Quel que soient les acteurs au psychodrame ALÉNA, tous souhaitent sa reconduction mais pas à n’importe quel prix, les conditions variant d’un acteur à l’autre. Même si à l’origine la gauche dont le NPD [2]… et les Libéraux rejetaient l’ALÉNA , tous aujourd’hui considèrent inextricables les chaînes de production créées depuis lors, surtout dans le secteur automobile… et plusieurs seraient gênés d’avoir la même position de façade que la présidence étasunienne. Si les Libéraux fédéraux [3] ont changé leur fusil d’épaule dès leur accession au gouvernement en 1993, la gauche québécoise faisait encore en 2014 un « bilan désastreux » de l’ALÉNA [4]. Aujourd’hui, elle se contenterait des quelques réformes non négligeables certes mais qui sont loin d’une rupture [5]. Le très canadian de gauche, The Canadian Council, semble plus critique [6] mais se rallie à ses partenaires dont le RQIC [7].
Gouvernements et syndicats étasunien et canadien, au nom de la vertu, contre le Mexique
Sa critique détaillée et pénétrante de l’ALÉNA [8] mériterait une traduction française malgré son penchant nationaliste canadien et son pragmatisme réformiste. On y lit que le Canada réclame que les accords parallèles sur l’environnement et le travail soient intégrés dans l’ALÉNA. Or « [i]l est probable que les références aux normes du travail et de l’environnement ressembleront à celles déjà présentées par le Bureau du représentant du commerce des États-unis (USTR) car les deux pays les avaient déjà adoptées pour le Partenariat trans-Pacifique (TPP). » Car l’intérêt des deux larrons, et celui des bureaucraties syndicales des deux pays, est le même :
« Au risque de paraître cynique, il y a peut-être une autre raison moins altruiste pour le Canada et les États-Unis d’inclure des normes plus strictes en matière de travail et d’environnement dans l’ALENA 2.0. Parce que la question de la perte d’emplois américains était au centre de la décision du président Trump de commencer ce processus de renégociation, il ne faut pas beaucoup d’imagination pour penser que promouvoir des normes de travail plus élevées et augmenter les salaires des travailleurs mexicains profiterait à l’industrie automobile américaine (et canadienne)… »
Comme pour la législation du travail, le Mexique compense son faible rapport de force économique en galvaudant sa législation de l’environnement : « Le Mexique a des lois environnementales assez strictes mais autorise régulièrement les sociétés étrangères à les violer. Le chapitre sur l’environnement pourrait être utilisé pour obliger le Mexique à rendre compte de cette divergence, affaiblissant ainsi son avantage »compétitif« de permettre le bris de ses règles environnementales. » Quant aux nouveaux chapitres sur le genre et sur les nations aborigènes demandés par le Canada, ils sont pour le premier une « aspiration non-contraignante » et pour le deuxième un moyen de « causer des conflits entre les Premières Nations qui ont été victimes de grandes sociétés extractives qui revendiquent leurs droits en vertu de l’ALÉNA et d’autres accords commerciaux, et celles qui croient qu’un chapitre sur les droits autochtones dans l’ALÉNA améliorera leurs possibilités économiques. »
On ne s’étonnera donc pas du flottement des protagonistes de gauche face à l’ALÉNA bien qu’il leur faille manœuvrer pour ne pas perdre la face. Cette valse-hésitation n’a rien pour favoriser la mobilisation [9] du-t-elle être revêtue de la défense de l’environnement, choix un peu court du RQIC et compagnie et dont le discours n’a rien de percutant. Tant le bilan négatif de l’ALÉNA par le RQIC en 2014, à l’occasion de son vingtième anniversaire, que sa critique acide par le Conseil des canadiens, plaident pour une sortie avec tambour et trompettes. Petit problème : la factice et répétée ad nauseam annonce de sortie protectionniste par la présidence étasunienne, alors qu’en réalité elle recherche des accords bilatéraux où les ÉU peuvent écraser l’adversaire, requiert de la gauche l’articulation immédiate de l’alternative d’un plan B à défaut d’être récupérée par la droite la plus réactionnaire. Or, si les gauches québécoise et canadienne, sociale et politique confondues, partagent une faille béante c’est bien celle de ne pas proposer autre chose, pour sortir du pétrole, que de vagues politiques et des demi-mesures respectueuses de la compétitivité coupe-gorge du marché global.
Le plein emploi écologique : une production de proximité dans un cadre politique mondial
Et pourtant se profilerait une proposition alternative qui justement s’adosse sur la question écologique bien qu’elle soit holistique, le plein emploi écologique [10]. Ce plein emploi repose sur la réduction à zéro d’ici 2050, et drastique d’ici 2030, de la consommation d’énergie et de produits (ex. plastique) d’origine fossile, nucléaire et accapareurs de terres sur fond de disparition de l’accumulation inhérente au capitalisme, vert ou non, qu’elle soit de moyens de production et corollairement de produits de consommation. Le plein emploi écologique est centré sur la production de proximité, dont en particulier la souveraineté alimentaire, pour des raisons tant écolo-économiques que politiques.
