en vingt ans. Le chef de l’Etat a fixé pour objectif de porter l’APD à 0,55 % du produit intérieur brut (PIB) en 2022 contre un peu moins de 0,4 % actuellement. Le Royaume-Uni a atteint la cible internationale de 0,7 % en 2013 et l’Allemagne en 2016.
« IL NE PEUT EXISTER UN TEL DÉCALAGE ENTRE L’IMAGE QUE LA FRANCE VEUT DONNER ET LA RÉALITÉ DE L’APD » HUBERT JULIEN-LAFERRIÈRE DÉPUTÉ LRM
Plus d’une fois échaudées par des annonces sans lendemain, les ONG de solidarité internationale regroupées dans Coordination SUD n’entendent pas laisser passer l’occasion du comité interministériel de la coopération internationale et du développement (Cicid) prévu le 5 février pour obtenir du chef de l’Etat un calendrier précis. « Qui décide ? », se sont-elles interrogées publiquement, le 26 janvier, en dénonçant « les blocages » auxquels se livrerait, selon elles, le Trésor pour faire échouer l’annonce d’une trajectoire chiffrée sur le quinquennat.
De leur côté, quelques députés de La République en marche, conduits par Hubert Julien-Laferrière, rapporteur du budget de l’APD au sein de la commission des affaires étrangères, ont rappelé « qu’ils sont et resteront mobilisés » pour que les promesses soient tenues. Un rappel « gentil », concédait l’un d’entre eux, mais qui traduit la fébrilité des élus devant cet « engagement ferme » de M. Macron. « Il ne peut exister un tel décalage entre l’image que la France veut donner et la réalité de l’APD », admet M. Julien-Laferrière.
L’attente est d’autant plus grande que le quinquennat a mal commencé. Le budget 2018 n’a quasiment pas été augmenté (+ 100 millions d’euros) et celui de 2017 a été raboté par le nouveau locataire de l’Elysée. L’élargissement de la taxe sur les transactions financières (TTF) aux opérations intrajournalières, prévu le 1er janvier, a été suspendu pour ne pas nuire à l’attractivité de la place parisienne dans le contexte du Brexit. Il aurait permis de couvrir une bonne partie des besoins.
« Sortir la thune »
Enfin, pour contrebalancer ces mauvais signaux, le gouvernement aurait pu accorder des « autorisations de financement » qui donnent à l’Agence française de développement (AFD), principal opérateur de la politique publique, la possibilité d’instruire des projets sans attendre la loi budgétaire de l’année suivante. Il n’en a rien été. L’approbation définitive d’un projet de développement réclame en moyenne deux à trois ans. Mécaniquement, cela retarde d’autant le moment où cette aide commence à pouvoir être décaissée et donc comptabilisée par l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), qui fait office de juge de paix pour l’évaluation de l’APD.
POUR AIDER LES PAYS LES PLUS PAUVRES D’AFRIQUE, IL FAUT DES DONS. OR LA FRANCE PRATIQUE SURTOUT LE PRÊT
Le ministre des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, est averti. Pour « atteindre 0,55 % du PIB [d’ici à 2022], il faudra augmenter de manière significative les crédits budgétaires dès 2019 ». Faute de quoi, souligne une note interne, ce démarrage tardif de la trajectoire de l’APD « conduira à une augmentation brutale et difficilement tenable sur les deux dernières années » du quinquennat.
« Cette fois-ci, il va falloir sortir la thune » : le franc-parler de ce fin connaisseur des arcanes de la solidarité internationale résume la difficulté de l’équation. Il ne s’agit pas, en effet, de faire tourner la planche à prêts de l’AFD pour faire grossir les chiffres de l’aide à coups de projets d’infrastructures dans les pays émergents. Pour aider les pays les plus pauvres d’Afrique, et en particulier le Sahel, à construire leur système de santé ou d’éducation, à s’adapter au changement climatique ou à promouvoir l’égalité hommes-femmes, autant de priorités répétées par M. Macron à Ouagadougou, il faut des dons. Or la France pratique surtout le prêt.
Premier test
En 2016, sur les quelque 4 milliards d’euros versés au titre de l’aide bilatérale, 20 % seulement représentaient des dons. La moitié de cette enveloppe correspondait à des nouveaux projets et l’autre moitié à des conversions de dettes. « L’aide française bénéficie principalement aux pays à revenus intermédiaires » et « renvoie à des modes de développement en faveur des infrastructures, du transport ou du secteur privé », écrivait l’économiste Tancrède Voituriez dans une note de l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri) parue en avril 2017 et intitulée « A quoi sert l’aide publique au développement ? ». Il qualifiait cet appétit pour le développement économique d’« éléphant au milieu de la pièce APD ».
M. Hollande a ainsi eu beau proclamer la priorité à l’Afrique au début de son mandat – ce que consigne le Cicid de juillet 2013 –, les pays les moins avancés, dont la majorité est africaine, ont reçu moins de 10 % de l’APD en 2016, selon les chiffres de l’OCDE. La crise des migrants, l’insécurité grandissante au Sahel conduiront-elles M. Macron à moins d’inconséquence ?
La conférence pour le financement du Partenariat mondial pour l’éducation, prévue vendredi 2 février à Dakar, sera un premier test de cette volonté d’inverser le cours des choses. Depuis le début de la décennie, la France a divisé par trois son soutien à l’éducation en Afrique.
Laurence Caramel (Service International)