Les transports sont à minimiser d’où les circuits courts alimentaires et l’agriculture urbaine. Sur fond de conservation de l’énergie et d’efficacité énergétique, la production énergétique devient 100% renouvelable ce qui implique qu’elle soit près des lieux de consommation. L’agro-industrie énergivore aux longs circuits est à faire disparaître en faveur de la production agro-biologique dont la haute productivité du sol est prouvé [11] à condition qu’on en fasse une politique globale et qu’on y mette un supplément de force de travail favorisant par ailleurs une reconnexion avec la nature hors humanité, ce qui implique une collaboration urbaine-rurale pour la force de travail surtout occasionnelle. La production de proximité, y compris des intrants, ressort de la reconstruction d’une urbanité multifonctionnelle basée sur le piéton et chassant l’auto solo de même que de la consommation énergétique zéro ou quasi-zéro du bâtiment. Sont par définition de proximité le réinvestissement dans les services publics, y compris ceux financiers, énergétiques et de transport préalablement socialisés, de facto peu énergivores et riches en rapports sociaux.
Ce nouveau mode de production est à la fois décentralisé dans son exécution et centralisé dans sa conception et dans sa planification d’ensemble. Il favorise une prise en charge locale des productrices associées maximisant la démocratie directe dans le cadre d’une planification régionale, nationale et mondiale assise sur la délégation imputable, révocable, en rotation et rémunérée par le salaire médian. On constate que le débat traditionnel libre-échange versus protectionnisme ne s’applique pas. Tout se fabrique de bas en haut dans un cadre mondial échelonné de cadres géographiques intermédiaires incluant la mise sur pied de régions transfrontalières. Les niveaux plus globaux, selon leur pertinence écologique, fournissent les produits et services spécialisés. Et c’est au niveau mondial qu’est assuré la libre circulation des idées et des personnes tout comme la péréquation assurant le remboursement de la dette écologique et sociale. Tels sont le protectionnisme et le libre-échange anticapitalistes, si l’on peut dire, du plein emploi écologique.
La position privilégiée du Québec pour être une avant-garde du plein emploi écologique
Aller dans cette direction correspond certes à un impératif catégorique écologique pour sauver la civilisation. C’est aussi la solution à un libre-échange se transformant en guerre commerciale et financière depuis la crise économique 2007-2009 [12], frappant particulièrement le « vieil impérialisme ». D’autant plus que cette crise se combine à celle de l’hégémonie étasunienne due à ses défaites militaires au Moyen-Orient, ce qui ne peut faire autrement que d’envenimer guerres locales et danger d’une guerre entre grandes puissances, y compris nucléaire [13]. Si la contribution canadienne à ce virage à 180° se concentre du côté du blocage de la production de pétrole en premier lieu bitumineux [14], celle d’un Québec déjà sans production d’hydrocarbures pas plus que d’automobiles et de camions légers, invite à se construire comme une avant-garde de l’alternative du plein emploi écologique. Faut-il ajouter que Québec solidaire devrait en être le porteur de ballon, ce pour quoi il s’esquive [15].
C’est à peine si l’économie québécoise aurait besoin d’un recyclage énergétique et industriel. [On y compte quand même une industrie d’armement et des industries énergivores (aluminium, papier) essentiellement exportatrices.] Elle produit déjà une énergie non fossile en surabondance [16] et manufacture des moyens de transport collectif en plus d’être doté d’une voie d’eau royale, le St-Laurent idéal pour l’écologique cabotage. Faire de cette économie un modèle mondial de plein emploi écologique est à portée d’une main gauche qui a saisi l’aspiration radicale d’une jeunesse ayant compris les défis d’un XXIiè siècle qui sera son siècle. En sus serait réglé l’éternel problème du déficit de la balance de paiements toute pétrie d’importations pétrolière et de véhicules routiers sans compter celui d’une économie extravertie très dépendante des ÉU.
Une telle restructuration anticapitaliste de l’économie québécoise vers le plein emploi écologique suppose le contrôle social du commerce extérieur complété par celui des flux internes et externes de l’épargne nationale sans quoi d’ailleurs une ample réforme fiscale à l’avenant serait impossible tant la fuite des capitaux vers les paradis fiscaux et ailleurs deviendrait une hémorragie. Contre un Canada pétrolier dont l’emprise financière de sa bourgeoisie est écrasante et dont l’idéologie dominante repose sur le Quebec bashing et un hypocrite apartheid anti-autochtone, il y faudra l’indépendance pour vaincre le fédéralisme banquier et politique. Rien à voir avec cette bleu indépendance fleurdelisée valorisant l’exploitation plein régime des ressources naturelles pour insérer le Québec dans le marché global comme gagnant sous la houlette du capital financier dont le noyau dur reste hors Québec [17].
Marc Bonhomme, 4 février 2018
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